La planète des jeux

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Prenons nos cahiers et nos crayons. Ce sont nos armes les plus puissante. Malala Yousafzaï (prix Nobel de la paix 2014).

L'éducation est l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour changer le monde. Nelson Mandela.

***

 La nuit tombait sur Moscou, mais la faible clarté qui filtrait encore entre les nuages épars cristallisait l'éclat des coupoles d'or des églises. Une neige épaisse recouvrait les palais et les cathédrales du Kremlin. La Moskova était gelée. Dans son bureau, à la porte duquel veillaient deux gardes armés, le président russe conférait avec un diplomate.

— J'ai pensé que nous pourrions trouver un moyen de régler ce différend d'une manière pacifique, dit le jeune ambassadeur du Badgikistan.

— Je vous écoute, répondit le président russe Fedor Beliavski, avec l'air détaché de quelqu'un qui a déjà arrêté sa décision.

 L'ambassadeur prit le temps de bien regarder son interlocuteur dans les yeux, pour être sûr de capter son attention.

— Que pensez-vous d'une partie d'échecs ?

Le président ne répondit pas tout de suite, il était déstabilisé. Il ne s'attendait pas à une telle déclaration. Un moment, il crut qu'il s'agissait d'une plaisanterie, mais l'ambassadeur n'avait pas l'attitude de badiner et les circonstances ne s'y prêtaient pas non plus. La Russie ne menaçait rien moins que d'envahir militairement une province du Badgikistan qui longeait la frontière russe.

— Vous êtes sérieux ? demanda le président.

— Je n'ai jamais été aussi sérieux, répliqua l'ambassadeur. Ce match pourrait se jouer en pays neutre, dans un mois ou deux, selon le temps que vous estimerez nécessaire pour la préparation de votre champion.

 L'idée commençait à faire son chemin dans l'esprit du président russe, qui ne pouvait rester indifférent à une telle suggestion. Les échecs étaient le sport national en Russie, qui chaque année, remportait le championnat du monde. Le Badgikistan était un petit pays classé au 82e rang mondial dans ce domaine. Le résultat d'un tel match était couru d'avance.

Le président voulut tester la détermination de l'ambassadeur.

— Voilà une proposition très originale, mais utopique.

L'ambassadeur développa son argumentation :

— Nous pouvons retrouver sur un échiquier les mêmes ingrédients que ceux qui composent un conflit armé. Chaque adversaire déploie sa tactique et sa stratégie, mais au lieu d'utiliser des armes létales, nous utilisons notre intelligence. Au final, c'est l'esprit qui gagne et non la masse. C'est la volonté, la détermination, la concentration qui l'emportent et non le hasard ou la force brute.

 Il poursuivit par des considérations générales sur l'art de la guerre et l'art du gouvernement, dont le jeu d'échecs était le paradigme. Il disserta sur la symbolique des pions, le petit peuple, sur lequel repose la victoire ou la défaite sans que, pour autant, celui-ci prétende gouverner l'échiquier.

 Beliavski songea que son interlocuteur témoignait d'une certaine outrecuidance à vouloir lui expliquer la philosophie du jeu d'échecs. Pourtant, il commença à se projeter dans la perspective présentée par le diplomate. Ce mode de règlement présentait aussi des avantages évidents sur le plan économique.

— Et quelles seront vos revendications si vous gagnez le match ?

— Si nous l'emportons, nous vous demandons de vous engager solennellement devant l'ONU à ne jamais recourir à la force armée contre le Badgikistan. Nous nous engageons à faire la même déclaration à l'égard de la Russie bien évidemment et si c'est votre champion qui l'emporte, nous nous engageons à prendre toutes les dispositions nécessaires pour vous permettre d'annexer pacifiquement les territoires que vous revendiquez.

 Le président russe, qui avait d'abord été abasourdi par cette suggestion, commençait maintenant à réfléchir sérieusement à sa mise en oeuvre.

 Quelques semaines après cet entretien, la nouvelle fit les gros titres des journaux. Un match d'échecs en dix parties allait avoir lieu entre le champion du Badgikistan et le champion russe. L'issue du match déterminerait les conditions de résolution du conflit entre les deux pays.

 Conformément aux prévisions de Beliavski la Russie l'emporta facilement. Le match prit fin dès la sixième victoire consécutive du champion russe. L'accord pouvait s'appliquer, mais la Russie, heureuse d'avoir pu démontrer sa supériorité intellectuelle et son humanisme, se montra particulièrement peu revendicative. Le retentissement mondial de cette compétition et de son enjeu eurent pour effet d'élever l'image de marque des deux pays et en particulier celui de la Russie. La cote de popularité du président russe fit un bond spectaculaire. Au lieu d'une annexion totale, des accords de marchés furent signés entre les deux pays. La Russie y trouva des avantages économiques importants et s'en contenta. Accessoirement, les cercles d'échecs battirent des records d'inscription.

 Le succès de cette initiative fut tel que tous les diplomates du monde envisagèrent de généraliser cette méthode.

  Des matchs d'échecs, puis des tournois opposant plusieurs équipes entre elles, s'organisèrent un peu partout dans le monde pour régler toutes sortes de conflit. Certains pays proposèrent d'étendre le procédé en instituant des joutes culturelles. Les problèmes se réglaient non pas en discussions, palabres ou menaces qui se terminaient sur le terrain militaire, mais tout simplement en jeux où les pays s'affrontaient sur le plan des connaissances.

  Deux nations en conflit s'opposaient en se questionnant mutuellement sur l'histoire du pays adverse. Le vainqueur devait démontrer une connaissance approfondie de la culture du pays avec lequel il était en conflit. Il en résulta un effet secondaire exceptionnel. Chaque Etat commença à mettre en oeuvre des moyens de plus en plus importants pour favoriser le développement des connaissances et pas seulement dans le domaine du jeu d'échecs, car les querelles se réglaient aussi par des concours d'éloquences ou de connaissance des arts et des sciences.

 Le développement de la culture était devenu un enjeu stratégique primordial. Les budgets militaires furent affectés aux ministères de la culture et de l'éducation. Le point culminant fut atteint lorsque l'ONU créa la "sécurité culturelle", qui permettait le remboursement des livres. Il suivit, la gratuité des musées, des théâtres et des cinémas.

 Et que croyez-vous qu'il arriva ?

 Il n'était plus nécessaire de régler les conflits, car ceux-ci avaient disparu. Dans le passé, ils avaient toujours eu pour origine, l'incompréhension et l'intolérance. Ces deux fléaux étaient désormais éradiqués par la diffusion du savoir, aucun litige important ne pouvait plus s'élever.

 La devise mondiale devint : "Apprendre pour connaître, connaître pour comprendre, comprendre pour aimer".

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