XIX (fin)

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Je l’entends arriver. Son pas léger et unique que j’avais écouté attentivement tellement de fois et dont on m’avait privée depuis des lustres. Glenn vient à moi. Une énième retrouvaille, cette fois je n’ai pas de cadeau pour toi, pas d’enfant à chérir et faire périr sous tes yeux. Je suis juste là dépérissante et lasse.

Relevant la tête, je te retrouve inchangé. Mon ennemi de toujours, tu m’as manqué. Ses cheveux argentés étaient laissés libres sur ses épaules, des vagues de Lune qui émerveillaient ma vue, c’était si beau. Il l’était, jamais je ne l’avais imaginé ainsi, mon idyllique ennemi.

« Cordelia… » sa voix sourde, emplie de compassion quand il prononçait mon nom. N’aie pas pitié de ce que je suis, je te le dois, c’est ton œuvre.

Une profonde tristesse émanait de lui, je devais paraître bien misérable. Mais cette fois, quelque chose clochait.

Il ne s’avançait pas.

Pourquoi restes-tu loin ? As-tu peur de moi ?

Mes faibles membres que j’essaye de mouvoir, le bruit de ma robe rugueuse sur le sol sale, la lourdeur de mon enveloppe charnelle. J’entends mes os frotter et craquer, ma colonne vertébrale reprendre une forme normale au fur et à mesure que je parvins à me dresser. Enfin, je me tiens debout.

« Que t’ai-je fait, ma si belle Cordelia.

- Tu m’as aimée. »

Ses mots l’avaient transpercé, son expression affichait maintenant une profonde souffrance, ses yeux brillaient dans l’obscurité de ma prison. Sa bouche se pinça d’amertume, de regrets peut-être. La séparation avait duré trop longtemps, tous ses sentiments jaillissaient au fond de ses iris noirs, si beaux et honnêtes.

Ça y est, ses bras enlacèrent avec force mes maigres épaules. Sa chaleur contre moi, sa tête au creux de mon cou. Je me laissais aller dans la plénitude de son étreinte. La paix, pour la première fois, nous faisions la paix.

« Tu m’as manqué, ma vicieuse Reine. ».

***

Il revint le jour suivant, et encore le suivant. M’apportant de quoi me nourrir et des choses pour m’occuper. Mon bourreau me gâtait, mais ne pouvait se résoudre à cesser ma captivité prolongée. Sa royale personne devait préparer le peuple au retour de la Reine défunte, car l’on me pensait encore morte et enterrée. Glenn se préoccupait de mon bien-être, et je reprenais chair peu à peu.

Puis un jour, je me décidais à lui demander grâce. Qu’il me sorte de cette saleté déprimante pour me mettre dans une pièce viable et confortable. Je marchandai un lit, le message fut amplement compris et il céda à ma requête.

Je fus enfermée dans une petite chambre éloignée de la vie du château. Mon transfert s’effectua dans le secret le plus total, seuls les gardes, Glenn et un Ancien formaient mon escorte personnelle.

L’on me donna des robes, des livres et à manger.

Mais j’avais toujours aussi faim.

Je voulais du sang.

Mon mari déverrouilla la porte, m’apportant mon repas. Il resta avec moi le temps que je termine de me nourrir, me dévorant des yeux comme je dévorais la viande qu’il m’offrait.

Je glissai le plateau vidé de son trésor sur le côté, me léchant les lèvres en regardant Glenn intensément. Il vint à moi lentement pour ressentir mon corps plus intimement.

« Aime-moi Cordelia. »

Je jouais de mes mains sur sa nuque et dans ses cheveux, son dos, son torse, l’embrassant avec ardeur, souvenir de nos premiers échanges. Il ne me dévorait pas, il me chérissait profondément.

« Jamais mon amour. »

Il se figea devant moi. La douleur sublimait ses traits affligés. Douleur du couteau que je venais de lui planter dans le dos, visant son cœur. Il n’avait pas remarqué durant nos caresses, que le couteau avait glissé dans ma main.

Enfin, tu allais mourir. Celui qui nourrit ma haine depuis tant de temps. Le sang avait gagné ses poumons et il coulait maintenant de sa bouche rougie par nos baisers passionnés.

« J’ai gagné. Bonne nuit, mon amour. »

Je repoussai son corps mourant, ma robe maculée de son sang. J’avais vaincu, le trône de la nuit était pour moi. Laissant mon mari périr dans son propre sang, je me penchai vers lui pour admirer de plus près ce délectable spectacle. La faim me gagna à nouveau, pourquoi ne pas profiter de son sang avant qu’il ne disparaisse pour de bon, il ne faut pas gâcher les bonnes choses.

Comment ?

Son visage, face contre terre, me fixait. Son bras devant moi, qui m’avait transpercée à mon tour. Sa main pressait mon cœur.

« Tu… » du sang sortit de ma gorge en prononçant ce mot.

« Tu meurs…avec moi. »

Sa main m’arracha la vie.

.

.

.

J’ai gagné.

Mon très cher lecteur, je suis le vainqueur de cette histoire sordide. Cordelia vient de tuer Glenn et Glenn vient de tuer Cordelia. Ils ont perdu face à moi. Tu as perdu aussi, tu les as perdus tous les deux.

Toute cette mascarade est de ta volonté, ils sont morts par ta faute. Car tu ne m’as pas écouté. Je t’avais prévenu : ne lis pas ce livre abominable.

Si tu es parvenu jusqu’ici, alors tu es coupable. Tu as tourné les pages ! Tu as pris part à ces monstruosités. Coupable !

Rien de tout cela ne se serait produit, et ils ne seraient pas morts, si tu avais cessé de lire. Tu les as tués.

Voici la finalité de cette histoire, tu as participé aux vices et à l’Abomination. Bravo. Grâce à toi, j’ai perdu mes personnages et remporté la victoire de t’avoir dupé. Le spectacle est terminé.

Adieu, mon coupable lecteur.



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