7. Le savoir est une arme

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La jeune fille se précipita derrière une étagère et manqua de trébucher, privée de l'articulation de son genou. De nouveaux coups de feu retentirent sans tarder. Des livres furent transpercés de tous côtés dans un sifflement furieux, mais aucune balle ne parvint à l'atteindre, cette fois.

Liva se baissa du mieux qu'elle put malgré l'élancement lancinant dans sa jambe et rampa à l'autre bout du rayon, son arme pointée droit devant elle. Dès qu'elle entraperçut la silhouette de l'un des trois soldats de l'autre côté de l'étagère, elle n'hésita pas à faire feu.

L'homme fut touché et poussa un grognement rageur, mais ne flancha pas. Liva, paniquée, songeait qu'elle serait bientôt à court de munitions et craignait de se faire encercler par le trio.

Un mouvement furtif à sa droite lui fit brusquement tourner la tête. Trop tard, une détonation résonna dans la large pièce, sitôt suivie d'une seconde, qui ne fut pas sans conséquence pour son épaule droite. Liva tira à son tour, réussit à atteindre son adversaire, puis tituba et se retira de nouveau derrière le rayon.

En poussant un gémissement de douleur, elle palpa fébrilement sa plaie. Du sang suintait abondamment de son épaule en loques.

Elle souffrait le martyr mais ne pouvait se permettre de s'éterniser ainsi, sans défense. Elle en profita pour recharger son arme et roula sur le côté sans pouvoir retenir une exlamation de souffrance.

Ainsi allongée, elle avait une vue d'ensemble sur la moitié inférieure de la salle sans être vue. Elle distingua tout de suite l'homme qu'elle avait blessé un peu plus tôt, il cherchait à contourner un rayon.

Une cartouche plus tard, il s'écroulait dans un cri et agonisait par terre.

Liva concentra alors ses dernières forces sur son ultime opposant, qui s'agenouillait afin de la viser. La jeune femme saisit l'occasion et appuya sur la gâchette. Elle l'atteignit au pied et poussa un juron, peu satisfaite de la blessure infligée. Toutefois, cela lui laissait le temps de renouveler son tir, ce qu'elle fit de manière quasiment automatique.

Encore une balle, puis deux. Le soldat finit par chanceler et tira au hasard en face de lui, sans la toucher, avant de tomber face contre terre dans un dernier râle.

Liva resta allongée un long moment, baignant dans son sang, le visage tordu d'une grimace. Elle finit par se relever sur un coude, par des mouvements saccadés et lents. Son épaule meurtrie l'empêchait de faire usage de son bras droit, aussi ce fut pour elle une laborieuse épreuve de se mettre debout. Elle tremblait de tout son corps, ses mains dégoulinantes de sang avaient de plus en plus mal à s'agripper à l'étagère sur laquelle elle s'appuyait. La jeune fille sentait l'énergie la quitter, et se mettre sur ses pieds avait sapé ce qui restait de ses forces.

Lentement, fastidieusement, boitillant, elle marcha pas à pas le long du rayon, duquel s'écoulait encore des gouttes d'essence. Son regard tomba sur les corps inanimés de ses dernières victimes lorsqu'elle fit le tour de l'étagère.

"J'ai réussi," se dit-elle, sans pour autant en ressentir une quelconque félicité.

Elle se demandait comment elle avait pu, à elle seule, décimer l'entièreté d'une troupe de soldats armés. L'effet de surprise avait constitué son meilleur allié au rez-de-chaussée ; son courage, la chance, sa rapidité et son habileté l'avaient sauvée à l'étage.

En contemplant la grande salle, Liva fut tout de même satisfaite de ses accomplissements. Même si la plupart des ouvrages avaient été arrosés d'essence, elle était parvenue à empêcher leur destruction complète.

Mais il lui restait une dernière tâche à accomplir, avant de s'estimer victorieuse.

Elle boita avec difficulté jusqu'au corps de l'officier le plus proche et se pencha sur lui pour saisir son talkie-walkie. Dans une imitation plutôt convaincante de l'homme qu'elle avait abattu, la jeune fille annonça d'une voix aussi posée et autoritaire que possible, que la bibliothèque avait bien pris feu et que la mission était accomplie.

La réponse ne se fit pas attendre. Liva ajouta ensuite que toute la troupe était bien sur le retour, déplorant cependant la perte d'un jeune soldat recruté la veille, tué par le sergent. Elle donna la localisation d'un petit village, se rappelant du nom de celui qu'ils avaient traversé plus tôt dans l'après-midi. Satisfaite mais tout de même accablée par le désespoir, elle laissa tomber l'appareil au sol et s'écroula à son tour en respirant bruyamment. Elle avait été aussi précise et convaincante que possible dans sa déclaration, pour laisser entendre qu'il n'y avait aucunement besoin de vérifier si la bibliothèque était bien détruite.

Ainsi, les savoirs renfermés dans les pages trempées d'essence des derniers livres du pays, ne disparaitraient pas, du moins pas prochainement. Elle espérait simplement qu'après elle, d'autres seraient là pour les défendre comme elle l'avait fait. Le savoir et la raison méritaient de lui survivre, songeait-elle en expirant pour la toute dernière fois.

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