I - Fleuriste

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Les yeux à peine ouverts, Leïli sut que ce serait une mauvaise journée. À travers les rideaux troués, une lumière blafarde et morne éclairait faiblement sa chambre, donnant tout sauf envie de se lever. Le coq de leurs voisins chanta et la jeune femme étouffa un soupir de frustration avant de se redresser, ignorant les épis désordonnés que formait sa chevelure blonde dans son dos. Avec les mouvements aussi lents qu'une grand-mère atteinte de rhumatisme, Leïli enfila ses chaussons et s'enroula dans une couverture pour descendre à la cuisine, manger son petit-déjeuner, et essayer par la même occasion de se réveiller.

Dès les premières marches descendues, l'odeur familière et réconfortante des oeufs et du pain grillé la fit descendre plus vite les escaliers.

Son frère jumeau, Alex, aussi blond qu'elle, avait toujours été un lève-tôt, et s'était donné pour mission de toujours faire à manger à sa petite soeur. Et oui, petite. Selon leur mère, il avait douze minutes de plus qu'elle, douze minutes d'expérience qu'il lui rappelait quotidiennement à chaque fois que la maladresse chronique de Leïli frappait encore.

  • Bonjour soeurette, bien dormi ?

Un vague grognement lui répondit et ladite soeurette vint s'étaler sur la table, remontant par la même occasion la couverture sur ses épaules et posa sa joue contre le bois usé et poli de leur table mille fois transmis de génération en génération, à se demander comment elle avait traversé les siècles.

Une assiette remplie de nourriture et un bol de thé furent posés devant elle, posés par la main toujours prévenante d'Alex. Ce dernier avait déjà mangé, comme toujours, et se contenta donc de jouer sans y penser avec les restes dans son assiette, traçant et effaçant au gré des mouvements de sa fourchette des signes abstraits et éphémères.

Ce calme provisoire dura le temps que Leïli finisse de manger, et presque immédiatement après, comme revigorée et soudainement plus vivante, elle se leva d'un bond. Rodée par l'habitude, cela ne lui pris pas longtemps et bien vite, sautillant toujours comme un cabri, maintenant pleine d'énergie, la jeune fille grimpa de nouveau à l'étage et s'enferma dans sa chambre, le temps de se préparer.

D'abord coiffer sa chevelure blonde, qui à ce moment ressemblait plus à une crinière de lionne qu'à celle d'une femme distinguée. Après quelques coups de brosse, deux ou trois grimaces d'inconfort et quelques cheveux perdus, elle les attacha en queue de cheval, fronçant les sourcils pour éviter les épis et réussir à attacher joliment le noeud rouge qui les retiendrait toute la journée. Une fois satisfaite, Leïli ouvrit son armoire et y fouilla quelques secondes avant de s'en écarter pour ouvrir la fenêtre et goûter l'air frais et piquant de l'extérieur. Le temps commençait à se réchauffer, le printemps n'était plus loin, et pourtant les matins étaient encore froids, ponctués quelques fois encore de flocons timides et discrets qui ne tenaient pas sur les toits de la ville et se contentait de rendre glissantes toutes les rues.

Leïli détestait la neige, surtout celle qui ne tenait pas, et avait une aversion complète et impossible à changer contre tout temps froid, incluant vent, givre, grêle, et bien sûr, neige.

Revenant vers son armoire, elle en sortit une robe bleu pâle qu'elle enfila sans perdre de temps. Les boutons de son col la firent batailler un peu, et après un juron inélégant et un énième froncement de sourcils, elle fut habillée, du moins, presque entièrement.

D'une coupe jugée par la cour comme déjà démodée, seules les femmes des quartiers moyens portaient encore ce genre de robe, pourtant, Leïli continuait de bien l'aimer, la ceinture à sa taille soulignait sa constitution délicate et le côté un peu bouffant des manches l'amusait ; comme si elle était un mélange entre une dame de la noblesse et un clown.

  • Leïli, dépêches-toi, nos clients vont attendre !

Alex, la voix de la raison.

Dévalant pour la deuxième fois de la journée les escaliers, Leïli se dépêcha de rattraper son frère qui déverrouillait déjà l'imposante porte menant à leur magasin.

Plongé dans la pénombre, il fallut quelques instants au jeune homme pour enfin trouver les volets. Immédiatement, la lumière entra dans la pièce rendue exigüe par l’amoncellement de plante s'y trouvant. Leïli se fraya un passage, enjambant pots et jeunes pousses pour ouvrir la porte et commencer à installer leur devanture.

Par la mécanique bien huilée de l'habitude, les jumeaux allaient et venaient de leur côté, à un rythme soutenu et presque élégant, la devanture autrefois triste et morne se remplit rapidement de fleurs et de plantes, ajoutant une touche de couleur à la rue qui sinon serait d'un grisâtre attérant . C'était un de leurs principaux atouts de vente ; leur emplacement. Presque positionné près d'un carrefour, dans une rue de passage, nombreux étaient les passants qui s'arrêtaient pour observer quelques instants la rougeur éclatante d'un coquelicot ou le blanc plus délicat des roses que Leïli et son frère faisait patiemment pousser dans la cour de leur maison, les couvrant d'un soin quasi maternel.

Une fois la devanture entièrement installée, les deux jumeaux sortirent dans la rue, observant d'un peu plus loin leur échoppe. Quelques ajustements plus tard, ils étaient fin prêt à ouvrir.

Immédiatement, Alex partit dans l'arrière-boutique, et Leïli s'installa à la caisse, attendant avec impatience les premiers clients de la journée.

La journée passa comme les précédentes et celles qui suivirent, dans une routine et une habitude rassurante, ponctué des rencontres inattendus, de rires, parfois de pleurs, mais surtout d'un sentiment de sérénité que seules les plantes pouvaient apporter aux jumeaux.

Leur quotidien aurait pu paraître ennuyeux d'un oeil extérieur, mais très loin de ce préjugé, le frère et la soeur prenaient plaisir à assembler les bouquets pour leurs clients, prendre soin de leurs marchandises ; couper, tailler, raboter, arroser, encore et encore, dans un cycle infini ce qui assurait leur subsistance.

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