Chapitre 2

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6 h 05. Dans la brume matinale, le commissaire Marc Le Guyader apparut sur le chantier naval, vêtu de son uniforme de police, impeccable. Derrière lui, un gyrophare lançait une lumière bleue pâle par intermittence, éclairant faiblement les tristes bâtiments portuaires.

Marc Le Guyader, 53 ans, était une force de la nature. Un homme qui en imposait. Massif, les sourcils broussailleux. Il était respecté par ses collègues, car il était rigoureux et efficace dans son travail, malgré son côté “taiseux”. Le Guyader ne parlait jamais pour ne rien dire.

 

À grandes enjambées, il approcha sa longue silhouette de la scène, et se planta devant les rubalises jaunes qui délimitaient la zone.

 

Des techniciens de la police technique, en combinaison blanche, masque, surchaussures, charlotte et gants étaient déjà sur les lieux, penchés sur le cadavre, procédant aux prélèvements, prenant des photos des moindres détails. L’un d’entre eux était tout en haut, sur le pont, et effectuait également des prises de vue et des recherches de traces papillaires à l’endroit présumé de la chute.

 

“Voilà une journée qui commence bien...”, pensa le commissaire.

 

  • Qu’avons-nous, ce matin ? demanda-t-il sans même avoir salué ses collègues.

 

Un blond de type surfeur, à l’opposé de l’image que l’on pourrait se faire d’un médecin légiste, répondit aussitôt, sans lever la tête :

 

  • Salut, Marc. Une jeune femme, 23 ans. Elle avait ses papiers d’identité sur elle. Elle se nomme Marie Doussal, et habite au lieu dit “Le Cabellou”. D’après mes premières constatations, la mort est survenue à la suite d’une longue chute, mais je ne peux encore rien affirmer avec certitude.

 

Il désigna simplement le pont au-dessus de lui. La jeune femme avait chuté de 30 mètres. Il hésita quelques secondes, puis ajouta.

 

  • Je dois tout de même vous faire part d’un doute qu’il faudra que je confirme en labo, car je  vois une plaie suspecte au niveau du dos. Quant à dire si elle a quelque chose à voir avec le décès, en l'état, je ne peux pas donner de conclusions maintenant, le corps est vraiment trop abîmé. J’ai déjà pris des photos. Affaire à suivre.
  • Heure du décès ?
  • Rigidité cadavérique installée, lividités cadavériques disparaissant après pression, corps encore “tiède”. Je dirais que la mort remonte entre 6 et 12 h. Il faudra que je procède à des analyses plus précises à l’IML pour vous donner une heure exacte. J’effectuerai aussi les rapports toxicologiques. Vous aurez tout le détail en fin de journée.
  • Hmmm...

 

Le cadavre était salement amoché, et baignait dans une mare de sang. La boîte crânienne était enfoncée, le reste du corps comportait des fractures multiples :  bassin, cage thoracique, colonne vertébrale. Une vraie boucherie.

 

  • Des témoins ? fit Marc.

 

Un de ses collègues lui répondit :

  • Non, pas pour l’instant. Il faudra procéder à une enquête de voisinage, mais le problème, c’est que nous ne sommes pas du tout dans un quartier résidentiel, ou commerçant. A part des mouettes, on risque d'avoir du mal à trouver des temoins. La découverte du corps a été faite par un jeune homme qui faisait son jogging. Il est assis sur la bitte d’amarrage, là-bas.

 

Il désigna un homme un peu plus loin, occupé à pianoter sur son smartphone.

 

L’inspecteur s’approcha de lui. Le témoin se leva et lui serra la main. Il était livide, encore sous le choc.

 

  • Commissaire Le Guyader. Vous êtes ?
  • Nicolas Marchand. Je faisais mon footing comme tous les matins, et j’ai vu le corps, là. Vu son état, je n’ai touché à rien. J’ai tout de suite appelé le 17.
  • Il était quelle heure exactement ?
  • Je dirais 5 h trente.
  • Vous êtes bien matinal...
  • Je fais toujours mon footing avant d’aller au travail, ce n’est pas un crime, si ?
  • Non, bien sûr que non. Qu'avez - vous vu ?
  • Rien de plus que ce que vous voyez en ce moment : un corps démantibulé, par terre. Et du sang, beaucoup de sang.
  • Vous n’avez vu personne de suspect rôder sur les lieux ?
  • Non.
  • Vous n’avez rien noté de particulier, un détail ?
  • Non.
  • Très bien, je vais noter votre déposition. Veuillez attendre quelques instants et je vais vous faire signer le document. Vous pourrez repartir ensuite.

 

C’était souvent comme ça. Des “témoins” qui n’avaient rien vu, rien entendu. Marc soupira.

Il retourna à son véhicule, tapa sur le clavier de son ordinateur, imprima des documents grâce à une imprimante portable, retourna voir le joggeur et lui présenta un papier et un stylo.

  • Signez là.
  • OK. C’est tout ?
  • Oui, vous pouvez y aller.

 

L’homme partit au petit trot, en se retournant régulièrement. Il aurait des choses à raconter à la machine à café, dès qu’il arriverait au boulot.

 

Marc déplaça de nouveau son grand corps vers son collègue, puis demanda :

 

  • À ton avis ? Meurtre maquillé en suicide, suicide ?
  • Le lieu est connu pour être le rendez-vous des suicidaires, vous le savez bien. Tout laisse à penser que c’est le cas ici : la victime tenait dans sa main un bout de papier. Le voilà. On a eu un peu de mal à le lui arracher.

 

Le policier tendit à son supérieur une petite enveloppe plastique contenant le message griffonné par la victime. Marc le lut en fronçant les sourcils.

 

  • Je crois que c’est assez clair. D’ordinaire, les suicidaires ne laissent pas de message avant de passer à l’acte. Nous avons de la chance, cette fois-ci, si je puis dire. Ça va nous simplifier la tâche d’un point de vue administratif. Nous allons tout de même interroger le mari et procéder à des analyses graphologiques. Essayez aussi de retracer le parcours de la victime avant son décès. Il ne faut pas passer à côté de certains détails, mais je crois que nous avons affaire à un simple suicide, ça me semble probable. Par contre, cette histoire de plaie dans le dos, essayez de tirer ça au clair.

 

Le Guyader quitta les lieux sans un au revoir, et rentra au commissariat, pensif. La victime n’avait que 23 ans, elle paraissait à peine plus âgée que sa fille... Qu’est-ce qui pouvait pousser des jeunes gens, avec tout l’avenir devant eux, à se suicider ainsi ? Il ne parvenait pas à comprendre, ça le dépassait. Il faisait partie de ceux qui considèrent la vie comme un combat, les échecs comme des expériences, les problèmes comme des opportunités.

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