Joug de la couronne

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Assise sur son majestueux lit, le regard vide, elle se sent à la fois si puissante et si vulnérable. La cérémonie lui a fait ouvrir les yeux sur son importance, sur son autorité, sur son pouvoir au sein du Royaume qu'elle aime tant, mais également sur le poids de la couronne et de cet idéal qu'elle va devoir incarner du haut de ses 19 ans et ce, pour le reste de sa vie, jusqu'à sa mort. En cette journée, elle doit faire deux deuils, celui de sa chère mère ainsi que celui de sa vie d'avant.

La porte s'entrouvre doucement, l'arrachant à ces angoissantes pensées, laissant apparaître le doux visage de son petit frère Polemistís qui s'avance vers elle pour s'asseoir, sans un mot, à ses côtés. Elle pose la tête sur son épaule et prends la parole:

- Je ne sais pas si la couronne ne symbolise pas une perfection, un archétype, trop lourd à porter pour moi... Enfin, je ne sais pas si j'ai envie de la représenter, si j'en ai la capacité.

Il se lève puis regarde par la grande fenêtre donnant sur la foule qui se disperse.

- Tu y arriveras, je n'en doute pas un seul instant.

Il se retourne vers elle et lui fait signe de la suivre.

Dans l'imposante écurie, les deux jeunes gens préparent leurs chevaux Spánios et Polýtimos. Le premier bel étalon, noir, rapide, vif et explosif, appartient à Charà; le deuxième, appartenant à Polemistis, a une robe d'un blanc éclatant et d'une élégance rare. Un silence placide règne dans l'écurie que les pas hatifs du grand valet de pieds de la reine viennent importuner. A peine la souveraine a-t- elle chevauchée son haut destrier que l'homme se dresse devant sa monture lui empêchant le passage.

- Madame, vous ne pouvez pas vous déplacer sans au moins une personne de la garde rapprochée. Je sais que vous ne connaissez pas encore parfaitement le protocole, mais vous devez vous soumettre à des règles strictes en matière de sécurité.

- Je n'ai pas envie que quelqu'un me suive dans tous mes déplacements! Rétorque-t-elle en levant les yeux au ciel.

- Vous n'avez pas le choix, ma Reine.

Polemistis jette un oeil agacé au valet, il sait que sa soeur n'a pas le droit de se balader seule avec lui, mais il voulait lui donner la chance de pouvoir se confier, de pouvoir s'aérer un peu l'esprit une dernière fois.

- Très bien, lache-t-il dans une expiration montrant son irritation, nous allons attendre le valet de pieds pour sortir de l'écurie.

Tout à coup, un bruit sourd, comme si quelque chose venait de tomber, se fait entendre. Le valet se retourne alors, et à ce moment précis, profitant de l'occasion, les deux jeunes gens de la royauté se précipitent au galop hors de l'écurie, en direction de la grande forêt sombre adjacente au domaine.

Leurs rires et les claquements des sabots contre le sol contrastent avec la tranquilité inquiétante du bois. L'air fouettant son doux visage, ses longs cheveux roux s'envolant au vent, elle prend une profonde inspiration. Elle se sent vivante, elle se sent libre en cet instant magique où rien n'a d'importance. Son frère lui passe devant avec son fidèle ami en lui jetant un oeil plein de provocation. Elle ordonne alors à son cheval d'accélérer sa foulée, se lançant dans une course qu'elle compte bien remporter.

La fuite de la reine bouscule la tranquilité du palais. "Où se trouve-t-elle? Va-t-elle revenir? Pourquoi ce décampement?" Sont les questions qui reviennent sans cesse dans la bouche du personnel de la cour. Le père de la reine, en pleine réunion, ne se doute pas de ce que le valet va lui annoncer quand celui-ci entre dans l'immense salle. Il s'approche de l'homme imposant par sa prestance et son charisme et lui glisse à l'oreille qu'il a perdu la trace de sa fille, la souveraine. Le paternel, ne semblant pas inquiété par la nouvelle, fait signe au domestique de sortir, sans un mot et continue sa vive discussion avec ses convives, les parents des différents chefs de Royaumes voisins. Ces derniers étant tous dirigés par des hommes contrairement à Feminae, la seule exception. Ils se rencontrent en cette journée de couronnement au sujet du mariage de la nouvelle régnante. Comme l'indique le protocole, la dame à la tête de la royauté ne peut diriger seule et doit se faire accompagner par son époux à chaque sortie officielle. En temps normal, la Reine mère marie sa fille avant le couronnement, cependant la maladie l'ayant emportée rapidement, elle n'eut le temps d'unir sa descendante à une figure d'autorité d'un état allié.

Après avoir rentré les chevaux, riant aux éclats, essouflés, les deux rebelles se précipitent dans la cachette de leur enfance derrière l'écurie, un grand placard vide, oublié, dans lequel on y rangeait les papiers importants mais que les domestiques avaient viré du bureau officiel car il contrastait avec la nouvelle décoration refaite il y a de ça une dizaine d'années. La porte entrouverte permet de laisser passer un petit filet lumineux permettant d'éclairer légèrement l'intérieur de l'armoire vidée de tout document mais remplie de souvenirs, de discussions confidentielles, de rêveries partagées.

- Avec le temps qui passe, j'en avais preque oublié l'existence de cet endroit! S'exclame Charà, nostalgique.

- Oui... Tu te souviens de la fois où, cachés ici pour ouvrir les cadeaux, tous les invités nous cherchaient pour célebrer ma communion? Lance le jeune homme avec un petit rire.

- Oui! Ils ne nous ont pas trouvé! La fraîcheur de la nuit nous a finalement obligé à sortir!

- Maman nous avait passé un sacré savon...

La jeune fille le regarde, un sourire mélancolique sur son visage. Elle se souvient de tous ses moments passés avec son frère ici, chose qu'elle ne peut plus faire maintenant qu'elle est Reine. Perdus dans leurs pensées, les deux adolescents ne prête pas attention aux pas s'approchant.

- Charà, Polemistís! Tout le monde vous cherche! Vous ne pouvez plus vous comporter comme quand vous aviez 10 ans! Charà, tu incarnes la royauté maintenant!

Sovarós, leur frêre ainé ouvre la porte en prononçant ces mots. Debout face à eux, l'air sévère, il continue de les sermoner. Son discours ramène les révoltés à la raison. Ils sortent de leur cachette et, sans un mot, suivent leur frère. Le premier né de 25 ans, le plus sérieux de la fraterie, aurait pu être l'héritier de la couronne, il en aurait eu les épaules mais son genre fait que ce n'est pas possible. Cependant, sa place dans la famille lui convient très bien, il aime ne pas être au premier plan, conseiller les autres, les soutenir.

- Papa, je...

Elle n'a pas le temps de s'excuser auprès de son père pour son comportement, que celui ci la coupe, passant devant elle d'un pas hatif, sans même la regarder.

- On en reparlera plus tard, suis moi, je t'ai trouvé un époux.

Choquée, renversée, assommée par cette annonce qu'elle ne pensait pas recevoir présentement, elle le suit, dans un état second, comme si son esprit avait quitté son corps brusquement.

C'est alors décoiffée et secouée qu'elle s'apprète à rencontrer celui que son père a choisi pour elle

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