NYC BABY

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C'est la fournaise dans la petite chambre, au centre des 4 murs pêche.

La fenêtre s'ouvre sur l'hiver, en distribue des souffles. Elle porte avec elle le réveil de la ville fanfare, aux cuivres de l'aube. Tout dehors bourdonne. Le cri des ordures entre deux bonjours, les rues comme des artères et au centre, les gens qui passent, le sang qui pompe.

"Ici, t'es à Brooklyn. Pas le chic, hein. Là, on est en bas. A une époque, y'avait des coups de feu tous les jours dans le coin."
"Et maintenant ?"
"Ben maintenant, non. Mais à l'angle de la rue, je t'emmènerai, tu peux acheter un putain de poulet frit."

Au pas du matin, mes yeux khôlés laissent des traces sur l'oreiller, jouent papillons dans les poussières des minutes.

6 heures, minuit ou moins.
Je ne connais pas le bleu du ciel, ici. Paris est loin.

Quand son coeur battait encore, Jack me parlait du coin. Je lui adresse quelques mots entre mes virées, de ces messages que seuls les vivants sont assez bêtes pour envoyer aux canés.

J'enchaîne les jours comme des cigarettes, à respirer la ville et sa couleur, qui me tape aux cils. Au loin, le soleil bronze et brosse le fer ; un tendre été sur le béton dore cette peau dure. C'est Michel-Ange, juste avant le soir, et mes yeux toujours enfants se tendent, soudain pilleurs béants, à garder ce qui brille dans mes cavernes, en voleur de trésor.

Alors, on s'arrête à chaque lumière, à chaque parfum de bar. Puis, on s'enferme tout le jour, à se cacher dans le salon, entre café et canettes, payées au corner de nuit. Partout dans New York, on avale des huîtres, du Bourbon et du caviar. Sous mes jambes, le métro qui branle, tousse et crache, les poumons entachés, fumeur de grosses villes quand d'autres tètent les grandes filles.

Je ne voulais pas venir là, moitié moi et moitié rien dans cette île neuve, mais elle me tape soudain sur l'épaule. J'y suis bien.

Depuis mon arrivée, Oscar joue les tragédiennes antiques. Je t'aime bien, babydoll, mais tu brasses, bordel, tu me lasses. Ta gueule bien ouverte et ton petit coeur en morceaux, pour un connard de perdu et 5 ans de passés, ça ne vaut pas tes coups de sang. Davantage les coups de reins.
Mais je t'écoute pendant des jours, l'oreille vague, le verre plein. L'âme patiente, je me prête en bouts, de l'oreille à l'épaule, la bouche chargée et la main tendue, pour te rassurer et me resservir.

Arrive le petit dernier de Décembre, un jour de plus et avec des airs de verre, avant le suivant.

Le soir vient et on se fait bonnes, les escarpins sur l'escalier, la main joyeuse en salut. Adieu, cage à fille. Boucle la porte, nous sortons pour toujours, nous sortons sans retour.

Puis, tout passe, part au champagne, et je paye et je paye, tapis de poker, je paye pour voir, surtout, toujours, je paye pour boire.
De ce tout en haut, je te matte, reine Manhattan. D'ici, tes lueurs et ces obscures, ces "tous" autour qu'il me semble déjà connaître et en bas, aux pieds, tes cargaisons de millions.

A minuit, verres au poing, nous hurlons à New York des souhaits vite oubliés, l'instant d'une bouteille, le temps de la vider.

Puis Oscar m'attrape le bras, viens vite, Mave, c'est l'heure, on y va ! Je siffle les flûtes, nous prenons la fuite entre les costumes, dans nos robes du soir. Le taxi est déjà occupé et je m'installe à l'arrière, en guise d'au revoir. Dans mon dos, la 8ème Avenue s'éloigne. Je garde en tête les lettres rouges, luisantes dans le noir. Heaven in Hell's Kitchen.

45 minutes et toujours Williamsburg derrière les vitres. Oscar accrochée aux mots de Fann et moi, patiente et perdue, pendant que nous roulons les rues comme du tabac. Putain ! mais Fann, t'es bourrée ?! Ton appart', ce n'était pas du tout de ce côté !

Il n’y a que des filles derrière la porte du loft, nues et soûles. Un grande métisse dorée part crier des insultes dans le couloir, dépasse Fann qui nous accueille en riant, la jambe chancelante et l'oeil brouillé. Elle nous explique que la soirée Bottomless Champagne a été annulée, finalement, certainement à cause de Jon, dont elle ne se souvient plus, de toute façon, mais qui était trop drogué pour retrouver l'adresse. Je regrette le règne opulent de l'Upper West Side.

J'ouvre du Prosecco avec un couteau de cuisine. Oscar se promène, enfile une paire de lunettes de soleil abandonnée. Assises l'une sur l'autre, une affiche de cinéma au dos, deux Françaises nous saluent, puis s'embrassent. Len, une autre anonyme de nuit, s’approche et me tourne vers elle pour m'étaler des paillettes sur les seins. Elle comprend vite que je ne suis pas du coin et me demande, l’air extatique, de lui répéter plusieurs fois la phrase "J'aime les macarons." Oscar me tend un gobelet en plastique avant de s'asseoir dans un grand tiroir laissé ouvert. Autour, la musique agite les hanches et fait danser les louves. Je m'appuie contre le mur, le personnage fatigué, dans la hâte patience du tomber de rideau. Derrière moi, les briques créent une carapace, se couchent sur mes os.

Oscar se colle à moi, soudain. Elle a fini de danser et râle, fatiguée et boudeuse, parce qu'on a fini la dope. Je la regarde se presser contre la fenêtre, la nicotine en voyage, et maudire Fann de ne pas la laisser fumer à l’intérieur. Dehors, puis dessous, New York en liesse.

Le ciel brille lorsque nous quittons Fa’. L'obscurité est sur le départ. Elle nous ouvre le chemin alors que nous pénétrons Brooklyn, nos jambes ralenties par les heures passées. Détour à l'angle de la seconde rue, entre les nuages de l’aube et les saveurs de curry. Y mêler nos parfums de dames, saluer Joe au bas de l'immeuble. Je lui laisse quelques dollars et une bouteille de Whisky. Je te jure, il préfère ça à la bouffe, Mave, c'est lui qui me l'a dit. Il n'y a pas de toilettes, dans la rue, tu vois, il n'a nulle part où aller chier.

Le lendemain, nous retrouvons la gueule de bois de Fann dans la lumière d'hiver ricain et ses parfums de gros sel. Nos lèvres sont sèches. J’ai encore au creux des seins le doré et le raté des odeurs de Brooklyn, qui ne me quittent pas, qui se plaquent à moi, me plantent dans le trottoir comme on claque une mauvaise fête. Du peu que je me souvienne, j'ai dormi 3 heures depuis mon arrivée.

"Il t'est arrivé quoi, hier soir, Fa' ?
"C'est de la faute de mes potes et de ce putain de barman à Manhattan : j'ai prévenu que je ne voulais rien boire avant le soir et ce con, il m'a servi des Gin Tonic. Dégueulasses, en plus, hein ! Mais bon, j'avais faim... Pourquoi ? j'étais en mode épave ?"
"Dude, je crois que je ne t'ai jamais vue aussi pétée. Et puis, la came, ça n'a pas dû aider. D'ailleurs, ça aurait été sympa de ne pas tout finir avant qu'on arrive !"
"What the fucking hell are you talkin' about ? Je n'ai pas pris de drogue, hier."
"Tu vois, tu étais pétée."

Fann' fronce le nez, repousse ses lunettes Prada sur son visage de lune. Elle travaille à la télé comme présentatrice sur une chaîne de finance et vient de Los Angeles. Je n'ai aucune idée de la façon dont Oscar et elle se sont rencontrées.
Nous nous installons au bord de l'eau pour saluer en silence Manhattan sur l'autre rive. Le soleil glisse d'un instant dans les mèches de Fann, égare son rayon à nos côtés. Oscar fume devant l'usine. Finalement, coup de fil du restaurant : notre table est libre.

"Demande-leur s'il leur reste du saumon. Hein ? Dis-moi qu'il en reste ! Sinon, je te jure que je m'évanouis sur la plage."

Oscar et Fann rient encore un peu, quittent le sable et, à pas lents, retournent retrouver le bitume.
Je les regarde un instant, me dresse sur mes talons. Je respire une seule fois, avale un morceau de vent.

C'est le premier jour de l'année et il va falloir avoir du courage.

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