4. L'apparition

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- T'as tout vidé, toi ? l'interrogea le sergent en s'approchant de Liva, qui avait rapidement séché ses larmes.

Le soldat braqua ses yeux porcins sur le bidon d'essence désormais à sec de la jeune femme et poursuivit :

- Prends celui-là, va. Il doit rester deux ou trois rayons à asperger, et ensuite on fout le feu.

Liva saisit le bidon plein qu'il lui tendait et le gratifia d'un "merci, sergent" bien hypocrite. L'homme leva les yeux de son jerrican mais ne contempla pas son visage. Liva avait l'habitude, désormais. Sa poitrine généreuse l'avait toujours complexée, maintenant elle la haïssait purement, de la rendre aussi vulnérable.

- J'avais pas encore remarqué, mais t'es une sacrée bonnasse, souffla le sergent sans lâcher ses seins des yeux.

Il avait amorcé le geste de tendre une main vers elle, mais la jeune fille fit mine de ne pas l'avoir remarqué et se détourna pour commencer à vider le contenu de son nouveau bidon.

L'homme n'insista pas, ce qui n'était pas si étonnant, puisqu'il avait le loisir d'abuser de chaque femme du bataillon s'il le désirait. Visiblement, il était pressé. Liva s'éloigna de lui aussi vite que possible en prenant toutefois garde à ne pas montrer son impatience de le fuir. Lorsque trois rangées les séparèrent, elle s'autorisa enfin à pousser un soupir de soulagement.

En regardant autour d'elle, elle s'aperçut que ses compagnons d'armes et de jerricanes ne tarderaient pas à atteindre le fond de la bibliothèque. Toutes ces mémoires, cette richesse des mots, ces histoires et ces dernières archives allaient bientôt partir en fumée... Les ouvrages étaient déjà trempés d'essence, leur sort était scellé.

Liva secoua tristement la tête en chassant le pincement au coeur qu'elle ressentait au fond d'elle. C'était ainsi, il n'y avait rien à faire. Pourquoi s'opposer aux décisions irrévocables de ses supérieurs, de toute manière ?

Oui, mais pourquoi continuer à vivre cet enfer ? Pourquoi continuer à obéir, à voir des cadavres d'un côté ou ses collègues cirer les pompes d'un sergent que tous haïssaient de l'autre ? Pourquoi continuer à perpétuer les abominations qui la révoltaient ? Qu'avait-elle encore à perdre ?

Liva avait presque déversé toute l'essence de son nouveau bidon et s'apprêtait à sortir de la rangée dans laquelle elle marchait pour rejoindre l'allée principale. Mais au détour du rayon, elle fit face à l'une de ses collègues et poussa un cri de stupeur à sa vue.

C'était le visage de sa mère qu'elle avait cru voir peint sur les traits de la femme.

- Qu'est-ce que t'as ? lança cette dernière d'un ton dédaigneux. Je t'ai fait peur ? Pourquoi tu me fixes, salope ?

Liva fut incapable de prononcer le moindre mot. Elle était figée, les yeux écarquillés, ne pouvant s'empêcher de dévisager la femme. Elle en était certaine, l'espace d'un instant, elle avait vu sa mère. Enfin, c'est ce qu'elle pensait, mais elle ne parvenait pas à le croire. Sa mère était morte. Mais elle n'avait pas rêvé, elle le savait. Ce n'était pas une hallucination visuelle, non, elle avait distinctement reconnu les traits fins, les yeux verts en amande, la petite bouche, le nez aquilin dont elle avait hérité, même dans l'obscurité de la bibliothèque. Durant une fraction de seconde, sa mère lui était apparue à la place de la bonne femme qu'elle avait en face d'elle.

- T'es bouchée, connasse ?! Tu veux quoi ? Mon poing dans ta gueule pour te réveiller ? éructa hargneusement cette dernière devant le mutisme de Liva. Hé, oh !

La jeune fille parvint enfin à détacher son regard d'elle et quelques mots franchirent ses lèvres :

- Pa... Pardon... J'ai cru... J'ai cru voir...

Puis elle se prit le visage dans les mains pour éviter que la femme ne voie les larmes qui revenaient lui piquer les yeux et prit ses jambes tremblantes à son cou.

Elle se laissa choir contre une étagère dégoulinante d'essence, sur laquelle un petit écriteau indiquait "K7 ;)". Des sanglots secouèrent ses épaules et elle ne put retenir un gémissement de désespoir.

Que lui arrivait-elle ?

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