Chapitre final : un Sorceleur ne meurt jamais dans son lit.

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 Trois jours ! Si ses calculs étaient exacts cela faisait déjà trois putains de jours qu’il errait dans ces galeries pourries tailladant des créatures au point d’en avoir mal aux bras. Il avait décidément passé l’âge de ces conneries, ruminait-il jusque dans sa méditation. Un cri déchirant le mit soudainement en alerte, persuadé que c'était la voix de Jaskier. Il était donc encore en vie !

 Geralt bondit sur ses pieds et avala sa dernière potion chat avant de s’éloigner du feu de camp qui lui avait permis de récupérer un peu d’énergie. Un nouveau cri de douleur le fit s’orienter dans la galerie de droite. Enfin il l’avait retrouvé !

 Il déboula hors d’haleine dans une caverne haute de plafond où les parois scintillaient, reflétant la lumière du feu qui avait été allumé en son centre. Son médaillon à tête de loup vibra sur sa poitrine. Jaskier était là, pâle comme un linge, suspendu le bras en croix à la paroi la plus lointaine. Il gémissait faiblement.

 Malgré l’avertissement de son médaillon et ne voyant aucun danger immédiat, le Sorceleur s’élança vers son ami :

– Jaskier !

– Geralt… Tu es venu…

– Comme toujours, non ?

– Je n’en attendait pas moins de toi, Sorceleur, renchérit le Barde dont la voix changea soudainement prenant une surprenante tessiture féminine.

– Que ?

– Tu te souviens de moi ? coupa-t-elle en mettant fin à sa mise en scène en lévitant jusqu’au sol. As-tu apprécié ton séjour pour venir jusqu’à moi ?

 Geralt jura grossièrement quand le piège magique se referma sur lui, lui interdisant tout mouvement. Impuissant, il vit le visage de son ami se transformer sous ses yeux, révélant une chevelure rousse puis la beauté délicate d’une ancienne amante. Il allait prononcer son prénom quand elle fit un geste de la main, scellant ses lèvres par un sort.

– J’ai attendu ce moment tellement longtemps… Sais-tu que je t’ai aimé ? Alors que toi tu ne pensais qu’à cette traîtresse de Yennefer… Pire ! Tu es parti avec mon apprentie ! Cette petite dinde de Mosaïque est revenue vers moi quand tu l'as quittée avec ta pathétique lettre et ton petit bouquet. Elle a bien payé sa traîtrise, elle aussi. Tu la verrais aujourd’hui que tu ne la reconnaîtrais pas. Dommage, elle avait du potentiel !

– …

– Ah oui, c’est vrai, tu ne peux plus parler. Sache que nous allons maintenant passer à la seconde partie de ce plan. Rassure-toi, Jaskier est en sécurité et je me suis arrangée pour que notre chère Yennefer le découvre aujourd’hui. Comme je suis sympathique, le sort que je t’ai jeté n’empêche pas ta géolocalisation. Nous devrions donc voir arriver très bientôt ta chère et tendre.

 Geralt avait traversé plus d’une crise grave dans sa vie pourtant la terreur s’insinua dans son cœur. Il n’avait pas peur de mourir, non. En soi, il accueillerait sa mort comme une délivrance après ces nombreuses et interminables décennies à parcourir ce monde pourri pour le nettoyer de ses créatures les plus abjectes tout en servant, malgré lui, de pion politique pour les uns et les autres. Il avait toujours voulu rester neutre et n’avait jamais réussi.

 Ce qui le terrifiait n’était donc pas sa mort mais celle de son amour. Immobilisé par ce sort qui le drainait petit à petit de ses forces, il assista, totalement impuissant, à l’ouverture du portail magique.

 Yennefer ne mit qu’un instant à comprendre la situation. La colère s'enflamma quand elle vit le regard désespéré de son homme figé. Elle lança un premier sort vers Corail qui répondit aussitôt en actionnant sont deuxième piège magique. Immobilisée dans son attaque, la magicienne brune sentit la panique s'emparer d'elle.

– Je vais vous faire une fleur, ricanna la rousse en les rapprochant d’un geste des mains.

 Geralt et Yen se retrouvèrent, pareils à deux statues, immobilisés à une coudée l’un de l’autre. Le sorceleur voyant les larmes emplir les yeux mauves de sa magicienne, lui envoya des pensées d’amour et de réconfort.

 A sa grande horreur, il sentit alors sa main droite se diriger, contre sa volonté, vers le pommeau de son épée d’acier. Corail le força ainsi à enfoncer la lame acérée dans le dos de son aimée. Il entendit avec désespoir sa colonne se briser puis sentit la lame les transpercer l’un après l’autre dans une douleur innommable. Faussement magnanime, Corail leur rendit leur liberté de mouvement alors qu'ils étaient cloués ensemble.

– Je vous laisse vous faire vos adieux, les amoureux. N’espérez pas de secours, jai scellé cette grotte. Elle sera votre tombeau pour l’éternité, sourit-elle en disparaissant dans un portail.

– Je… je suis désolée… murmura Yennefer.

– Tu ne pouvais pas savoir…

– J’aurais dû m'en douter, le deviner… Je ne peux pas croire que ça se finisse comme ça, ici…

– Ça me rappelle le bain…

– Oui… Nous avons eu un beau sursis…

– Oui, sourit-il tristement.

 Il maintint la garde contre le dos de Yen et referma les bras pour se rapprocher d’elle, achevant de traverser son propre corps. Il voulait mourir dans ses bras. Ses jambes s'éffondrèrent et ils tombèrent à genoux. Ils ne sentaient plus le bas de leurs corps. Elle se blottit contre lui et l’embrassa, la respiration entrecoupée par la douleur qui les transperçait. Il s'enivra une fois encore de son parfum.

 La vie s’échappa inexorablement de leurs deux corps enlacés, définitivement liés. Leurs cœurs s'immobilisèrent en même temps sur un dernier “Je t’aime” murmuré entre deux baisers. Tandis que la mort les emportait, ils eurent une étrange pensée de gratitude envers Corail pour avoir offert à leurs âmes de n'être plus jamais séparées.

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