La fuite – Chapitre 5

9 minutes de lecture

Partie 2 – La fuite – Chapitre 5

Amsterdam, 22 janvier, 15 h 54. Dans le centre.

J’ouvre le tiroir de la commode et j’en verse le maigre contenu dans ma valise Vuitton.

Ma soif de vengeance et l’adrénaline me tiennent en mouvement. Éprouver une telle haine envers quelqu’un m’est complètement inédit. La tristesse a laissé place à la colère qui décuple mes forces et emprisonne les autres émotions dans une boîte de Pandore. Deux nuits déjà que je me repasse en boucle la dernière année écoulée et que je prends conscience de tous les signaux m'alertant sur l'échec de la relation avec Bruno.

Mes mains tremblent tandis que je retire l’anneau de mon doigt. Un brillant sans éclat, en toc. Enfant, j’admirais les bijoux de ma mère qui scintillaient chaque fois qu’un rayon de soleil traversait les pierres blanches. Ce morceau de cailloux n'égalera jamais sa bague de fillançailles. Je me souviens de l'air guindé et méprisant du joaillier en relevant la tête vers moi. J'avais aussitôt compris, réprimant l'humiliation et les joues rougies, j'avais prétexté qu'une languette de canette en guise de demande en mariage aurait fait l'affaire. À présent je voudrais noyer la petite voix qui me susurre que l’amour biaise notre perception de l'autre. La douloureuse leçon laminait mon cœur.

Délicatement, d'un geste mesuré, je referme l'enveloppe dans laquelle se trouve un message que rédigé à son intention.

« La bague te permettra de repartir sur de bonnes bases. »

Le reflet du miroir au-dessus de la commode me renvoie mon sourire sarcastique. Je me délecte d’imaginer sa mine dépitée en découvrant le contenu de ce dernier présent.

Quelques minutes plus tard, j'aborde l'employé de l'accueil et je lui tends le paquet.

— Puis-je vous laisser ceci ?

— Bien sûr madame Nolan. À qui devons-nous la remettre ?

— Un homme se présentera dans quelques jours et vous posera des questions. Il prendra contact et effectuera une réservation. Vous avez carte blanche pour fournir à cette personne tous les renseignements qu’elle désire.

— Nous suivrons vos indications. Une voiture vous attend devant l'hôtel. Nous espérons que vous avez passé un agréable séjour au sein de notre établissement. Nous vous souhaitons un bon voyage.

— Merci.

Installée confortablement à l’arrière de la longue limousine, pour la première fois en quarante-huit heures, mes épaules se détentes.

Amsterdam, 22 janvier, 16 h 30. Agence immobilière du Centre.

Le véhicule s’arrête le long du trottoir et j’ouvre la portière, impatiente. Je me précipite en direction de l’entrée du bâtiment battant les talons sur le bitume.

Quand j’en ressors, quelque douze minutes plus tard, j’ai à peine serré des mains et signé les contrats alignés sur une table à mon intention, salué les nouveaux propriétaires et bu une gorgée de champagne avant de prendre congé. Sans négociation car j’ai cédé le bien avec une belle remise de dix pour cent par rapport aux prix du marché. L’avenir de mon ex se fane de plus en plus. Il va devoir apprendre à ne compter que sur lui-même. Il m’a été impossible de me rendre dans lesdits bureaux de peur d’y ressentir sa présence et son parfum particulier de bois de santal et d’ambre noir. Une erreur que je me félicite d’avoir anticipée et appréhendée.

Sur le trajet qui me mène à l’aéroport, je rédige un message :

« Merci, papa. »

Les mots me manquent pour en écrire davantage. En toute discrétion et par l’intermédiaire de Jarvis, mon père me facilite les transactions immobilières, ici et à Paris afin de me libérer au plus vite de mon ancienne vie.

Rassénéré par le toucher soyeux du papier de mon passeport, je commence à m’interroger sur la suite de mon périple. Pour la première fois, j’envisage de ne pas rentrer immédiatement à Paris. Et même, pourquoi devrais-je revenir en France ?

Aéroport international d’Amsterdam, 22 janvier, 18 h 15.

Un immense panneau comportant les prochains départs me tend les bras. Excitée et indécise devant ce choix des possibles, mon maigre bagage en main, je souris nerveusement.

C’est de la folie. Mais plus les minutes défilent, et plus ma détermination s’affirme.

Je ne rentrerais pas en France.

Mon regard parcourt sans cesse les vols annoncés sans jamais s’arrêter sur une destination quand soudain, la faim tord violemment mon estomac. Je ferme les yeux, happée par la délicieuse odeur de café chaud qui émane d’un gobelet du passager qui se tient près de moi. Après une seconde d’hésitation, il repart en direction des salles d’embarquement. De mon côté, je me tourne résolument en tous sens, à la recherche d’un endroit où me restaurer.

Une fois installée confortablement dans un fauteuil, j’abandonne ma collation afin de rédiger un message adressé à Gabriel. Je me doute que mes parents l’ont mis au fait de ma situation. Mais tous ignorent que finalement, j'ai décidé de ne pas rentrer.

« Je dois m’absenter pour quelque temps. Tu ne pourras plus me joindre sur mon portable. Jarvis m’en a fourni un autre, papa te donnera le nouveau numéro. Je vais bien. Je t’aime très fort depuis n’importe où sur Terre. Ton Lys »

J’ai la sensation que le message est parti depuis deux secondes quand je reçois la réponse :

« Ma puce. En tant que grand frère, je m'inquiéterai toujours. Nos parents m’ont surpris en me rejoignant à Caen. Je mange avec eux ce soir. Je présume que nous parlerons de toi. Je regretterai le reste de ma vie ce jour où tu es tombée sur lui en venant chez moi. Prends bien soin de toi. Va aussi loin que tes ailes te porteront. Ton Ange ».

Un sandwich plus tard, me voilà de nouveau devant l’imposant tableau des départs. J’ai la sensation de me situer à la croisée des chemins et de guetter un signe pour me laisser tenter. Je n'ai pas eu la chance de visiter la plupart des pays mentionnés. Depuis mon plus jeune âge, ma mère m’encourage dans la pratique des langues. En plus d'envisager de beaux voyages, pour mes études

. Toujours dans mes réflexions, je réagis à peine quand une jeune femme me bouscule. Elle s’excuse et son amie la réprimande en me souriant. Je reconnais le coréen du Sud. Les deux Coréennes gloussent comme des adolescentes m'arrachant un semblant de rictus. Leurs babillages m’informent qu’elles s'apprêtent à dévaliser une boutique avant de monter dans l'avion. Malgré moi, intriguée, je les observe discrètement alors qu'elle pousse la porte d'un magasin.

J’apprends des jeunes femmes qu'il gèle au pays du matin frais et en particulier à Séoul où les températures restent négatives même en journée. Cet étalage de tissus me ramène brutalement à ma condition : il n’y a qu’un change dans ma petite valise. C’est peu pour quelqu’un qui envisage de s’installer durablement à l’étranger. J’entre à mon tour dans la boutique.

Les Coréennes règlent leurs achats quand j’inspecte les portants. Une vendeuse m’accoste.

— Bonjour, Madame, puis-je vous aider ?

— Bonjour. J'aimerais essayer le manteau en cachemire situé dans la vitrine. En taille 38, s’il vous plaît.

Le son de ma voix, erratique il y a encore quelques heures, me surprend par son calme.

— Bien sûr. Veuillez m'excuser une petite minute.

L'employée disparaît dans l’arrière-boutique. Juste le temps pour moi d’inspecter d’autres vêtements. Elle me présente celui que j'ai demandé et différents modèles auquel je succombe immédiatement.

— Le tissu doux et confortable. Il épouse parfaitement votre morphologie et la souligne joliment.

La vendeuse me flatte inutilement. Dans un coin du miroir mon regard est captivé par les deux coréennes les bras chargés de paquets.

Je suis décidée. Plus rien ne peut m'arrêter.

— Il vous va très bien, m'annonce-t-elle tout sourire.

La glace me renvoie le reflet d’une blonde élégante au yeux extrêmement triste.

— Il est parfait, je l'achète. En quelles autres couleurs l’avez-vous ?

La vendeuse hausse un sourcil étonné.

— Il existe en gris, blanc et noir.

Je retire le manteau.

— Je prends les trois.

Saisie tout à coup d’une vraie frénésie, je me surprends à sélectionner deux tenues. Une pour l’été et une pour l’hiver. Ce qui aura pour effet de brouiller les pistes quand Bruno viendra demander des explications.

Les achats consignés, la vendeuse dépose le TPE devant moi.

— Souhaitez-vous autre chose, madame ?

— Non, je vous remercie.

Le montant qui s’affiche sur la caisse correspond à quelques euros près à ce qui reste sur le compte joint.

Un dernier cadeau pour toi, mon trésor.

Une fois la transaction enregistrée, je laisse la carte tomber sur le sol.

De mon talon, je raye et abîme la bande magnétique. Elle me tend une ciseau, comprenant ma démarche.

— Quelqu’un va venir la récupérer d’ici quelques jours. Vous pourriez la mettre de côté ?

Je la coupe en quatre morceaux que je lui tends. La vendeuse, amusée, acquiesce et la range dans une enveloppe qu’elle dépose sous le comptoir. Pendant quelques minutes, nous échangeons des banalités tandis qu’elle plie soigneusement mes vêtements dans ma valise.

— Vous êtes la bienvenue dans nos boutiques. Nous sommes situés dans la plupart des aéroports internationaux en Europe et en Asie. Je vous souhaite un bon vol.

Je quitte le magasin.

Il me reste la troisième partie de mon plan.

Je trouve une borne WI-FI et me connecte sur mon agence bancaire. Le site me propose un T'chat. Mon père m’avait promis qu’il n’y aurait plus jamais de jours fériés ou dimanche dans ma nouvelle banque. Il avait raison.

Je donne l’ordre à mon conseiller de me désolidariser du compte joint. Les quelques euros qui restent ne pèsent pas lourd en comparaison de l'énormité du solde de gauche. Le montant me fait extrêmement angoisser et je jette des regards nerveux autour de moi. Les gens s’affairent et personne ne m'accorde la moindre attention.

Plus rien désormais ne me relit à Bruno.

La cerise sur le gâteau c’est la vente de mon appartement parisien, dont la transaction s’affiche en vert. Bruno s'imagine encore que je vais bientôt sagement rentrer. Il ignore tout de mon emploi du temps et doit supposer que les cours me tiennent loin de Paris. Jarvis, le fidèle second de mon père, s’occupe de la finalisation de la cession.

Ma vengeance accomplie, je suis vidée. Les larmes pointent de nouveau au coin de mes yeux.

Il a broyé mon cœur, je viens de piétiner sa vie.

Je déglutis tandis que j’avise une poubelle dont je m’approche. J’attrape le téléphone, l’éteins, le regarde, le retourne dans tous les sens et dans un geste anodin, l’envoie dans le fond du conteneur. Plus rien ne me retient à lui.

Pour la troisième fois, je scrute le panneau des départs, en quête d'un signe quelconque.

J’avance d’un pas hésitant vers les comptoirs des compagnies. Devant moi, de nouveau, les deux Coréennes. Elles attendent leur tour au guichet de la Korean Air.

Un sourire naît sur mes lèvres et j’essuie mes yeux du revers de ma main.

Pourquoi pas ?

Les deux jeunes femmes ne demandent qu’un petit renseignement et quittent le terminal en direction de la salle d’embarquement sans se départirent de leur jovialité.

L’hôtesse me regarde enfin.

— Bonjour, Madame, puis-je vous aider ?

— Bonjour. Je voudrais un vol pour Séoul.

Elle consulte son ordinateur.

— Comment souhaitez-vous voyager ?

— Le plus rapidement possible.

— Un avion décolle dans moins d'une heure pour une arrivée vers 14 h 55 demain après-midi. C'est le dernier du jour. celà vous convient-il ?

— Parfaitement. Je vous en remercie.

Elle prend mes papiers et prépare mon billet. Je règle, cette fois sans ciller, avec ma carte noire. L’hôtesse me remet le document d’embarquement et le passeport.

— La salle de départ se trouve sur votre droite, après les portes bleues. Bon vol, madame.

— Bonne journé à vous.

Une fois le contrôle passé, je constate qu'il n’y a que quelques personnes dans le terminal. Alors que je me lève et avance vers le stewart qui nous ouvre le chemin vers l’appareil, le téléphone offert par mes parents, vibre dans ma poche.

« Je suis très fier de toi, de ce que tu es. Quitter ce minable, c’est le plus beau des cadeaux. Il ne te retrouvera pas, fais-moi confiance. Je t’aime ma petite chérie. »

Mon père a toujours les mots justes qui entrent dans mon cœur et le ravive. Cette fois, les larmes débordent et c’est en sanglot que je tends ma carte à l’agent d'embarquement qui m’accorde un regard confus.

— Merci, papa.

Je murmure tandis que l'hôtesse m’accompagne à ma place et que je coupe le réseau de mon téléphone. La lumière froide et blanche m'oblige à cligner des paupières, l’air chaud me conforte dans l'idée que j'ai sous-estimé le chauffage de l'avion et une légère odeur de détergent s'invite dans mes narines quand je m’installe sur mon siège. Je n'imaginais pas que la classe affaires offrait autant d'espace. Je ferme les yeux tandis que le vrombissement des moteurs indique que nous décollons. La tête calée sur le coussin, je finis par lâcher prise et m’endors enfin.

Annotations

Vous aimez lire M. L. SCOTT ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0