La Fuite – Chapitre 8

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Séoul, 24 janvier, 20h15. Cha Medical Center Gangnam. Service des urgences.

J’ouvre les yeux.

Mon esprit fonctionne au ralenti, éveillé soudain par la douleur qui émane de la hanche. Un bandage rose fuchsia entoure ma cheville, je peine à supporter la lumière blanche qui tombe du plafond.

Agacée, j’appuie de toutes mes forces sur le bouton d’appel de l’infirmière.

Elle entre et je n’attends pas qu’elle s’adresse à moi.

— Je vous avais dit non pour le tranquillisant. Il n’est pas question que je reste planté là une minute de plus !

La femme en blouse me regarde en penchant la tête sur le côté.

— Ah oui ! Du coréen, dis-je en français.

Je me redresse et reprends dans sa langue.

— Je ne voulais pas de sédatif.

Je cherche des yeux mon mobile.

— Vous avez été renversée, nous avons réalisé les examens nécessaires et effectuez les vérifications habituelles.

— Après avoir traversé la moitié du globe pour me rendre à Séoul, décider de faire un peu de vélo était sans doute prématuré. Je suis fatiguée, voilà tout. J’ai besoin de dormir quelques heures dans un bon lit. Je n’ai presque plus mal. Je suis juste ankylosée. Je ne veux plus de médicaments.

L’infirmière danse d’un pied sur l’autre et je me demande si je n’ai pas dépassé les bornes.

— Vous êtes tombée de vélo, recommence la soignante.

Je lui lance un regard sombre et lui réponds en français.

— Sans blague ? Ça ressemblait à un jet de boule dans un jeu de quilles !

Elle fronce les sourcils en essayant de déchiffrer mes mots. Magnanime, je reviens sur le coréen.

— Je ne suis pas tombée seule, on m’a plaqué au sol.

Je lui souris et étrangement, l’infirmière ne goûte pas la plaisanterie.

— Rassurez-vous, ce ne sont que quelques bleus et ecchymoses. Votre vélo a été pris en charge par la personne qui vous a percuté. Vous me comprenez ?

Dans mon esprit, je me rappelle mon vol plané dans les airs puis ma chute sur une montagne qui ressemble vaguement à un homme grand et brun.

— Oh, oui. Et que dire de la légende de la petite taille des Coréens ?

L’infirmière, insensible à mes affirmations, ne daigne pas sourire.

— Il a payé les soins et remis une lettre à votre attention. Son emploi du temps ne lui permet pas d’attendre que vous reveniez à vous.

À contrecœur elle sort de sa poche une fine enveloppe blanche, un peu froissée.

— Merci.

L’infirmière met une bonne minute avant de me laisser enfin la prendre.

— Vous me le donnez ce ticket gagnant d’un super gros lot ?

Je lui arrache gentiment des mains alors qu’elle rougit de plus belle. Elle affiche un air triste et contrarié et tourne les talons. Je ne comprends pas du tout son comportement, mais je n’ai qu’une envie, m’allonger dans un lit plus confortable.

Je jette l’enveloppe dans mon sac et je me dirige en boitillant vers le comptoir des sorties. Je fronce les sourcils pour déchiffrer le coréen sur les panneaux en m'apercevant que c'est un exercice bien plus difficile qu'il ne le paraît. Quand j'arrive enfin dans la salle d'attente, je la découvre bondée de personnes accidentées à cause du froid. Mon regard se porte sur un homme qui dépasse les autres d’une bonne tête. Assez grand pour que je l'imagine responsable de ma mésaventure. Il me tourne le dos et faute de preuve, je m’appuie sur le bois du bureau des infirmières. L’une d’entre elles m’aperçoit et s’approche avec une pochette en papier.

Madame Nolan, tout est réglé pour vous. Tenez, voici vos médicaments. Revenez nous voir si la moindre douleur apparaît dans les prochaines soixante-douze heures.

Surprise, je ne réponds rien. Mon téléphone vibre, m'indiquant qu'un nouveau mail vient d'arriver. Un rapide coup d'œil me confirme un message de Jarvis et un autre de Monsieur Park. Le dernier mentionne la présence de Kong, mon chauffeur. Sans attendre, je le rejoins à l’entrée de l’hôpital.

Il se précipite à ma rencontre. Je lui souris, reconnaissante. Il ferme la porte et je constate alors avec effroi que derrière moi se tenait celui que j’imagine coupable de ma chute.

Je tremble et tandis que la voiture démarre, je jette un œil dans la vitre arrière. Je suis prise d’une parano sans nom. Mon cœur manque d’éclater. Puis je me dis que ce sont les médicaments et je m’oblige à de longues respirations. Nous entrons sur le parking et malgré mes regards réguliers tout autour de nous, je me résous à penser que ce n’est que le fruit de mon esprit.


Séoul, 25 janvier, 15h04. Dans le logement d’Alice au 817-40 Yeoksam-dong, Gangnam-Gu.

Je lève mes yeux du magazine que je viens de me forcer à déchiffrer. Après presque deux heures de lecture intensive, la gymnastique de traduction devient aisée. Dehors le temps gris se maintient et il ne pleut pas. J’ai envie de prendre l’air. Je monte lentement les marches qui mènent au toit-terrasse de mon appartement. J’aurais pu en occuper une au premier niveau, mais celle-ci me plaît particulièrement.

Je suis seule. Je m’habille chaudement et progresse prudemment vers la baie qui s’ouvre sur le toit depuis ma chambre.

La brise glaciale me saisit immédiatement. À ma gauche une avancée qui donne sur une solide et très importante barrière de métal me protège du vide qui offre une vue plongeante sur le fleuve et les îlots de verdure qui l'entoure. Des carrés que je devine représenter des quartiers plus anciens de la ville. À ma droite, la piscine couverte. Je m’approche de ce point d’eau, spacieux et agrémenté de grandes arches d'acier qui portent une verrière. À la nuit tombée, le ciel se pare des plus belles nuances et sublime le panorama existant. Je mesure ma chance. Mon regard est tout de même attiré vers l’intérieur de la chambre qui fait face à la mienne. Étrangement vide, bien rangée, comme figée dans le temps. L'unique preuve de vie reste la femme de ménage qui s'y affère chaque matin depuis mon arrivée. Les meubles modernes et le style épuré, en totale opposition avec l'aspect cosy et chaleureuse de la mienne. Je remarque un détail sur la table de nuit qui capte mon attention.

— Madame Nolan ! laissez-moi vous aider.

La voix de monsieur Park me fait sursauter et perdre à la fois l’équilibre et le fil de mes pensées. Je me retrouve sur les fesses, à quelques centimètres de la fenêtre de mes voisins. Heureusement pour moi, il n’y a personne.

— Je voulais juste visiter cette partie de l’appartement. Regardez, le gonflement à disparut.

Je lui expose ma cheville qui va mieux.

— Vous avez tout le loisir de vous rendre où bon vous semble, mais pour l’amour du ciel, montrez-vous raisonnable. Le médecin préconise un à deux jours de repos.

— Merci. Monsieur Park.

Il vient de me replacer sur mes pieds. Nous marchons vers ma chambre quand je me souviens que je n’ai toujours pas ouvert l'enveloppe que m’a remise l’infirmière.

J’attends que monsieur Park me laisse seule, assisse sur mon lit, pour en découvrir le contenu. Je relève la tête et croise mon regard dans la grande glace de ma coiffeuse. J’ai l’air moins fatigué.

J’expire et me plonge dans la lettre. C’est la première fois depuis plus de deux ans que j’en parcours une. L’écriture manuscrite est aérienne et soignée, parfaitement lisible.

« Bonjour, je voudrais que vous sachiez combien je suis désolé pour mon implication dans l’accident que vous avez subie. En conditions normales, je n’aurais rencontré aucune difficulté pour m’arrêter à temps. Malheureusement, comme vous, le soleil m’a ébloui et j’ai mal jugé la distance qui nous séparait pour freiner. J’en regrette vraiment les conséquences. J’étais extrêmement soulagé que vous ne soyez pas grièvement blessée. Je suis sincèrement désolé. Je vous souhaite un bon rétablissement après cette douloureuse expérience. J’ai pris en charge les frais de votre hospitalisation et la réparation de votre vélo. Voici mes coordonnées afin que vous puissiez le récupérer. Contactez-moi en vue de convenir d’un rendez-vous.

M. Kim Yoon, 02-352 0151 ».

Au moins il a la décence de s’excuser, j’ai cru mourir de peur. Je ramasse le portable qui traîne sur la table de nuit.

« Bonjour, monsieur Kim.

Cette chute terrifiante ne m'a laissé aucune séquelle, si ce n'est quelques bleus. Aujourd’hui je vais mieux. Je me souviens que ma tête a heurté violemment votre épaule. Vous n'êtes pas blessé, de votre côté ? Je peux récupérer mon vélo pour vous en débarrasser. »

J’appuie sur envoi avant d’avoir réalisé que par habitude envers les gens que je connais, je n’ai pas signé. Je ne me suis pas présentée !

Je sursaute quand mon téléphone vibre. La réponse arrive sans attendre.

« Bonjour.
Merci de m’avoir donné de vos nouvelles. Mon vélo et moi nous portons bien. Vous pouvez venir récupérer le vôtre. Voici mon adresse : 817-50 Yeoksam-dong, Gangnam-Gu, Séoul. M. Kim Yoon ».

Oui, ce sera l’occasion de le connaître. Je compose un nouveau message.

« Nous pouvons nous rencontrer cet après-midi. Madame Nolan ».

Cette fois je signe. La réponse ne tarde pas à arriver.

« Je vous attends, madame Nolan ».

Consciente de cette opportunité, je ramasse mon sac et me lève aussi vite que possible. J’enfile une paire de baskets, les seules que je supporte à cause de ma cheville. Dehors, le temps se gâte. La pluie remplace le soleil d’hiver et le ciel devient plus sombre. Je m’en moque, sortir me fera le plus grand bien.

Je me dépêche d’envoyer un message à mon chauffeur et je cours presque dans l’ascenseur. Kong m’ouvre la porte et je m’engouffre dans le véhicule. Il se place devant le volant et je lui donne l’adresse que j’ai pris le temps de noter à son intention sur un morceau de papier.

— Vous devez faire erreur, madame Nolan.

Je regarde Kong, surprise et sans comprendre.

— C’est ici, répond-il à ma question muette. L’entrée voisine à la vôtre.

Il coupe le moteur et sort du véhicule pour m’ouvrir la portière.

— Je vais vous montrer.

Il m’invite à le suivre et me tend sa main pour m’aider à m’extirper de la voiture.

L'anxiété s'empare de moi, et ce, sans raison.

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