Livre de la Prodosie

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Pendant ce temps, les dyables et les agges étaient affamés, puisque tel était le châtiment prononcé par Areb.

Les agges, résidant dans l’Au-dessus, avaient soif de reconnaissance, une soif telle qu’aucun culte ni aucune adoration n’aurait jamais pu la combler. Les dyables, résidant dans l’En-dessous, avaient soif de pouvoir, une soif telle qu’aucune autorité ni aucun ascendant n’aurait jamais pu la combler.

De la multitude des dyables, un parmi eux se montra plus fort que les autres et se plaça au-dessus des autres dyables. Son nom était Nucteh, et il avait reçu de Taiyo et Måne la Nuit et sa noirceur. Il prit le titre d’Empereur de l’En-dessous, et sa parole y était absolue.

Nucteh donna aux six dyables les plus influents le titre de duc et duchesse de l’En-dessous. Leurs noms étaient Piaga, qui avait reçu la Pestilence ; Pecok, qui avait reçu le Passé ; Sélène, qui avait reçu la Lune ; Almawt, qui avait reçu la Mort ; Konton, qui avait reçu le Désordre ; et enfin Hǎi, qui avait reçu les Océans.

Ainsi régna Nucteh, secondé de ses duchesses et ducs, et l’En-dessous lui obéissait.

De la multitude des agges, une parmi eux se montra plus admirable que les autres et fut placée au-dessus des autres agges. Son nom était Hélia, et elle avait reçu de Måne et Taiyo le Soleil et sa lumière. On lui donna le rang de Couronne de Lumière, et tous ne pouvaient que s’émerveiller à sa vue.

Hélia s’entoura alors des six agges qui lui étaient le plus semblables et leur partagea son rang de Couronne avec eux. Leurs noms étaient Estrella, qui avait reçu les Etoiles ; Ghym, qui avait reçu les Nuages ; Kion, qui avait reçu les Neiges ; Yǔ, qui avait reçu les Pluies ; Awel, qui avait reçu les Vents ; et enfin Moya, qui avait reçu les Brumes.

Ainsi fut honorée Hélia, et avec elle les six autres Couronnes, et l’Au-dessus la révérait.

Or, la jalousie de certains agges et dyables envers les humains ne s’était jamais éteinte. Ceux-là n’avaient pas oublié comment Eïmaï leur avait préféré les humains, et comment Areb les avait condamnés à une faim éternelle. Ce souvenir les brûlait encore comme un fer à blanc contre leur cœur.

L’agge dont la voix s’élevait le plus contre les humains était Opsys, qui avait reçu les yeux et leurs regards. Il observait les humains, et les conspuait à chaque heure du jour et de la nuit. Il n’était rien en ce que les humains pouvaient faire qui trouvât grâce à ses yeux, car ceux-ci étaient aveuglés par la jalousie. Ainsi, Opsys, par ses paroles, fit croître la colère parmi les agges.

Dans le royaume de l’En-dessous, ce n’était autre que l’Empereur Nucteh qui attisait la haine contre les humains, et qui à chacun de ses sujets rappelait l’injustice qui leur avait été faite. L’existence même des humains lui était insupportable, car il s’agissait là de la preuve que Taiyo et Måne n’avaient jamais aimé leurs processions. Puisque, disait-il, si Måne et Taiyo avaient aimé leurs processions, jamais n’auraient-ils conçu les humains. Ainsi, Nucteh, par ses paroles, fit croître la colère parmi les dyables.

Les humains poursuivaient quant à eux leurs existences éphémères, ignorants de la menace qui pesait dessus leur tête, et dessous leurs pieds.

Or, il est une limite à tout, et nulle chose n’est infinie. Ainsi, la colère des dyables et des agges arriva un jour à son comble. Alors, Nucteh forma une alliance avec Opsys, ainsi que tous les dyables et les agges qui criaient vengeance. Il n’était plus question d’agge ou de dyable. Seul comptait leur haine commune contre les humains. Et tel était leur dessin : ils allaient tuer les humains, puis dévorer leur âme afin que jamais il ne puisse en naître de nouveaux. Ainsi en fut-il décidé.

Il est une nuit, celle qui aujourd’hui porte de nombreux noms : Nuit des Milles Pleurs ; Nuit des Plaintes ; Nuit Cruelle, ou Nuit de la Haine.

Il est une nuit, et Nucteh et Opsys marchèrent sur la Terre, et derrière eux leurs troupes.

Nucteh était suivi de quatre de ses ducs et duchesses, et il ne manquait que Sélène et Almawt, alors restés en En-dessous. Derrière les quatre ducs et duchesses marchaient des dyables ivres de rage.

Opsys ne fut suivi par aucune Couronne, car les Couronnes se satisfaisaient de s’adorer les unes les autres. Aussi Opsys se jura-t-il de faire payer aux Couronnes ce qu’il considérait comme une trahison de leur part. Il marcha aux côtés de Nucteh, et derrière lui des agges ivres de rage.

Il est une nuit, et cent-vingt-huit agges et dyables marchèrent ensemble chez les humains, et le bruit de leurs pas fit trembler la Terre, et le bruit de leurs cris fit trembler le Ciel.

Toute la nuit durant, les dyables et les agges massacrèrent les humains, et dévorèrent leurs âmes. Pour chaque âme qu’ils dévoraient, leur force grandissait. Et leur force grandit tant, et les flammes de leur haine étaient si intenses, qu’ils tuèrent plus d’humains qu’ils ne pouvaient dévorer d’âme. Car rien ne semblait pouvoir épancher la jalousie qui étranglait leur cœur, et rien ne semblait pouvoir combler le trou qu’ils creusaient en eux-mêmes.

Ni les cris de mourants, ni les larmes, ni la douleur, ni le sang ne semblait pouvoir les atteindre. Leur faim consumait toute chose, et eux-mêmes étaient consumés par leur faim.

Avant que n’arrivât l’Aurore, Nucteh et Opsys et les leurs quittèrent la Terre pour rejoindre chacun son domaine. Nombreux étaient les humains qui avaient péri lors de cette nuit, et la Terre était couverte de leurs dépouilles. Les agges et les dyables quittèrent ainsi la Terre, laissant derrière eux quelques survivants, et toutes les âmes qu’ils n’avaient réussi à dévorer.

Il en était cependant parmi les cent-vingt-huit qui commençaient à porter en eux les ronces du regret. Ceux-là furent prit d’une peur soudaine, la peur que jamais ni Taiyo, ni Måne, ne pourrait les pardonner. Ils hélèrent alors Nucteh et Opsys, et leur exprimèrent leur peur. Nucteh et Opsys les écoutèrent, et après les avoir entendus, se mirent à rire et les traitèrent de lâches. Puis, sans se retourner, Nucteh et Opsys poursuivirent leur route.

Or la peur de ces agges et ces dyables n’était pas sans fondement. Lorsque Nucteh arriva aux portes de l’En-dessous, il ne put les franchir. Nul dyable n’en barrait les battants, mais les portes demeurèrent closes. Il en fut de même pour Opsys qui, arrivant aux portes de l’Au-dessus, ne put les franchir. Nul agge n’en barrait les battants, mais les portes demeurèrent closes. Alors, de longues plaintes se firent entendre dessous la Terre, dans le Ciel et sur la Terre. Et il se mit à pleuvoir, et le Ciel pleurait les larmes de Taiyo. Et le sol se mit à trembler, et la Terre vibrait des gémissements de Måne.

Måne et Taiyo gémirent et pleurèrent, car tant d’humains étaient morts. Taiyo et Måne pleurèrent et gémirent, car leurs enfants avaient tué leurs frères et sœurs. Le Ciel plut, et la Terre trembla, car la haine avait embrasé le monde.

Nucteh et Opsys furent alors pris à leur tour par la peur, la peur de ne jamais être pardonnés. Ils frappèrent les battants des portes, l’un de l’En-dessous, l’autre de l’Au-dessus, et crièrent pour que l’on leur ouvre. Mais rien n’y fit. Ils ne purent retourner ni auprès de Måne, ni auprès de Taiyo.

Alors, le venin de la culpabilité s’infiltra en leur cœur, et s’ils ne regrettaient pas d’avoir massacré les humains, ils regrettaient d’avoir trahi Taiyo et Måne. Car Måne et Taiyo étaient pour eux ainsi que des parents sont à leurs enfants, et Taiyo et Måne les aimaient ainsi que des parents aiment leurs enfants. Or, ayant trahi leurs parents, et ayant tué les humains, Nucteh et Opsys et tous les agges et les dyables qui les avaient suivis se sentirent privés de cet amour, et le trou qui était en eux se mua en abysse. Alors, ils s’enfuirent.

Nucteh et Opsys partirent chacun d’un côté du vide, et s’enfuirent jusqu’à sortir du vide, loin de Måne et Taiyo. Là, chacun y étendit son domaine.

Nucteh étendit sa noirceur et sa nuit, et les flammes de sa colère consumèrent tout ce qui l’entourait, et le consumèrent lui. Il ne resta plus à la fin qu’un noir de cendre, une ombre sans lumière. Le domaine de Nucteh fut nommé la Ténèbre. [1]

Opsys étendit son regard et sa vision, et les larmes de sa tristesse engloutirent tout ce qui l’entourait, et l’engloutirent lui. Il ne resta plus à la fin qu’un océan amer, un œil en pleurs. Le domaine d’Opsys fut nommé l’Eulabè. [2]

Voyant leurs chefs s’enfuir, les suivants de Nucteh et Opsys se dispersèrent dans le vide. Certains, imitant leurs maîtres, en sortirent et étendirent leur domaine. D’autres, en quête de rédemption, retournèrent chez les humains afin de leur venir en aide. Il en est d’autres qui, toujours consumés par la haine, se cachèrent en le vide, jurant de faire une nouvelle fois payer aux humains les pleurs de Måne et Taiyo.

Car Taiyo et Måne pleurèrent et gémirent longtemps, un jour pour chaque humain qui était tombé. Puis, après avoir tant gémit et pleuré, ils s’endormirent, épuisés, le cœur toujours empli d’une grande tristesse. Aujourd’hui encore, nul ne sait, ni parmi les dyables, ni parmi les agges, ni parmi les humains, comment les réveiller.

[1] Aujourd’hui, le nom internationalement utilisé est « Mörker »

[2] Aujourd’hui, le nom internationalement utilisé est « Eye-land »

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