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Derreck ouvre de grands yeux ronds et se relève brusquement. Dokkrus est un Grand Dépravé ? Comment ? Pourquoi ? Il ne parvient pas à se focaliser, son esprit bouillonne d’interrogations. Catlyn lui murmure : « Est-ce que ça va ? » Le jeune homme s’agrippe le menton et réfléchit à toute vitesse. Si Dokkrus est déjà un élu de Yag, pourquoi le dieu sombre aurait-il eu besoin de Derreck ? Il se met à tourner en rond dans la bibliothèque et à haleter. La roublarde remarque sa détresse et lui agrippe le poignet : « Que se passe-t-il ? » Il secoue la tête :

-Je ne comprends pas… Ça n’a aucun sens... » Elle le force à s’arrêter. Désigne le journal et lui dit :

-Il doit y avoir des réponses là dedans. Lisons-le ensemble, d’accord ? » Le jeune homme accepte, et ils s’installent côte à côte.

Je suis né sur dans la Péninsule d’Argantael. Fils cadet, j’ai été moins soutenu que mon frère aîné qui a bénéficié d’une éducation militaire. Pour ma part, j’ai quitté le domicile familial très jeune. J’étais un enfant non désiré, battu par ma mère. À l’âge de quatorze ans, je me suis caché sur un navire en partance vers le continent. J’ai été découvert par les marins qui m’ont conduit au capitaine. Il se nommait Archibald Friberg, Ce dernier a écouté mon histoire, et a proposé de m’accueillir sur son bâtiment pour en devenir un membre d’équipage. Les premiers temps ont été difficiles, je ne le cache pas. J’ai souvent voulu abandonner, mais Archibald m’a poussé à me surpasser, et trois ans plus tard je devenais son second. Il m’enseigna la lecture et l’écriture ainsi que le calcul et la navigation. La vie était simple, et j’aimais ce travail. Chaque fois que nous mettions pied à terre, je brûlais ma solde en alcool et putes. Je ne pouvais pas garder ma bite dans mon pantalon, et les autres matelots étaient comme moi. Si nous débarquions dans un port, le bordel local faisait fortune !

Mais tout s’est arrêté quand un soir, j’ai trop bu. Je me souviens être entré dans une maison close, y avoir chahuté avec des filles. Puis plus rien. Le néant complet. Je me suis réveillé dans un monde rouge et pourpre, face à un homme revêtant mon apparence, mais bien plus séduisant. Il s’agissait du dieu de la Dépravation, Yagdramor’Ernalghalertai. Il m’a appris que j’étais mort, et qu’il voulait me ramener à la vie, à condition que j’accepte de travailler pour lui. J’ai naturellement accepté, il m’a ordonné de trouver son temple dans la ville de Padreva et je me suis réveillé échoué sur une plage de Torlagos. J’ai pris peur lorsque j’ai toussé une fumée carmin et violette, mais le phénomène s’est apaisé après quelques heures. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une contre-coup de ma résurrection et ne m’en suis pas inquiété plus avant.

Je suis parvenu à m’orienter et après une semaine de voyage, je suis arrivé au temple, guidé par une ombre étrange. Ce lieu m’a coupé le souffle, mais il était vide et abandonné. J’ai mis un peu de temps à en comprendre le fonctionnement, puis j’ai entrepris de lui redonner son éclat d’antan.

Derreck inspire profondément. La suite n’est qu’un ramassis d’anecdotes grivoises et de récits graphiques des conquêtes de Dokkrus. Il découvre que le vieux dépravé était une véritable tête brûlée, qu’il ne reculait devant aucune bassesse pour s’adjoindre le concours de toutes les femmes qu’il rencontrait. Un passage attire son attention et il se concentre, la porte de la bibliothèque s’ouvre et il sursaute. Rose passe la tête par l’embrasure et sourit. Derreck se rue sur elle, la fait entrer inquiet et vérifie le couloir. Aucun signe de Dokkrus, il referme la porte et murmure avec angoisse : « Qu’est-ce que tu fais là ?! » Elle semble quelque peu fatiguée et déclare :

-Je me suis réveillée pour aller aux latrines… je retournais me coucher. Et toi ? » Derreck regarde autour de lui avec embarras, il s’apprête à présenter Catlyn, mais ne voit pas cette dernière. Il fronce les sourcils et fait un tour complet sur lui même. Il bredouille : « Je… je lisais... » Elle s’approche de lui et demande innocemment :

-Tu as besoin de compagnie ? » Avant de lui faire les yeux ronds : « Je te laisse continuer ta lecture bien sûr. » Il se retourne et attrape le carnet de Dokkrus, quand il revient à Rose, Catlyn est derrière elle. La roublarde la bâillonne d’une main et maintient une dague contre la gorge de Rose de l’autre. Derreck s’étrangle : « Qu’est-ce que tu fais ?! » Rose ne bouge pas d’un pouce et Catlyn chuchote :

-Elle va poser problème ? » Derreck s’approche avec crainte :

-Non, c’est une fille de Yag. Elle... » Il cherche ses mots : « Je lui fais confiance, et au besoin je peux utiliser le Verbe sur elle. Laisse-la s’il te plaît. » Comme à contre-cœur elle retire sa dague et recule. Rose se tourne vers elle, et à la surprise générale elle sourit :

-Tu es l’aventurière qui va nous rejoindre ? » Catlyn est décontenancée par la réaction de l’ancienne serveuse et répond en balbutiant :

-Euh… je… oui je crois... » Rose hoche la tête :

-J’ai vraiment hâte. Derreck et Dokkrus sont gentils avec moi, mais je m’ennuie parfois. Avoir une nouvelle amie me fera le plus grand bien. » Elle ajoute en rougissant : « D’autant que… je te trouve très belle... » Catlyn s’empourpre et est incapable de prononcer le moindre mot. Derreck pouffe de rire, offrant une échappatoire à la roublarde qui grogne d’un air menaçant :

-T’as un problème ? » Derreck, sourit, recule et lève les mains en l’air en signe d’apaisement :

-Je vais retourner à ma lecture... » Il s’assoit dans le fauteuil et replonge le nez dans le carnet.

Le temple s’est à nouveau étendu. La cour s’est allongée et de nouveaux quartiers ont été aménagés. Cet endroit ne cesse de m’émerveiller, il continue de croître en taille à chaque fois que j’agrandis mon harem. J’ai désormais vingt cinq filles de Yag à mes pieds. Quand elles ne sont pas à avec moi, elles comblent le moindre de mes besoins en s’occupant des tâches ménagères ou se livrent à des actes charnels entre elles ou sur l’autel. Je vis un véritable rêve.

Derreck lève les yeux du journal. Catlyn et Rose se sont mises dans un coin de la bibliothèque et discutent à voix basse. Il a l’impression que la roublarde séduit la serveuse qui affiche un sourire jusqu’aux oreilles. Il reprend sa lecture à un autre paragraphe.

Yag m’a encore visité dans mon sommeil. Il m’ordonne de me lancer à la quête d’un objet qu’il nomme un Aeth… chose. J’ignore ce que c’est, et je m’en moque. Si ce raté pense que je vais l’aider, il se trompe lourdement. Je sais ce qu’il est, j’ai lu le tome des secrets, ce bon-à-rien se prétend divin, mais il y a bien longtemps que ce n’est plus le cas. Hors de question que je quitte le temple en laissant les filles seules… Qui va les satisfaire ? Non j’ai mieux à faire, j’ai repéré une petite vierge de Barona sublime. Je ne peux m’empêcher de fantasmer à l’idée de la déflorer…

Il est dérangé par des gémissements et découvre Rose en train d’embrasser Catlyn à pleine bouche. Elles ferment les yeux et se caressent le visage ou les cheveux. Il est immédiatement à l’étroit dans ses chausses et avale sa salive avec difficulté. Il détourne le regard et feuillette le carnet plus avant.

Le temple perd des forces, cela fait maintenant deux mois que je suis seul.

Il revient en arrière et trouve un autre paragraphe.

J’ai enfin pu m’approcher de cette vierge de Barona. Elle se nomme Triana, elle a la peau hâlée et ses cheveux noirs bouclés descendent jusqu’à ses épaules. Elle est somptueuse… J’ai usé du Visage et du Souffle pour titiller sa curiosité, je ferais en sorte de revenir la voir demain.

Triana est si frigide… j’adore ça. Dès qu’elle me voit elle rougit, et quand elle goutte à mon Souffle elle se tortille… Je suis sûr que le soir, une fois qu’elle est seule, elle se touche en pensant à moi. J’ai tellement hâte qu’elle soit mienne.

Une page reste vierge, puis l’écriture change. Elle semble plus… malaisée. Derreck est distrait par des bruits. Il reporte son attention sur Catlyn et Rose, la roublarde a glissé ses mains sous la robe de la fille de Yag et l’embrasse dans le cou. Il hésite à les arrêter, mais préfère continuer le récit, certain qu’un moment clé de l’histoire du culte va se dérouler sous ses yeux.

Je n’ai pas écrit depuis des semaines… Tout est allé si vite… Par où commencer ? J’ai tout perdu… J’ai commis une effroyable erreur. Je n’aurais jamais dû jouer avec une vierge de Barona. Triana a parlé de moi lors d’une de ses confessions, ses sœurs supérieures me sont tombées dessus alors que je lui rendais visite. Elles ont cherché à me faire peur, mais l’une d’elle a senti l’essence de la Dépravation sur moi. Elles m’ont attaqué, et j’ai dû user de tous mes atouts pour m’en sortir de justesse ! Je me suis rué au temple pour en récupérer la clé. Je me savais condamné si je restais à Padreva je voulais quitter la ville le plus rapidement possible. Ce fut la pire erreur de ma vie… Je n’ai pas vu qu’elles me suivaient, je les ai menées droit sur le temple. Elles sont parvenues à en percer les défenses à l’aide de leur magie de lumière, elles ont délivré les filles de Yag et m’ont exorcisé. Le processus a été affreusement douloureux, j’ai cru mourir, et les vierges ont dû le penser aussi. Car je me suis réveillé bien après, seul et affaibli. Quand j’ai repris connaissance, je n’étais plus un Grand Dépravé. Il m’a fallu du temps pour le réaliser, mais mon lien avec Yag avait disparu. Le temple était saccagé, ruiné, et à mesure que je l’arpentais, il se reconstruisait doucement, en réduisant sa taille. J’avais dissimulé la clé dans une cave, sous une dalle creuse, j’ai été soulagé de la retrouver. Une fois remis sur pied, j’ai quitté le Torlagos pour m’en éloigner. J’ai une fois de plus été stupide, incapable de survivre en extérieur, j’ai dilapidé le peu d’argent qu’il me restait, et lorsque je me suis retrouvé sans le sou, j’ai abusé du pouvoir de la clé. Elle est désormais vide, et me voilà coincé dans les Terres de Rolon, dans la cité de Langekan.

Derreck se dresse comme un « i », faisant sursauter Catlyn et Rose qui s’interrompent dans leur ébat. Elles sont à moitié nues, dans les bras l’une de l’autre et le regardent avec inquiétude. Il continue sa lecture, son intérêt piqué à vif.

J’ai tout gâché… j’aurais dû écouter Yag… et chaque nuit je lui envoie mes prières pour qu’il m’offre une seconde chance. Plus les semaines passent, plus je suis forcé de vendre les derniers vestiges de matériel encore présent dans le temple, pour pouvoir subvenir à mes besoins. J’aurais pu retourner travailler comme marin si l’excision du pouvoir de Yag n’avait pas ruiné mon corps. Chaque respiration, chaque mouvement m’est pénible… J’ai bien tenté de mettre de mon sang sur l’autel, mais ce dernier n’a pas réagi et j’ai bien failli m’évanouir et me vider de ma substance… Je passe mes journées à mendier, en attendant un miracle…

Combien d’années désormais ? Je ne les compte plus… Mon seigneur et maître reste muet, et je garde son temple en attendant qu’il m’envoie un signe.

C’est fantastique ! Une jeune homme est arrivé au temple aujourd’hui ! C’est un nouveau Grand Dépravé ! Je l’ai vu de mes yeux ! J’ai dû me retenir de lui sauter au cou ! Il est jeune et naïf, si je le guide correctement, je pourrais lui éviter les erreurs que j’ai commises, tout en profitant de ses réussites. Je dois le maintenir dans le noir, ne pas lui révéler qui je suis. Si il venait à l’apprendre, il déciderait sûrement de se débarrasser de moi.

Derreck se met à bouillir. Catlyn et Rose se rhabillent et s’approchent.

La situation tourne à mon avantage. Ce jeune Grand Dépravé était puceau il y a peu ! Je peux le modeler comme j'entends et en faire ma marionnette. Il faut qu’il fornique pour accroître son pouvoir, lorsqu’il aura développé son goût pour les femmes, je lui demanderai de convertir des filles de Yag.

Ce jeune homme est incroyable. À peine arrivé il se met déjà dans la poche l’une des chiennes en chaleur les plus riches de la ville. L’or coule à flot et il a déjà obtenu le Souffle. Ce petit est prodigieux, nous allons accomplir de grandes choses.

C’est arrivé plus tôt que prévu. Ce maladroit a obtenu l’Élixir et a été forcé d’amener sa conquête au temple. Nous allons la faire basculer dans la Dépravation, je pense qu’il est temps, et selon lui notre victime n’a pas de proche famille dans les environs. Les autorités ne devraient pas nous rechercher pour sa disparition. Dans le doute je vais préparer la clé du temple, en cas de coup dur nous pourrons fuir.

J’ai envoyé Derreck chercher un Aethog dans les Aidrales. Je prie Yag pour qu’il parvienne à le trouver, cet artefact pourra le protéger et le sauver si nous venions à échouer.

Il a réussi ! Nous avons implanté la pierre dans son torse, mais il est tombé dans un profond coma duquel il ne se réveille pas. Rose est revenue, elle est délicieuse… Je profite de nos rares moments seuls pour la taquiner, et dès qu’elle s’occupe de l’autel je me rue aux minarets pour la reluquer. Elle est si belle… si douce… Si je pouvais encore bander je la sauterai dès que j’en ai l’occasion, mais à défaut de pouvoir la pénétrer, je ne me prive pas de la satisfaire avec mes mains ou ma langue. Elle goûte comme une sucrerie et…

Derreck entre dans une fureur noire. Il regarde Rose et s’approche d’elle avec pitié. Il lui caresse le visage et demande : « Pourquoi n’avoir rien dit ? » La jeune femme est confuse, il précise avec colère et des larmes aux yeux : « Si tu m’avais dis que Dokkrus s’en prenait à toi, je me serai chargé de lui. » Rose baisse le regard, comme coupable :

-Je suis désolée, je ne pensais pas que ça te poserait un problème... » Il s’emporte :

-Quoi ? Ce vieux pervers t’as molestée, et tu t’inquiètes pour moi ?! » Elle sourit doucement :

-Moi j’aimais bien ses caresses… et puis il disait que c’était le devoir d’une fille de Yag d’être toujours prête à copuler. » Derreck pousse un grognement courroucé. Il se tourne vers Catlyn :

-C’est terminé, nous allons trouver ce cafard et il va devoir rendre des comptes... » La roublarde opine du chef et en sortant de la bibliothèque, les filles se rhabillent. Ils vont vers la chambre de Dokkrus et Catlyn crochète la serrure. Rose est sur leurs talons, un peu inquiète, lorsqu’ils entrent, elle reste sur la pallier. Le vieillard se réveille en sursaut quand la pièce s’illumine, Derreck sent son estomac se nouer. Les appartements de Dokkrus sont vastes, équipés de nombreux meubles. Il y a un âtre, un lit à baldaquins pouvant accueillir facilement six personnes, des armoires, une bibliothèque, un bureau, des malles de rangement et surtout des reliefs et des statues de femmes nues somptueuses. Dokkrus bondit hors de ses draps, il porte une longue robe de chambre et bredouille : « Derreck ? Qu’est-ce que cela signifie ? » Le jeune homme le foudroie du regard et lui présente son journal. Son vis à vis blêmit et affiche une expression horrifiée : « Comment as-tu ?… » Derreck gronde comme un chien prêt à mordre :

-Yag… » Dokkrus met quelques secondes à réaliser, puis réplique :

-Attends… je… Je vais tout t’expliquer... » Derreck ordonne sans utiliser le Verbe :

-Catlyn, restreins-le. » Avec une vitesse prodigieuse la roublarde se coule dans le dos du vieil homme et en clin d’œil lui lie les mains. Elle le bouscule, il se retrouve à genoux devant Derreck. Il se met à geindre :

-Je t’en prie… Attends… » Derreck se met à faire les cents pas, il ne sait pas par où commencer. Il finit par gronder :

-Parle ! » Dokkrus est misérable, il couine :

-Je ne suis pas ton ennemi… Certes j’ai profité de toi, mais j’ai toujours agi dans l’intérêt du culte !

-Dans ton intérêt ! » Il exécute des courbettes pathétiques, puis rétorque terrifié :

-Oui c’est vrai ! Je ne t’ai pas tout dit… J’ai trahis ta confiance pour mon profit personnel ! Mais pas uniquement ! » Derreck éructe :

-Plus de mensonges ! » Dokkrus pousse un gémissement effrayé :

-Le tome des secrets ! Il fait partie des livres que tu as récupérés dans la bibliothèque ! Lis-le, tu comprendras... »

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