1. La recrue

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Du sang tachait les murs de - l'ancienne - petite boulangerie. La porte d'entrée, qui semblait avoir été enfoncée à coups de pieds répétés, penchait dangereusement en arrière sur ses gonds rouillés.

Liva ne s'arrêta pas devant les cadavres en décomposition avancée qui jonchaient la rue pavée, pas plus qu'elle ne l'avait fait ailleurs en traversant le village. Ses collègues marchaient d'un bon pas, l'air important. Elle savait que ce n'était qu'une expression de façade, derrière leurs masques de militaires endurcis se tapissait leur désarroi, qu'elle partageait depuis la purge.

Partout dans le village qu'ils arpentaient d'une démarche pressée, des armes, des dépouilles humaines et d'animaux tapissaient les rues, vestiges des récents combats. Liva ne s'en écoeurait plus, la vision de toutes ces horreurs la laissait maintenant indifférente. Après avoir vu son copain et sa meilleure amie se faire respectivement trancher la gorge et tirer une balle en plein front, plus rien ne pouvait heurter sa sensibilité.

Lorsqu'elle était rentrée chez elle en pleurant toutes les larmes de son frêle corps, le jour où ils avaient été tués, elle avait tout de suite appelé ses parents. Secouée de sanglots incontrolables, encore tremblante et en état de choc, il lui avait fallu un certain temps pour parvenir à trouver leur numéro dans le répertoire de ses contacts. Une sonnerie, deux sonneries, trois... Elle avait rappelé, rappelé encore, rappelé dix fois. Ils n'avaient jamais répondu.

A cet instant-là, elle ne comprenait pas ce qui se passait, elle ne savait pas encore. Elle ignorait qu'elle serait l'une des rares survivantes du massacre national qui s'opérait, pendant qu'elle tenait fébrilement le combiné, dans l'attente d'un "Allô ?" qui ne viendrait jamais.

Aucune ville, aucun village, pas même les lieux-dits n'avaient été épargnés. Ca avait été l'histoire de quelques semaines, puis la boucherie avait pris fin. Elle ne visait pas à éradiquer l'espèce humaine, cela aurait été bien stupide de la part des dirigeants - quoique plutôt pertinent si on songeait à sa propre bêtise -. Non, il s'agissait plutôt d'une purge, tel que l'avaient déclaré les chefs des gouvernements un peu partout dans le monde. Cette immense tuerie dont le champ d'action s'étendait sur toute la surface du globe n'avait pas fait de jaloux, tous les pays avaient effectivement été touchés.

Les combats entre les forces armées et les civils refusant de se plier aux ordres de l'Etat ou tout bonnement destinés à être abattus, n'avaient cessé qu'un mois plus tôt. Depuis, les quelques rescapés qui avaient su se garder de sortir de leur habitation durant les affrontements, avaient été réquisitionnés pour intégrer les forces de l'ordre. Ceux qui avaient refusé de coopérer ou s'étaient avérés trop faibles, blessés, avaient été décimés, sans autre forme de procès. Les Etats ne voulaient plus des faibles. Ils ne voulaient plus des indésirables, ni des gens différents. Mais ils ne voulaient pas de résistants non plus. Ils voulaient contrôler les citoyens et avoir les pleins pouvoirs sur leur sort. L'hypocrisie de leurs discours d'un temps sur la diversité et l'inclusion s'était révélée, publiquement affichée comme l'étendard de leur pouvoir.

Lorsqu'ils avaient été certains d'exercer une pression irrévocable sur les peuples, dont le nombre d'habitants était désormais trop faible pour qu'ils puissent renverser le gouvernement, ils avaient frappé aux portes pour les recruter.

Liva n'avait pas eu le choix quand trois hommes étaient arrivés dans son appartement. Enfin, si, elle l'avait eu. Et elle avait préféré survivre à sa famille et à ses amis. Bien que ce fut en ternissant leur mémoire par le fait de s'engager dans l'armée qui les avait exterminés.

C'était ainsi que la jeune fille, encore bouleversée par l'assassinat de ses proches, s'était retrouvée dans les rangs des forces de l'ordre.

Depuis qu'elle les avait intégré, elle avait perpétué leurs terribles méfaits et enrôlé à son tour les survivants, ou descendu les récalcitrants.

Tel était son devoir désormais. Et elle ne pouvait rien faire pour s'en exonérer, ni échapper aux autorités.

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