Chapitre 5

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Un croissant de lune blanc, aveuglant, se reflétait comme dans un miroir sur la surface étale du lac. Consciente de rêver, je m’en approchai à petits pas précautionneux, tendis le cou. Comme je m’y attendais, ce ne fut pas mon visage qui apparut, mais un autre, tout aussi familier. Regard turquoise hypnotique, pommettes hautes, menton étroit et lèvres fines presque constamment étirées en un sourire machiavélique. C’était l’apparence qu’il prenait toujours en ma présence, celle que je lui avais vue la première fois, quand il s’était présenté comme mon père. Il ne ressemblait en rien aux images des livres de mythologie, qui le décrivaient comme un vieillard barbu aux cheveux de feu et au visage démoniaque. À moi, il m’était toujours apparu plus jeune, plus humain. Ses cheveux gardaient une teinte rousse, mais ils étaient plus sombres que sur les illustrations traditionnelles, de la couleur des flammes mourantes. Son sourire était moins cruel, plus malicieux. Et, béni soit-il, il n’avait pas de barbe.

Son corps s’éleva, émergea de l’eau sans y causer une ride, sans une éclaboussure, sec comme s’il avait passé la journée au soleil. Une cape sombre flottait derrière lui, agitée par un vent inexistant, frôlait le sol par instants dans un chuintement discret, couvrant et découvrant par intermittence le manche de dague qui dépassait de l’une de ses bottes. Ses vêtements, qui paraissaient avoir été coupés sur mesure, scintillaient d’un étrange éclat sous l’éclairage céleste. Même à distance, j’avais l’impression de sentir son after-shave, frais, mentholé. Je mis un genou en terre.

— Père.

Un long silence passa. Je ne bougeai pas d’un cil, immobile, patiente. Ce n’était que l’un des nombreux tests qu’il m’imposait régulièrement.

— Démonta.

À l’appel de mon second prénom – celui qu’il m’avait donné des années plus tôt – je me redressai, lui fis face, droite, mon regard fiché dans le sien, veillant à ce que ma posture soit droite, sans pour autant paraître défiante.

— Quand tu seras réveillée, transmets un message à Synnöve, veux-tu ? Dis-lui que l’heure est venue.

Synnöve Kaiser. Peu de gens connaissaient le véritable prénom de notre commandante. Elle le gardait jalousement, ne l’offrait qu’aux meilleurs de la Confrérie. Il faisait aussi office de mot de passe pour les éventuelles vérifications d’identité.

Je me mordis la langue, mais ne parvins pas à retenir ma question.

— Pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ?

Il esquissa une ombre de sourire amusé.

— Elle ne dort pas, me manifester sous une forme spectrale me prendrait trop d’énergie. Et tu es plus aisément accessible.

Et voilà comment j’en venais encore à faire le pigeon voyageur. Mais, malgré mon agacement, je me contentai d’acquiescer. M’opposer à mon père ne me mènerait à rien, et ce n’était pas non plus comme s’il me demandait de dire à Kaiser qu’elle devait m’éliminer au plus vite.

— Très bien.

Il sembla approuver ma retenue, ce qui me donna la sensation, aussi fugace qu’humiliante, de n’être rien face à lui. Je me gardai toutefois de l’exprimer. Après tout, il pouvait me carboniser dès qu’il le voulait. Je l’avais appris personnellement, mettre le feu à quelque chose – ou quelqu’un – requérait beaucoup moins d’énergie qu’une projection spectrale. Et je n’avais pas nécessairement envie de mourir à cause d’une protestation mal placée.

— Je te souhaite une belle cérémonie de promotion, acheva-t-il avec un léger rire, comme s’il y avait une quelconque farce qu’il était le seul à connaître.

Et là-dessus, il s’évapora.

| † | † |

Court mais charmant, songeai-je en me réveillant, un sourire aux lèvres. Les visites de mon père étaient assez rares pour que je les prenne comme une marque d’attention de sa part. Même si, il fallait l’admettre, ce n’était pas dans sa nature d’être cordial ou paternel. Comme tous les dieux, il se moquait un peu – totalement, en fait – de notre destin. Je le savais, nous n’étions que des pions sur un échiquier, et nous combattions pour des guerres qui n’étaient pas les nôtres. Comme tout soldat, d’ailleurs. Le conflit des Maisons nous concernait uniquement parce que notre père était impliqué.

Je bondis hors de mon lit, accordai à peine un regard à l’horloge sur la table, qui indiquait six heures trente, et m’habillai à toute vitesse pour aller m’entraîner avec les miens comme je l’avais prévu la veille. Après tout, Loki n’avait pas stipulé que je devais délivrer le message à la minute où je me lèverais. Et, de plus, si Kaiser avait travaillé toute la nuit, il était très probable qu’elle soit morte de fatigue, passablement irritable, décidée à rattraper quelques petites heures de sommeil. La réveiller maintenant n’était pas exactement la garantie d’une journée tranquille.

Dans les jardins balayés par un vent froid, une quinzaine de descendants de Loki de de différentes générations s’échauffaient sur le sol rocheux. Des sourires et des hochements de tête respectueux m’accueillirent lorsque je me joignis au petit groupe en train de faire des tours de la propriété au petit trot. Je calai ma respiration sur le rythme confortable de mes foulées, identique à celui du groupe, et laissai mes pensées vagabonder. Ces hommes qui couraient à côté de moi auraient, à peine un mois plus tôt, suivi Ekrest dans les missions les plus suicidaires s’il le leur avait demandé. Depuis, ils m’avaient offert leur allégeance et avaient rejoint mes troupes. J’eus une brève pensée pour le tireur embusqué, qui était probablement en train de se terrer quelque part dans le Labyrinthe, aux abords du Manoir, et une grimace rageuse fleurit sur mon visage. Il valait mieux pour lui qu’il soit déjà parti depuis longtemps, parce que je ne comptais pas le laisser menacer ma famille, peu importent les ordres.

Après une vingtaine de minutes, nous nous rassemblâmes à la lisière de l’arène à ciel ouvert située entre les branches en U du bâtiment, et prîmes quelques minutes pour faire nos étirements. Une bise glacée balayait mes jambes nues, mais, échauffée par la longue course, je n’avais pas froid. De la tête aux pieds, je détendis chacun des muscles de ce corps que j’avais passé des années à sculpter. C’était cette forme que j’appréciais le plus, avec laquelle je combattais le plus souvent. Ni trop grande, ni trop musclée, plutôt souple. Une combinaison avantageuse de paramètres soigneusement choisis, avec lesquels je me sentais la plus efficace. Ekrest avait très vite compris que je n’aimais pas utiliser la force brute. Dès le début de mon entraînement, il avait misé sur ma flexibilité, ainsi qu’une bonne connaissance des points névralgiques. J’avais d’abord appris à être opérationnelle avec l’ensemble de mon corps, et ensuite seulement avec des armes.

Mes souvenirs de mon mentor étaient un étonnant mélange de doux-amer. Il m’avait enseigné l’art du combat, la magie propre à un corps qui obéissait à chaque impulsion. Il m’avait poussée dans mes retranchements, m’avait fait pleurer de douleur plus d’une fois. Il m’avait appris qu’aimer n’était pas une faiblesse, mais s’attacher à quelque chose – ou quelqu’un – en était une. Il m’avait donné des points de repère dans un monde que je ne connaissais pas, et les avait effacés un à un. Il m’avait appris que rien n’était jamais immuable, pas même la pire situation, mais qu’il y avait des choses qu’on ne pouvait changer. Il avait été une contradiction vivante : doux, attentif et attentionné, mais aussi violent, cruel et tyrannique. Toujours exigeant, jamais satisfait. Mais chacune de mes réussites amenait ce petit éclat approbateur au fond de ses pupilles, ce petit sourire fier et paternel. Il avait été ce père que j’aurais voulu avoir, ce frère que j’avais aimé.

Encore une fois, quelqu’un que j’aimais était mort à cause d’un Thor.

La pensée, vicieuse, déchirante, m’amena brièvement au bord du précipice du désespoir. Déconcentrée dans ma descente vers un grand écart, je glissai sur le sol humide après la pluie neigeuse de la veille, me rattrapai de justesse, une sourde douleur pulsant dans tout mon corps. Tendue, j’achevai l’exercice avec les mâchoires crispées, me redressai, puis me tournai vers le chef de cette équipe, l’équivalent d’un petit Järl des temps anciens.

Kaiser avait dit de ne pas semer la panique dans la famille et de garder l’existence du tireur un secret. Mais je n’avais pas pour projet de me faire tirer comme un lapin. C’était mon territoire, ici, ma famille. Il était hors de question qu’un Thor s’y croie chez lui, qu’il cause du tort aux miens. Aussi informai-je sans hésitation l’ensemble du groupe de la présence d’un potentiel intrus sur nos terres, en omettant quand même le fait que j’avais failli y passer à cause d’une flèche empoisonnée. Ils hochèrent tous gravement la tête, et se divisèrent en deux groupes de douze afin de parcourir à pied le Labyrinthe en long, en large et en travers, tandis que, pour ma part, j’optais pour la patrouille aérienne.

Je fermai les yeux. Mes os se creusèrent et s’allégèrent, muscles se raccourcirent et s’affermirent, des plumes jaillirent de ma peau. En un battement de cils, j’avais pris la forme d’un faucon. Pas de douleur, juste une transformation fluide et presque instantanée, et je prenais mon envol. Le vent caressa le duvet qui couvrait mon corps, je poussai un cri de bonheur en guise de salut à mes troupes, et m’élançai à l’assaut des cicîmesmes des murs végétaux, grisée par la sensation que le monde était à portée d’ailes.

Parvenue haut dans le ciel, j’enchaînai les allers-retours, surveillant la progression de mes hommes, guettant ne serait-ce que l’ombre d’une silhouette à l’intérieur des murs. Parfois, je plongeais en piqué dans les étroits espaces entre les immenses parois verticales et je rasais le sol, avant de remonter telle une flèche, sans réelle raison. La vérité était que, comme souvent, je mêlais plaisir et devoir. Je m’amusais autant que je travaillais.

Soudain, mon ouïe affûtée capta un l’écho d’un sifflement agressif. Tenaillée par un étrange mélange de mon instinct de rapace et de mon intuition humaine, j’obliquai brutalement dans la direction du son, avisai ce qui ressemblait depuis le ciel à un python long de quinze mètres – probablement un cousin quelconque du côté de mon demi-frère Jörmungand – au beau milieu d’un cul-de-sac. La tête dressée haut, il dardait sa langue en direction d’une forme sombre, aux contours indistincts même pour ma vue aiguisée. Par réflexe, je m’inclinai sur le côté pour dessiner de larges cercles concentriques autour de la zone et, à force de me rapprocher, je parvins à distinguer ses yeux d’un bleu vif, électrique. Mon sang se mit à pulser dans mes veines, mes battements de cœur s’accélérèrent, je plongeai au ras de la terre meuble, me posai sur le sol en face de la silhouette, aux côtés du serpent géant. Malgré l’épaisse capuche qui dissimulait ses traits, je fus capable de deviner à sa morphologie que c’était une femme. Lorsqu’elle riva son regard dans le mien, mon souffle s’accéléra, se fit haché.

Bleu contre turquoise, Thor contre Loki. Elle émit un grondement de fureur, tandis que je détaillais à toute vitesse les gravures dans le sol à ses côtés. Un grand pentacle à double bordure, assez large pour lui permettre de s’allonger dedans sans que ses pieds ne dépassent, avait été creusé dans la terre meuble et humide. En déchiffrant les runes, je ne pus que ravaler la haine et la frustration. Rien ne pouvait traverser cette barrière. Le cercle extérieur désintègrerait littéralement tout objet physique, le cercle intérieur absorbait toute magie et la renvoyait sous forme de décharge.

Elle laissa l’électricité affleurer au bout de ses doigts. Je poussai un cri strident, déployai à nouveau mes ailes, m’élançai vers le ciel avant qu’elle n’ait le temps de me rôtir. Un arc d’électricité suivit mon ascension vertigineuse, mais je parvins à l’esquiver, et me mis à tourner en rond autour d’elle en émettant des glapissements aigus. La Thor eut beau me bombarder de petits éclairs, elle ne parvint qu’à roussir quelques plumes au bout de mes ailes avant que les deux équipes jusque là en vadrouille dans le Labyrinthe ne rappliquent à tire d’aile, tous métamorphosés en oiseaux.

Ensemble, nous nous posâmes dans le chemin qui menait au cul de sac, nous équipâmes de nos casques et de nos uniformes noirs règlementaires. Une fois que tout le monde fut sur un canal vocal commun, je leur fis un bref briefing sur la manière de contourner pentacle de protection puis, en formation de combat, nous passâmes l’angle qui nous avait jusque là protégés de la vue de la Thor. À notre vue, ses yeux bleus lumineux, visibles sous sa capuche tels des phares au milieu de la nuit, étincelèrent de colère réprimée. Elle les riva sur moi, qui avais pris la tête du petit groupe, il me sembla l’entendre jurer. À nos côtés, le long python siffla et s’aplatit au sol quand un puissant éclair fusa des doigts de la femme. Parée à ce genre d’assaut, je n’eus qu’à croiser les bras devant moi. La foudre rebondit contre mon bouclier, le tonnerre claqua dans mes oreilles, le choc ébranla mes os. Je réprimai un grondement de douleur, fis un signe de tête discret.

Sans les voir, je sus qu’une partie de mes hommes, invisibles, se déployaient selon mes directives. Les autres firent apparaître leurs armes et leurs coups de feu vrillèrent l’air. Immobile, placée à la pointe de la formation en flèche, je m’occupai de la défense magique. La Thor se savait en sécurité dans son pentacle, et pourtant, elle continuait à lancer de petites mais puissantes attaques de temps en temps, toujours droit vers moi. Plus elle m’attaquait et plus je sentais ma rage à son égard croître dans ma poitrine telle une brûlure dévorante en train de s’étendre. Elle n’était peut-être pas ce fameux Kalyan, qui avait tué mon mentor, mais elle était au moins aussi vicieuse que lui. Venir sur les terres de la Confrérie, se planquer aux abords du Manoir, tenter de me tirer une flèche dans le dos… j’étais certaine que, aujourd’hui, elle regrettait de ne pas avoir choisi le pistolet au lieu de l’arc.

L’air s’emplit d’un mélange brumeux de poudre et d’ozone, au parfum désagréable, qui me donna brièvement la nausée. Dans les rangs, personne ne parlait. Ceux qui n’étaient pas affairés à vider leurs chargeurs sur l’adversaire pour l’aveugler étaient occupés à placer des runes gravées dans des morceaux d’écorce de frêne en une disposition spécifique, qui permettrait de briser le double pentacle. Je savais que nous n’avions pas beaucoup de temps. La Thor m’avait montré avec ses premiers assauts qu’elle était puissante, et elle ne paraissait pas spécialement nerveuse, ce qui signifiait que ses petites attaques lancées de temps en temps avaient seulement pour but de me garder occupée. Tout comme nous étions en train de la distraire avec nos coups de feu, elle devait être en train de préparer un coup de foudre explosif.

Je levai le nez, tendue. Haut au-dessus de ma tête, bordé par des murs de verdure si sombres qu’ils en paraissaient noirs, un rectangle de ciel gris s’obscurcissait de seconde en seconde.

— Runes en place, annonça soudain quelqu’un via le canal audio.

Je réprimai un soupir de soulagement.

— Parés à faire feu, ordonnai-je.

Mes hommes cessèrent de tirer, reculèrent comme un seul, adoptèrent une position groupée, et firent apparaître une nuée de boucliers magiques étincelants, se protégeant mutuellement. Pour ma part, je laissai la colère qui avait bouillonné dans mes entrailles pendant que j’assurais la défense affleurer, et mes mains s’illuminèrent d’une intense lumière blanche. La Thor écarquilla les yeux, nerveuse, sembla deviner mes intentions. Sous mon casque, je souris, du venin sur les lèvres, une sourde satisfaction brûlant dans mes veines.

— Värka, murmurai-je en insufflant une pointe de magie dans le mot elfique.

Activation. Les runes que mes hommes avaient disposées au sol tout autour du pentacle, dans l’herbe basse, se mirent brusquement à luire. Soudain frénétique, l’intruse esquissa un mouvement de recul, fit apparaître son téléphone, pianota dessus à toute vitesse. Le ciel, qui n’était plus soumis à son influence, commença à s’éclaircir. Les gravures du double pentacle commencèrent elles aussi à briller, assaillies par la puissante force qui se dégageait des runes et hérissait les poils sur mes bras. Je continuai à déverser ma magie dans l’enchantement, une litanie ininterrompue s’échappant de mes lèvres. Le pentacle se craquela, ses murs de lumière se fissurèrent, et il finit par exploser brutalement.

Une seconde seulement, la Thor fut à découvert. L’immense serpent, demeuré en retrait jusque là, bondit, quelques balles fusèrent, certaines la touchèrent, mais elle parvint à se téléporter avant que je ne puisse m’assurer que les coups avaient été létaux. Une grimace de dépit m’échappa.

Soudain, mon téléphone se mit à vibrer dans mon espace magique. Je le fis apparaître d’un geste, consultai les trois bannières qui s’affichaient. Des SMS de Selvigia.

Où es-tu ? Kaiser veut te voir.

Me dis pas que tu es dans le Labyrinthe ?

Qu’est-ce qui se passe là-bas ?

Un soupir m’échappa, je tapai une réponse à toute vitesse.

J’ai retrouvé le tireur dans le Labyrinthe. Je nettoie la zone et j’arrive.

Le retour de ma sœur ne tarda pas. Court, concis.

Ça peut attendre. Magne-toi, Kaiser est FFF.

Je grinçai des dents, regardai autour de moi, inspirant à pleins poumons l’air vicié par la poudre et l’électricité. Le python géant siffla de colère, et je vis dans ses yeux jaunes fendus par des pupilles verticales qu’il aurait probablement préféré étrangler l’intruse de ses propres anneaux. Mais, après avoir dardé sa langue fourchue à gauche et à droite, il nous adressa ce qui ressemblait à un hochement de tête, avant de serpenter entre les branches du mur végétal le plus proche et de disparaître dans les profondeurs du dédale. Désormais certaine que la femme était partie, je fis disparaître mon casque, et me tournai vers mes hommes, transformant mon rictus en un sincère sourire.

— Bon boulot.

Le capitaine de l’équipe souleva sa visière et me consulta d’un regard interrogateur, une nouvelle étincelle de respect au fond des yeux. Comme il avait servi Ekrest par le passé, j’avais accepté son allégeance, en me promettant néanmoins de garder un œil sur lui les premières semaines, notamment parce qu’il m’avait paru un peu méfiant en ce qui concernait mon expérience du terrain. Mais, tout comme il venait de me prouver qu’il était capable d’obéir sans broncher, j’avais démontré que j’étais tout autant capable de gérer un groupe qu’une mission en solo.

— Faites un grand tour du Labyrinthe, vérifiez qu’il n’y ait personne d’autre.

Il hocha la tête. Ses cheveux bruns, ni courts ni longs, voltigèrent dans le mouvement, il chassa une mèche rebelle qui était tombée devant ses yeux d’un geste. Aujourd’hui, malgré son physique militaire clairement masculin, ses traits paraissaient un peu plus féminins. Même si on l’identifiait généralement à un mâle, sa manière d’agir, de se comporter, ainsi que son apparence, variaient en fonction des jours, tantôt femme, tantôt ambigu, tantôt homme. Aujourd’hui semblait être l’un de ces jours où il se choisissait un profil androgyne.

— S’il y a quoi que ce soit, tu m’appelles tout de suite, ajoutai-je. Pour l’instant, je dois y aller.

Il n’y eut aucune protestation. Frustrée de devoir les abandonner ainsi, je me redressai, me retransformai en oiseau pour entrer dans le Manoir par la fenêtre. Un accès peu conventionnel, certes, mais bien plus rapide que les couloirs bondés. Kaiser allait adorer.

Non, en fait, elle allait me tuer. Mais je n’avais pas le choix. « FFF », c’était « fatiguée, frustrée, furieuse ». J’allais me faire massacrer si je traînais en chemin, donc au temps choisir l’entrée la plus rapide.

Je pris mon envol, légère, agile, m’élançai en direction de la massive silhouette de pierre logée entre les parois végétales, fis deux grands cercles autour des toitures pointues du cinquième étage, puis descendis au deuxième niveau, me posai sur un parapet, puis toquai à la fenêtre du bout du bec. La commandante était assise devant son bureau – dos à moi, donc – mais Selvigia lui faisait face. Et, par conséquent, elle me voyait parfaitement. Elle se mordit bien visiblement l’intérieur des joues, parut se racler la gorge, et Kaiser, suivant son regard, pivota sur sa chaise de bureau. Immédiatement, ses sourcils s’arquèrent, faisant la course à celui qui irait le plus haut, frôlant tous deux la racine de ses cheveux. Elle m’ouvrit néanmoins et, dès que je fus posée sur le plancher de son bureau, je me métamorphosai.

— Désolée, j’aurais mis trop de temps à retraverser les couloirs… fis-je en me glissant à l’intérieur. Il y avait une réunion prévue ?

Brièvement, les yeux turquoise de la commandante lancèrent des éclairs.

— Tu as envoyé un message à Adam ? préféra-t-elle demander à Selvigia, ignorant ma pique.

Les doigts de ma sœur voletèrent à toute allure sur son téléphone, et bientôt, une courte vibration indiqua une réponse.

— Il arrive, lâcha-t-elle d’une voix atone.

Kaiser alla se rasseoir, entrecroisa les doigts, posa ses mains ainsi jointes sur la table, et me fixa droit dans les yeux. Je dus me retenir de déglutir, nerveuse, mais m’obligeai à soutenir son regard accusateur. Elle savait. Elle avait probablement entendu les coups de feu et vu le ciel s’obscurcir, elle savait que j’étais partie à la recherche du tireur, malgré ses ordres.

Bientôt, la porte s’ouvrit, et Adam entra. Un bref instant, il demeura immobile sur le pas de la porte, jaugeant la situation, entouré des échos de pas et de murmures qui ricochaient entre les murs des couloirs, puis un sourire narquois se peignit sur ses lèvres, et il referma le battant derrière lui. Le silence tomba comme un couperet. Tendue, je gardai mon regard rivé dans celui de ma commandante, faisant péniblement abstraction du discret ricanement d’Adam, qui paraissait bien trop heureux de me voir dans cette position délicate.

— Adam, topo ? finit par demander Kaiser sèchement.

— J’avance dans l’identification du tireur embusqué, répondit-il, l’air satisfait de lui-même.

La cheffe de la famille arqua vers moi un sourcil interrogateur, appuyé par une œillade aiguë. Ses lèvres minces se plissèrent en une ligne sévère, à peine visible, et brièvement, son visage devint celui d’un rapace, d’un chasseur en pleine traque. Luttant pour garder une façade composée, je refoulai cette pénible impression d’être la souris chassée par un faucon affamé qui tournoyait au-dessus d’elle, et ne pipai mot. Parle quand c’est nécessaire, disait Ekrest. Pas avant, pas après.

— Lilith, je pensais t’avoir clairement demandé de ne pas semer la panique dans les rangs.

L’accusation m’arracha un léger sourire, je coulai un regard amusé à Adam, qui attendait avec impatience que je me fasse incendier.

— Je ne l’ai pas fait, rétorquai-je, assurée. En fait, je pense vous avoir aidés tous les deux, parce qu’il suffira d’interroger les espions chez les Thor au sujet de la dernière femme à être revenue grièvement blessée dans les dix dernières minutes, et on aura son identité.

Kaiser cilla, Adam pâlit de rage.

— Une femme ? releva-t-elle d’une voix distante, surprise.

— Elle s’était établie dans le Labyrinthe, dans un double pentacle de protection, expliquai-je, mais un serpent l’avait repérée et l’empêchait de bouger. Nous nous sommes contentés de la faire fuir.

Selvigia m’adressa un coup d’œil surpris, mais garda ses lèvres hermétiquement closes. La moindre remarque amènerait l’attention sur elle, et ce n’était certainement pas ce qu’elle désirait.

— Et tu es certaine que c’était une femme ?

Une ombre s’était faufilée sur les traits anguleux de la commandante, ses narines s’étaient imperceptiblement dilatées. L’espace d’une seconde, je me demandai si c’était de la colère ou de l’appréhension, mais déjà, je répondais :

— Sûre et certaine.

Adam me fusilla du regard. Je soutins son œillade assassine sans broncher, satisfaite de moi-même et, prise d’une inspiration soudaine, je décidai de détourner la conversation de ma légère désobéissance aux ordres.

— Au fait, j’ai un message de Loki pour vous.

À la mention du nom, l’ambiance s’appesantit d’un seul coup. Mon demi-frère – enfin, neveu, plus exactement – me vrilla d’un regard méfiant, mais demeura muet en attendant la suite, tout comme sa mère.

— Il vous fait passer que « l’heure est venue », poursuivis-je, mimant les guillemets.

Les iris jusque là ombrageux de Kaiser se troublèrent. Elle se leva, nous tourna le dos et, muette, alla faire face à la fenêtre. Durant un bon moment, elle fixa ainsi le vide, sans qu’aucun d’entre nous n’ose troubler ses réflexions. Je cillai, interrogeai ma sœur d’un haussement de sourcils, mais elle se contenta de secouer la tête, tout aussi perdue que moi.

Quelques minutes s’écoulèrent ainsi, sans que personne n’ose faire une remarque. Finalement, notre commandante leva les yeux du Labyrinthe, qu’elle observait jusqu’alors sans vraiment le voir, et posa tour à tour ses yeux turquoise sur chacun de nous. Dans la colère muette qui crispait ses épaules, je sus qu’elle n’avait ni oublié ni pardonné ma petite initiative. Mais il était trop tard pour regretter, et je n’allais certainement pas m’excuser d’avoir fait le nécessaire pour protéger les miens. J’attendis donc la sentence, qui ne tarda pas à tomber.

— Tu t’occuperas du secrétariat demain, Lilith, d’accord ?

Ce n’était pas une question. Personne n’était dupe. J’acquiesçai, réprimant un sourire. Si ce n’était qu’une journée au secrétariat, cela voulait dire qu’au fond, elle approuvait ce que j’avais fait. Au grand dam d’Adam, qui se voyait encore une fois éclipsé. Déjà que la cérémonie de promotion d’aujourd’hui serait pour lui un cruel rappel qu’il ne faisait que récupérer la place qu’il avait occupée avant mon arrivée… je pouvais m’attendre à une augmentation exponentielle de ses petites vendettas à mon encontre dans les prochains jours. Ce qui signifiait qu’il fallait que je double la sécurité de mes cargaisons, livraisons et autres commandes en tout genre.

— Parfait, sourit Kaiser. Selvigia, tu te joins à Lilith dans l’interrogatoire de Cobb, je veux savoir tout ce qu’il sait à propos des Thor et de ce Kalyan, ça doit être lié aux évènements d’aujourd’hui.

Ma sœur hocha la tête, mais demeura assise sur sa chaise, incertaine.

— Adam, un mot en privé. Vous deux, allez-y.

Nous lui tournâmes le dos et sortîmes en silence. Immédiatement, le boucan des couloirs nous submergea. Je pris la tête, m’enfonçai dans les étroits corridors peu fréquentés qui menaient au bureau de ma commandante, dans lesquels les sons se répercutaient bien trop.

— J’ai cru qu’Adam allait t’assassiner… marmotta Selvigia à mes côtés.

— Ne m’en parle pas. Il n’a à mon avis toujours pas digéré la dernière fois…

Elle pouffa, amusée. Après onze ans passés sous la tutelle d’Ekrest, j’avais revendiqué la place de seconde Élite. Adam, qui l’occupait à l’époque, n’avait pas exactement… apprécié.

— Eh. C’était la meilleure chose que tu puisses faire.

— Je sais, souris-je simplement en esquivant les premières personnes affairées qui venaient en face de nous sans regarder devant elles. Qu’est-ce que tu penses de tout à l’heure ?

Comprenant que je faisais référence à la réaction de Kaiser à l’annonce de mon rêve, Selvie se permit un temps de réflexion. Brièvement, le flot de Loki en mouvement nous sépara, mais nous nous retrouvâmes à l’entrée des escaliers circulaires de la tourelle ouest. Elle descendit quelques marches, pensive, mutique, avant de laisser échapper :

— Aucune idée. Mais ça avait l’air important.

— Tu penses qu’on saura bientôt ? relevai-je.

Elle jeta un regard à la ronde, brièvement méfiante. Un Loki, qui remontait juste en face de nous, s’écarta. Je vis sa main glisser un peu trop près de celle de ma sœur, avisai le coin d’un bout de papier qui passait de l’un à l’autre. Selvie ne dit rien, garda la feuille chiffonnée dans son poing, mais hocha la tête dans ma direction.

— Je pense, oui. Salle neuf ?

J’approuvai d’un clin d’œil.


— Je ne te provoquerai pas en duel.

Une moue boudeuse plaquée sur le visage, Levi me défiait du regard. Il m’avait prise à part dès mon arrivée pour m’annoncer que, selon lui, notre accord ne tenait plus.

— Et en quel honneur ? relevai-je, sceptique.

— Je me retire. Point barre.

Je haussai un sourcil, narquoise.

— Vraiment ? C’est dommage, les rumeurs se diffusent vite…

Il me retourna une grimace hargneuse. Mais l’inquiétude avait obscurci son regard. J’en savais plus sur lui que lui n’en savait sur moiMo, il ne pouvait que perdre dans ce genre de confrontation. Je le jaugeai un instant, remarquai son expression nerveuse, dissimulai mon rictus provocateur derrière une façade glacée.

— Je m’attends à te voir dans l’arène, lui lançai-je, froide, en me dirigeant vers l’alcôve de Séraphin.

Le brun était allongé sur son lit, dos aux couloirs. Je pénétrai dans la pièce sans faire de bruit, me penchai au-dessus de lui. Il dormait. Ou pas. Ses cils tremblotaient légèrement, mais c’était à peine visible. Sinon, il simulait drôlement bien : respiration lente et profonde, aucun mouvement… Mais j’étais certaine qu’il ne dormait pas.

Je décidai néanmoins de jouer le jeu.

— Debout, espèce de marmotte !

Étant donné qu’il était allongé au sol, enroulé dans une fine couverture qui ne parvenait pas à le couvrir totalement, la première chose que je fis lorsqu’il mit du temps à émerger fut un coup de pied dans les côtes. Séraphin émit un grognement de douleur qui me fit sourire, se frotta les yeux d’un air ensommeillé, se redressa, s’étira longuement. Peut-être qu’il dormait, en fin de compte…

— Debout, mains dans le dos, commandai-je comme d’habitude.

Les délicats effluves de sueur, de saleté et de sang séché qui flottèrent jusqu’à moi alors qu’il levait les mains me firent froncer le nez. Par Loki, quand s’était-il lavé pour la dernière fois ?

— Tu devrais vraiment prendre une douche.

— Ce ne serait pas de refus, lâcha-t-il avec un bâillement.

— Je transmettrai le mot.

— Trop aimable, ricana-t-il.

Je ne relevai pas l’ironie, me contentai de le menotter, et le conduisis en salle neuf, très similaire à la trois, que j’avais utilisée jusque-là, mais néanmoins différente. Et il le remarqua tout de suite. Je le vis observer attentivement son environnement, et tressaillir imperceptiblement lorsque Selvigia apparut dans son champ de vision.

— Qui c’est, elle ? demanda-t-il en la désignant du menton.

— Mains sur les accoudoirs, répliquai-je sèchement.

Les bras et le torse de Séraphin étaient striés de coupures encore trop fraîchement refermées, et il commençait à s’habituer à la routine de la violence. En plus, c’était une véritable tête de mule, avec des opinions bien arrêtées sur certains sujets, incorruptible, et, même s’il s’était montré plutôt vulnérable depuis que je l’avais capturé, dialoguer avec lui requérait toujours une menace physique. Il n’était pas imperméaable à la peur et à la douleur, mais il ne bronchait pas lorsque les autres souffraient. Que je coupe les doigts de ses frères, autres enfants de Týr, que je leur arrache les ongles, le faisait à peine ciller. Ma sœur avait raison, une nouvelle tactique s’imposait.

En quelques gestes précis, j’enchaînai ses mains et ses pieds au siège de métal, tandis que ma sœur se postait près d’un boîtier incrusté dans le mur.

— Pas de couteau ? releva-t-il, narquois.

Je souris d’un air démoniaque, ce qui ternit légèrement son assurance factice.

— On change, aujourd’hui.

Cliquetis. Selvigia termina de faire tourner les boutons, m’adressa un hochement de tête.

— Parle-moi de Kalyan, lui ordonnai-je. Tout ce que tu sais sur lui.

Un sourire méprisant se dessina sur son visage, et il garda le silence. Je roulai des yeux. Selvie n’attendit pas mon signal pour abaisser le levier près d’elle. L’odeur d’ozone envahit l’air une fraction de seconde avant que Séraphin ne hurle. Son corps se tordit, parut se désarticuler, alors qu’il essayait d’échapper au courant électrique, mais sans succès. Sept secondes s’écoulèrent avant que le levier ne soit à nouveau redressé, laissant le fils de Týr avachi sur le fauteuil, secoué de spasmes. Je me penchai en avant, souris en passant une main dans ses cheveux encore crépitants, dressés au sommet de son crâne.

— Ce que tu viens de recevoir là, c’est du deux cent vingt volts, soit ce que tu te prendrais si tu mettais les doigts dans une prise. Personnellement, je te conseille de répondre au plus vite, si tu ne veux pas qu’on augmente le voltage.

Il se mordit les lèvres, mâchoires contractées, baissa les yeux en direction du sol, commença à marmonner quelque chose dans sa barbe. Je roulai des yeux, fis un signe à ma sœur, qui ne se gêna pas pour lui envoyer une nouvelle décharge. Un nouveau cri lui échappa, il se recroquevilla sur lui-même autant que possible, sans cesser de murmurer. Je tendis l’oreille, guettai les mouvements de ses lèvres.

— … raidho, kenaz, gebo, wunjo, hagalaz…

Une grimace tendue crispa mon visage. C’était un classique. L’une des premières techniques que m’avait enseignées Ekrest afin de résister à la torture.

— … nauthiz, isa, jera, eihwaz…

Selvigia et moi enchaînâmes coups physiques et chocs électriques durant près de trois heures, alternant aux postes, nous démenant pour trouver une faille dans son cycle imperturbable. Le visage de Séraphin se couvrit de bleus violacés, sanglants, ses extrémités se mirent à trembler sous l’effet des décharges successives qui court-circuitaient ses terminaisons nerveuses, plus d’une fois, je le vis verser des larmes de rage et d’obstination.

— … pethro, algie, sowulo, teiwaz, berkana…

Ce fut finalement la famine qui me vainquit. Affamée, frustrée et incapable de comprendre pourquoi il était capable de divulguer sous la torture des codes d’accès aux bases de sa Maison, mais pas des détails sur la vie d’un seul individu qui n’était même pas son demi-frère, je jetai un coup d’œil sceptique à ma sœur. Toujours postée près du levier, elle m’adressa un soupir, accompagné d’un signe de tête explicite.

— Laisse tomber, grommela-t-elle.

J’aurais voulu protester, par principe. Mais parfois, la volonté était plus forte que la torture. Je n’aurais jamais cru dire ça de Séraphin Cobb, qui la première fois avait cédé en moins de trois minutes, mais je devais me rendre à l’évidence : aujourd’hui, je n’obtiendrais rien. La seule chose qui s’échappait de ses lèvres tremblantes étaient les lettres de l’alphabet runique, répétées encore et encore dans l’ordre. Il avait réussi à enfermer son esprit dans une boucle inviolable, dans laquelle, même avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrais pas entrer, à moins d’user de la manière forte. Sauf que, actuellement, je n’en avais ni le temps ni l’envie.

— … eihwaz, mana, laguz, inguz…

Sa voix rauque, rompue à force de cris, était à peine audible. L’odeur de sa chair calcinée empuantissait l’air à des kilomètres à la ronde, et même une après-midi d’alternance entre coups physiques et chocs électriques n’avaient pas réussi à briser sa litanie. Résignée à lui concéder une maigre victoire pour aujourd’hui, j’acquiesçai.

— … othila, dégaza. Fehu, uruz, thurisaz…

Soudan, sans prévenir, Séraphin fit jaillir de la paume de sa main un rayon blanc, aveuglant, qui désintégra littéralement les chaînons de ses entraves, bondit vers moi. Ma meilleure amie, debout dans la porte ouverte, réagit au quart de tour, et par réflexe, bondit dehors en claquant le battant derrière elle et le verrouilla en quatrième vitesse. Je me jetai sur le côté, évitai de justesse les poings fermés qui m’auraient démoli le visage. Un instant plus tard, je réalisais que j’étais enfermée dans une pièce de cinq mètres carrés, sans possibilité de sortie, face à un fils de Týr en pleine possession de ses pouvoirs.

Qui est le crétin qui a oublié de lui mettre un implant suppresseur de magie ?

Une dague apparut dans les mains de mon adversaire. Je reculai prudemment, m’adossai au mur, guettant ses intentions. Il sourit, vicieux, alors que j’essayais encore de traiter les informations. Il avait ses pouvoirs. C’était impossible. On n’oubliait jamais les implants. C’était même la première chose qu’on faisait. Et il avait trop souvent été dans des zones où la magie était possible. Par contre…

Merde.

Les décharges électriques avaient dû court-circuiter la puce. C’était ça. Mais pourquoi…?

Il se jeta sur moi sans me laisser le temps de finir de penser ma question. Par réflexe, j’agrippai son bras pour détourner le coup, invoquai des flammes au bout de mes doigts. Il se rétracta en couinant, la peau calcinée et fumante. Je fis apparaître des poings américains directement sur mes phalanges, un plastron sous mon t-shirt, esquissai une grimace provocatrice. Mais il ne bougea pas.

Face à face, en chiens de faïence, nous nous guettâmes mutuellement. Figée, j’attendis un instant, puis bondis. Il leva sa dague. Je me tendis. Le choc dans mes côtes fut rude, l’acier mythique de la dague crissa contre mon plastron. Je lui assénai un crochet du droit à la tempe. Sonné, il vacilla, s’affala dans le siège de métal, à peine conscient. Je ne réfléchis pas, fonçai vers le boîtier de contrôle, tournai à l’aveuglette la molette de la tension, abaissai brusquement le levier. Une ignoble odeur de chair brûlée emplit l’air, Séraphin hurla à la mort. Je maintins la poignée vers le bas encore quelques de secondes, puis la relevai. Les crépitements et les cris s’interrompirent, remplacés par des gémissements sourds. J’expirai longuement, tandis que le corps du brun, encore secoué de tremblements, s’affalait au sol.

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