La peur

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J'ai passé une nuit très agitée après l'incident. Je me réveillais en sursaut sentant des mains qui me touchait, et quand j'ouvrais les yeux il n'y avait personne, juste moi et l'obscurité. Nous sommes le matin, pourtant je ne veux pas sortir de ma chambre de fortune. J'ai peur. Peur de croiser ces individus malveillants, peur de ce que peut penser Georges et encore plus peur de ce que peut ressentir Ludwig. Pourtant la faim me tenaille mais je préfère encore mourir de faim et être desséchée par la soif que de sortir de cette pièce si rassurante.

Je reste là, à observer bêtement le plafond quand la porte s'entre-ouvre. Je me redresse comme piquée par l'aiguillon invisible qu'est la peur.

- Mady? Je peux entrer?

Cela fait bien longtemps que Georges ne m'avait pas appelé ainsi. Et malgré les circonstances, mon coeur de réchauffe dans ma poitrine.

- Oui tu peux venir.

Il referme soigneusement la porte derrière lui, tire un fauteuil près de mon lit improvisé et s'y asseois. Il croise et décroise ses doigts à n'en plus finir, visiblement mal à l'aise.

- Écoute Mady, je sais que depuis que je suis rentré les relations que nous entretenons ne sont plus les mêmes qu'avant.

- Georges tu...

- Laisse moi finir. Je sais que c'est de ma faute et que j'ai été plutôt dur avec toi. Mais ça m'était insupportable ! J'ai vue des choses terrible là bas, j'ai perdu mon bras mais j'ai également enterré des amis, et nous avons perdu notre père. À mes yeux les allemands ne méritaient pas la vie à cause de tout ce qu'ils ont fait. Je ne vais pas prétendre les aimer, je les déteste au plus profond de moi. Mais le Commandant, hier...

Je baisse la tête gênée.

- Ça aurait pu être beaucoup plus grave,tu aurais pu...ils auraient pu...

Il ne termine pas sa phrase, pourtant dans mon cœur je connais la fin. Mais ce n'est pas un sujet convenable à aborder à une époque comme la nôtre.

- Je m'en veux de ne pas avoir pu te protéger d'avantage. Je t'avoue que j'aurais préféré que tu tombe amoureuse de n'importe qui d'autre que d'un allemand. Mais moi aussi j'ai aimé, je sais ce que c'est et qu'on ne choisi pas toujours le choix de la raison.

On a jamais parlé de coeur avec mon frère, du coup c'est très étrange pour moi de l'imaginer amoureux d'une femme, de la même façon que j'aime Ludwig. Comme si mon frère était un être à part, qui ne peut pas éprouver ce genre d'amour.

- Tu sais qu'au fond j'ai de la peine pour toi. Tu vas au delas de grandes difficultées. Si tu l'aime vraiment tu risques de devoir tout abandonner, ta famille, ton pays. T'imagine tu vivre dans un pays dont tu ne parles pas la langue? Un pays qui te vois comme une ennemie de guerre? Un pays dont tu ne connais ni la culture ni les traditions ?

En fait j'évite de penser à tout cela, parce que ça me terrifie.

- Je ne sais pas... Peut être ne voudra t'il pas vraiment de moi, qu'il finira par se lasser et se détourner de moi.

- Je connais les homme Mady, j'en fais parti. Il y a ceux qui veulent s'amuser et il y a ceux qui veulent s'engager. Je te l'accorde ceux du second groupe sont plus rare, mais pour avoir discuté avec ton Commandant, il est on ne peut plus sincère avec toi. Et puis sérieusement ! Qui peut bien se lasser de quelqu'un comme toi?

Je glisse un sourire timide en dépis de la conversation très sérieuse que nous avons.

- Est-ce qu'on les as retrouvé ?

- Tu parles de tes agresseurs? L'un est parti à l'hôpital avec une jambe brisé, le deuxième a été roué de coups et doit se faire recoudre l'arcade sourcilière et ils ont balancé le troisième. Pour lui je ne sais pas ce qu'il a se passer...

Je n'éprouve aucune pitié pour ces hommes. Je ne me réjouis pas non plus de leur malheur. Je veux juste ne plus avoir peur de ce qui peut m'arriver.

- Est-ce que maman est au courant ?

Il me fait signe que non.

- C'est mieux ainsi.

J'attends quelques secondes et nous nous regardons sans mot dire. C'est étrange de voir à quel point notre relation a changé. Même si nous sommes maintenant en paix le Georges que j'ai connu n'est pas celui qui j'ai en face de moi. Comme s'il avait grandis d'un seul coup, qu'il était devenu un homme sans que je m'en aperçoive.

Je brisé ce silence gênant :

- Il faut que j'aille m'occuper des animaux...

- Ho oui...bien sûr. Je te laisse y aller.

J'appréhende de sortir de la maison et de me confronter à tout ces regards. Qui est au courant, qui ne l'est pas, qui savait et n'a rien dit? Aussi je marche le plus rapidement possible vers la porcherie. En passant devant la grange mon souffle s'arrête et je détourne le regard. Une fois cette étape passé je respire à nouveau.

Il est déjà plus de dix heures et Ludwig n'est toujours pas venu me voir. Je ne suis pas jalouse ou possessives mais cela m'inquiète, ce n'est pas son genre,surtout après ce qui s'est passé cette nuit.

A quinze heure je le vois passer non loin de moi, il évite soigneusement mon regard et fait même un détour pour rentrer à la maison. Mon coeur se brise en milliers de morceaux. Qu'est-ce que j'ai fais...? Je m'en veux alors que je sais pertinemment que je ne suis pas coupable. Alors pourquoi m'évite t'il de la sorte?

Attablés dans le salon ce soir il regarde son assiette en gardant un silence monacale. Seul le Colonel Ulrich s'égosille, parlant un coup allemand un coup français, s'adressant à ma mère ou à Ludwig, boudant ma présence. Il ne semble même pas au courant que deux de ces hommes soient partis a l'hôpital. Bien sûr que non, cet homme ne penses qu'à manger et boire.

Je cherche désespérément le regard de Ludwig. Quand le Colonel s'adresse à lui il ne répond que par monosyllabes, si bien que ce dernier finit par mettre les pieds dans le plat.

- Et bien que vous arrive t'il ce soir?!

Ludwig qui jusque là parlait français répond soudainement en allemand, d'une voix basse et sombre. Puis il se lève, s'incline devant ma mère avec un "Fraulein" si bas qu'on l'entend à peine et quitte la pièce.

Ma bouche et sèche et la nourriture a un goût de cendre sur ma langue. Je n'ai qu'une hâte, c'est que ce maudit repas soit enfin terminé.

J'aide ma mère à débarrasser la table le plus vite possible, une assiette, deux, trois, je ne les compte même plus, l'important c'est que je parle à Ludwig le plus vite possible. Alors que je m'apprête à poser la dernière assiette sur le plan de travail, je glisse et l'assiette vient se briser sur le sol. Mes nerfs sont à fleurs de peau, je prends l'essuie main et le mords de toutes mes forces, je le jette sur l'égoutoir avec toute la rage possible puis j'enfonce mes ongles dans mon cuir chevelu. Cela semble me calmer et lorsque me retourne maman est là, sur le pas de la porte à me regarder avec étonnement.

Je n'ai pas envie d'en parler, pas avec elle. Je n'ai pas la force aujourd'hui de supporter la moindre question.

Alors qu'elle ouvre la bouche je lui fais signe.

- Ce n'est pas la peine, je vais bien.

Puis je quitte la cuisine, laissant au sol l'assiette en mille morceaux.

Une fois dehors je cherche Ludwig. Je fais le tour de la ferme et finis par le trouver adossé à la maison face au champ de pomme de terre. Ce même champ où nous nous sommes avoué nos sentiments. Assis à même le sol il regarde droit devant lui, même lorsque je viens me planter à ses pieds il ne m'accorde même pas un regard. Il finit par pousser un soupir agacé avant de me lancer:

- Qu'est-ce que tu veux?

Sa question, brusque et sans douceur me transperce le coeur comme une flèche.

- Tu penses que c'est de ma faute n'est-ce pas ?

Il part d'un rire sans joie, un rire sarcastique.

- Je comprends que tu sois fâcher, mais...

- Non justement ! Tu ne comprends pas du tout. Est-ce que tu as la moindre idée de ce que ça fait de mettre en danger la personne qu'on aime le plus. Est-ce que tu sais à quel point on a envie de hurler? A cause de tout ça j'ai tabassé mes hommes, j'en ai envoyé deux à l'hôpital et j'ai fais déserter le troisième de peur. Heureusement le Colonel est la plupart du temps tellement ivre qu'il ne s'en ai pas rendu compte pour le moment. Et qu'arrivera t-il si il s'en aperçoit ? Ça ne retombera pas seulement sur moi Madeleine, mais sur toi aussi. Je te mets en danger par le simple fait de te parler, et quand je te touche mes hommes pensent que tu es une traînée. Qu'est-ce que je peux faire... Honnêtement comment penses-tu que tout cela va finir...?

Pendant tout son monologue j'ai pleuré en silence, le coeur broyé.

- Je suis prête à prendre n'importe quel risque pour toi...

Il se prends la tête dans les mains, accablé.

- Madeleine...tu ne te rends pas compte...après ce qu'il s'est passé !

- Je suis plus forte que tu ne le penses. Même si je devais être tué pour ça, je ne voudrais pas sacrifier ce qu'il y a entre nous.

- Madeleine...

- Je t'en supplie Ludwig, ne me laisse pas. J'ai besoin de toi comme je n'ai jamais eu besoin de qui que ce soit d'autre.

- J'ai peur Madeleine. Tu dois me prendre pour un lâche mais j'ai peur.

- Tu es loin d'être lâche. Moi aussi j'ai peur, mais l'amour n'est-il pas plus fort que la peur? N'est-il pas plus fort que tout ce qui existe au monde? Moi je penses que si.

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