Quelques jours avec eux - 11 (fin)

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Le soir alors que ce départ semblait nous miner, je leur proposai de retourner au Luna Park. Ils sautèrent de joie. Les grands étaient déjà prêts à refaire certains manèges ou se défiaient d’en faire d’autres plus fous encore. Thomas imaginait déjà la barbe à papa qu’il allait s’enfiler et peut-être la peluche qu’il allait tenter de gagner au chamboule-tout.

Sur la route, rythmée par les lacets, je voyais mon frère qui avait dû rejoindre la gare et était sûrement déjà dans le train. Je pensais qu’il remontait vers Paris, vers la banlieue, vers l’appartement de nos parents pour retrouver notre père. Mais, peut-être avait-il pris un tout autre chemin, s’était-il laissé porter par le hasard. Un bateau vers l’Afrique. Un avion vers l’autre bout du monde. Un car vers une destination inattendue. Tout était possible. J’espérais déjà une carte postale exotique dans quelques mois.

Nous retrouvâmes avec plaisir les enfants et moi les lumières clignotantes, les cris, la musique, les odeurs de cette fête foraine. Nous passâmes à nouveau devant la grue du saut à l’élastique. Nous nous arrêtâmes pour observer la personne qui sautait. Soudain, sans trop savoir pourquoi, sans vraiment l’avoir décidé, je m’écartai de la foule en demandant à Damien de surveiller ses frères, et m’approchai du bureau. Je payai immédiatement le prix du saut. La personne m’informa que j’étais le prochain. Je retrouvai mes enfants, ils avaient les yeux grands ouverts, surpris.

- Tu vas le faire papa ? me demanda Damien inquiet.

- Oui. Je crois que c’est le moment ! répondis-je souriant, cachant ma crainte.

- Mais t’es fou, c’est super haut, cria Thomas.

- Oui, je suis fou. Vous le savez, non, que votre père est fou ?

Ils sourirent. Gabriel était angoissé. Il se tordait les mains. Je donnai à Damien mon portefeuille et les clés de la voiture. Je les embrassai tous les trois chacun leur tour sur le front.

Les gars de l’équipe technique m’accrochèrent l’élastique. Ils me mirent en confiance, essayèrent de me détendre par des petites blagues. Je jetais quelques coups d’œil aux enfants. Ils semblaient si seuls au milieu de la foule des curieux, si petits et si fragiles aussi.

Dans la nacelle, je n’en menais pas large. Un gars monta avec moi. C’était l’animateur. Il parlait dans un micro et me posait quelques questions.

- Ça va Pierre ? En forme ?

- Oui, oui, balbutiai-je.

- J’espère que tu ne vas pas tomber… comme une pierre, blagua-t-il.

Certains en bas rirent. J’étais sûr que mes enfants se tordaient le cou en m’observant monter doucement et ne riaient pas, eux.

Il me fallut un certain temps avant de sauter. Je réfléchissais à pourquoi j’étais monté là, à ce que je voulais prouver, à qui. Je n’avais pas de réponses pour toutes mes questions, comme d’habitude. Je finis par me dire d’ailleurs que le plus simple était d’accepter ça de la vie, qu’elle ne donnait pas toutes les réponses, qu’il fallait s’en contenter.

Je me jetai enfin dans le vide en poussant un cri énorme, primal, animal. Je repoussais dans ce cri toute la souffrance qui m’empêchait de vivre normalement, toute la culpabilité d’avoir laissé ma mère se foutre en l’air, d’avoir laissé mon mariage se détruire de l’intérieur, d’avoir abandonné mes enfants. Moi aussi, du haut de cette nacelle, je m’étais jeté dans le vide, la tête la première. Mais l’élastique me remonta, d’un coup sec, et je fis des montées et des descentes, comme un ressort, avant de rejoindre la terre ferme et d’être récupéré par l’équipe technique. Ils me décrochèrent, me félicitèrent et me donnèrent un diplôme. C’était la journée !

Je retrouvai les enfants. Ils se jetèrent sur moi. Ils me parlèrent tous en même temps, c’était incompréhensible, une espèce de cacophonie. Ils partageaient avec moi l’impression qu’avait eu sur eux ce saut et la fierté qu’ils éprouvaient pour moi. Mon cadeau d’anniversaire c’était ce regard qu’ils avaient sur moi. Je l’avais amplement mérité ce diplôme de meilleur papa du monde.

Quelques jours plus tard, il fallut rentrer et dire adieu à notre maison de vacances, à la méditerranée et à ce temps béni que nous avions passé tous les quatre.

Nos peaux bronzées et nos sourires dans la voiture nous rappelaient à quel point nous avions passé de bons moments ensemble, et chaque kilomètre parcouru, nous rapprochait de la fin.

Je déposai Gabriel et Thomas chez Isa. Ils sautèrent dans les bras de leur mère puis vinrent m’embrasser et me faire un câlin. Je ne m’attardai pas longtemps de peur de craquer devant eux.

Je conduisis enfin Damien chez Martine. Il m’embrassa avant de sortir.

- C’étaient de supers vacances papa ! On se voit très vite !

Il retrouva sa mère et disparut derrière la porte de leur pavillon.

Le trajet qui me séparait de mon studio me parut interminable. Surtout avec toutes ces larmes que je ne parvenais pas à retenir.

Je ne tenais pas spécialement à me retrouver seul après ces trois semaines avec eux. Le choc allait être terrible. Je ne savais pas par quel miracle j’allais réussir à traverser mon dimanche et retourner bosser lundi.

Je jetai toutes mes affaires par terre à l’entrée et me changeai très rapidement. Je récupérai délicatement dans mon sac mon caillou qui m’avait tellement fait souffrir. Je l’observai un long moment puis je laçai de vieilles baskets, pris une profonde inspiration et démarrai une course à travers les champs. Il fallait que je me vide l’esprit, que je m’épuise le corps et la tête pour ne plus penser à rien et dompter la douleur, au moins pour quelques heures.

Je courus longtemps avant de m'arrêter au milieu d’un bois, épuisé. Je laissai mon rythme cardiaque et ma respiration ralentir, ma sueur s'évaporer. Soudain, sans l'avoir vraiment décidé, je me retrouvai à genoux, en train de creuser un petit trou dans la terre et d'y enterrer mon caillou que j’avais gardé serré dans mon poing.

Je rentrai alors, allégé de quelque chose d’indéfinissable.

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