Nyx n'est plus seule

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Les étoiles constellaient le ciel, lisse, bleu et merveilleux. Ce soir marquait le mois qui s’était écoulé, et pourtant Priuma ne revit plus la sorcière. Elle alla chaque nuit, depuis ce jour, à la rive des deux lacs et observa le reflet du ciel à la surface de l’eau.

— Pourquoi la nuit est-elle aussi noire ? se disait-elle, à voix haute. N’y a-t-il rien pour éclairer lorsque l'étoile s'en va ? le Soleil n’a-t-il donc pas de sœur ?

Ses murmures eurent un écho, puisqu’une créature sortie de l’eau vint à elle et lui répondit :

— Serais-tu prête à donner ta lumière pour illuminer Nyx ? à observer le monde de si loin sans pouvoir l’atteindre à nouveau ?

Priuma sursauta, sa surprise n’était pas seulement due à la réponse inattendue mais également car la créature qui lui faisait face était également une nymphe. Elles ne quittaient jamais l’eau et l’évitaient comme la peste. Ce pourquoi, Priuma se montra méfiante aux premiers abords.

— Que faites-vous là et qui êtes-vous ?

— Je suis la messagère et je reconnais la lune quand je la vois.

Malgré sa voix douce et mélodieuse, ses propos étaient dénués de sens.

— Regardez la voûte céleste et dites-moi, que voyez-vous ?

— Un ciel étoilé, répondit-elle aussitôt.

— Eh bien, sachez qu’il n’en fût pas toujours ainsi ! Le Soleil avait une sœur, moins imposante est plus aimante mais elle n’est plus. On lui a volé son essence et elle se trouve aujourd’hui en vous. Votre lumière, c’est la sienne. Vous devez y retourner, les eaux du monde ont besoin de leur guide et votre présence tangible sur Trae déséquilibre les forces de la nature !

— Qu’est-ce que vous racontez ?

— Vous comprendrez et le jour venu, vous n’aurez plus le choix : retourner au ciel sera votre salut.

Et la créature disparût dans l’eau aussi vite qu’elle était venue.

Priuma n’oublia jamais ses propos et sans qu’elle n’ait le temps de les assimiler la sorcière venait à elle.

— Approchez, mon enfant ! exigea-t-elle de sa voix aussi grinçante que du papier de verre. Accompagnez-moi, je vous mènerai à lui.

Priuma obéit sans attendre. Un long chemin sinueux, qu’avait tracé la sorcière, s’étendait à travers brume vaporeuse et végétations denses. Un château délabré se tenait là, au sein d'une forêt inhospitalière et obscure. Ce spectacle était aussi paradoxal que naturel, et la structure et complexité du castel ne faisaient aucun doute sur sa magnificence d’antan. Pas même un corbeau ne croissait et le silence emplissait la nuit. Priuma ne s’était jamais aventurée dans cette partie du bois qui entourait le haut de la rive car on le disait maudit.

— Petit devint grand, et par-là le plus beaux des hommes, chantonnait la vieille alors qu’elle approchait d’une silhouette masculine.

La sorcière ne mentait pas : un seul regard échangé et le cœur de la nymphe en fut ravi. Priuma le regardait sans détour et en son for intérieur, elle se languissait déjà de son étreinte qu’elle n’avait encore jamais partagé.


— Voici l’âme sœur que je t’avais promis, mon fils.

Ce dernier semblait partager la stupéfaction de la nymphe.

— Donnez-moi l’enfant que je désire et je vous quitterai tous deux à jamais.

L’homme mystérieux à la chevelure noire était ravi, la perspective de ne plus jamais revoir la créature le réjouissait. Il alla à Priuma puis l’invita à se joindre à lui dans l’eau froide des deux lacs.



-



Quelques mois plus tard, le ventre de Priuma s’était bien arrondi. Son amour pour cet enfant s’accrût chaque jour un peu plus, tout comme sa peine car un jour elle devra l’abandonner. Mais plus il approchait, moins elle se résignait à l’offrir en sacrifice à cette horrible créature. Elle comprit alors que sa solitude fut comblée par cette présence en elle et que tout l’amour que pouvait lui donner l’Homme ne pouvait la rendre heureuse. La venue au monde de l’enfant était imminente lorsqu’elle se rendit une fois de plus aux lacs, tard dans la nuit, et attendit.


La messagère répondit à son appel silencieux et vint à elle une fois de plus.

— Le jour vient et avec lui la nuit éclairée.

— J’ai promis mon enfant à une horrible sorcière mais je ne peux me résoudre à la lui donner ! s’exclama-t-elle, sans considération pour les mots de la nymphe. Vous m’aviez dit, l’autre nuit, qu’il était possible que je m’en aille si loin que je ne puis rejoindre le monde, y serions-nous en sûreté ?

La messagère secoua la tête de tristesse.

— Votre enfant... Une deuxième lune ? Peut-être. Vous deviendriez inatteignables mais jamais plus vous ne vous rencontrerez, à l’exception du jour de l’Éclipse.

Sans tenter de comprendre, Priuma pria la messagère de l’aider à atteindre le ciel. Cette dernière lui expliqua qu’elle devait attendre la naissance future, sinon l’enfant sera à jamais prisonnier en son sein.


Une petite fille vint au monde dans les bras d’Arhidal le pêcheur, des larmes de joie et de peine se mêlaient sur ses joues alors qu’il déposait délicatement l’enfant dans les bras de sa mère.

— Alors, tu me quittes, ma chère petite.

— Je n’ai pas le choix, père. Elle va me la prendre, et sans doute jamais ne me laissera-t-elle en paix !

— Tout ceci est de ma faute, si je ne t’avais jamais transmis ce maudit coquillage !

— Père, cessez de vous tourmenter ! Sans cela, je n’aurais pas eu ma tendre... Dœus, ma petite Dœus, c’est comme cela que je vais te nommer.

Arhidal eut un sourire sincère à l’entente de ce prénom car Priuma signifiait la première et Dœus la seconde, il eut alors l’impression d’avoir une deuxième fille mais qui allait le quitter aussi vite qu’il l’avait rencontré. Le chagrin le dévorait déjà.


Priuma s’était dressée à la vue de la messagère, debout à la surface des deux lacs.

— Je m’en vais père, c’est maintenant.

Il garda le silence, ses hoquets et pleurs étouffés.

— Je vous aime père, et je ne vous oublierai jamais. Je veillerai sur vous éternellement de là-haut.

— Et moi, je regarderai toujours haut dans le ciel.


Une dernière étreinte partagée, puis Priuma le quitta.


Lorsque les deux nymphes furent réunies à la surface calme de l’étendue, la messagère les recommanda au ciel sans attendre. Alors que Priuma et son enfant se muaient en lueurs dansantes volant haut vers le ciel, la sorcière vint, déchaînée et en colère contre la trahison qui lui était faite.


— Vous croyez m’échapper ? Regardez votre enfant pour la dernière fois car après aujourd’hui vous ne serez plus l’une près de l’autre et les étoiles vous éloigneront ! Je vous condamne à prendre chair et os, lunes maudites, quand l’Éclipse rouge vous frappera de sa lumière. Vous descendrez ici bas, pour qu’en ce jour-là je vienne dévorer votre âme. Cette malédiction vous affligera jusqu’à la fin des temps !


Une dernière plainte échappa à Priuma avant qu’elle ne disparaisse elle et son enfant. Une lune immense aux anneaux nuancés de bleu apparût, et une autre plus modeste vit également le jour, mais à l’autre bout du ciel, si loin que la mère nymphe ne put apercevoir son enfant.


Et cela perdura des siècles et des siècles. Mais, lorsque l’Eclipse rouge apparaissait, mère et fille tentaient de se rejoindre et de s’étreindre une fois leur enveloppe charnelle retrouvée.


La légende raconte que si cela venait à arriver, mère et fille seraient libérées de la malédiction qui pesaient sur elles. Une rumeur répandait qu'en tuant la sorcière et en rendant son corps en cendres à la terre, on pouvait également mettre un terme à leur souffrance mais qui serait assez fou pour défier la chose ?



FIN 

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