Chapitre 2 : A la recherche du Nil

7 minutes de lecture

— Azimut, viens voir !

L’appel de Dents-Longues résonna en écho dans les montagnes Ethiopiennes. Le pirate à l’épaisse crinière sombre était monté sur une jument à la robe aussi noire que les pupilles de son cavalier. En contrebas, une forme féminine sortie de la brume juchée sur un pur-sang arabe à la robe baie. Elle était vêtue d’un manteau de capitaine carmin usé par le vent et le sel. Sa chevelure brune était coiffée d’un large sombrero de feutre brun qui, sur un navire, lui aurait donné fière allure mais qui dénotait dans ce paysage montagneux et désertique.

— Regarde, le Nil et là-bas, au fond de cette vallée, reprit le pirate de la confrérie des Longs-Couteaux.

Au Nord-Est, par-delà les monts embrumés, une interminable forme blanchâtre serpentait entre les sommets.

— Il nous faut suivre ces nuages, affirma Dents-Longues. Le Nil se trouve là-dessous.

— Possible… possible… mais pourtant… Hummm… mes calculs…

La femme était plongée dans ses réflexions, le regard fixé sur la boussole dont l’aiguille oscillait à chaque battement de son cœur.

Voilà 18 jours qu’ils avaient quitté la caravane de marchands qu’ils suivaient depuis Djibouti pour couper à travers monts afin de retrouver le Nil Bleu. Azimut était une pirate de la confrérie des Navigateurs, connue pour ses prodigieuses capacités autant que pour son tempérament distrait et ses réflexions mystérieuses. Surcouf avait tout de suite compris que cette femme serait capitale dans sa quête du trésor des Bénédictines. C’est elle qui avait réussi à percer le mystère de la carte et découvert les lieux abritant les 7 pièces qui les mèneraient au trésor. Le temps leur faisait défaut, et il avait fallu séparer l’équipage en deux. Ainsi, lorsque le conseil des sages de Djibouti avait réparé la boussole de Chalais, la première des 7 pièces, le corsaire l’avait confiée à Azimut et lui avait demandé de partir en quête de la pièce cachée à Constantine, coupant à travers le désert, accompagnée de Dents-Longues, Zélia et Nid-de-Pie.

Cependant, une fois sur la terre ferme, la Navigatrice semblait avoir perdu tous ses repères. Par deux fois, elle avait tenu tête au meneur de la caravane, arguant qu’il se trompait de cap et les conduisait trop au Nord. L’homme, qui suivait cette route depuis des années, en avait finalement eu assez et l’équipe s’était séparée de la caravane pour tenter à elle seule de rejoindre le Nil. Ils avaient alors filé plein Ouest, suivant la boussole et les calculs d’Azimut. Ils auraient dû croiser le fleuve deux jours plus tôt, mais n’avaient vu que des pics désertiques se succéder les uns aux autres.

— C’est impossible que le Nil soit autant au Nord, et s’il est à l’Est, cela signifie que nous l’avons dépassé au lieu de croiser sa route… comment… non… je dois y réfléchir… il faut continuer…

— Rhaaa, tu m’agaces, ragea le Longs-Couteaux. Zélia, Nid-de-Pie, venez voir !

A leur tour les deux personnages émergèrent de la brume matinale. Le premier était à pied, tirant par la bride un hongre gris pommelé. Nid-de-Pie était un ancien esclave originaire d’Éthiopie. Arraché à sa famille à l’âge de 5 ans par des négriers portugais, il ne gardait qu’un souvenir lointain de la terre qu’il foulait aujourd’hui. Le jeune homme d’une vingtaine d’années portait une pantalon de lin tenu par une cordelette de chanvre. A ses chevilles tintaient les chaines qu’il portait autrefois. Il avait été recruté par Surcouf pour son agilité dans les haubans et sa vue aussi perçante que celle de Balaïkhan, l’aigle de Wardin. D’un regard vers le nuage pointé par Dents-Longues, il confirma qu’il devait s’agir du Nil, et il discerna même le nuage de fumée causé par un troupeau de buffles qui traversait le fleuve, à plusieurs dizaines de lieues de là.

— Êtes-vous bien certains de ce que vous avancez ? demanda Zélia. Le ton autoritaire de la jeune femme ne laissait aucune place au doute. D’après les calculs d’Azimut, nous aurions dû trouver le Nil bien plus à l’Ouest. Azimut ?

Mais la mystérieuse navigatrice avait de nouveau disparu, redescendue vers leur bivouac.

— Depuis notre départ, elle persiste à suivre cette foutue boussole, tempêta Dents-Longues. Elle n’a pas voulu suivre la caravane et voilà où nous en sommes. Perdus dans ces montagnes désertiques. Nous n’aurions jamais dû faire confiance à cette illuminée !

— Tempère ton vocabulaire, Dents-Longues, si tu ne veux pas tâter de ma rapière.

Piqué au vif, le pirate se rebiffa, mais il vit dans le regard bleu électrique de la jeune femme qu’il ne fallait pas la provoquer.

— Allons retrouver Azimut et voir ce qu’elle fabrique, conclut-elle en se retournant, sa longue chevelure de feu venant cingler le visage du Longs-Couteaux.

Ils levèrent le camp une heure plus tard, Azimut ayant déclaré que les cartes confiées par les sages de l’autel des Navigateurs à leur départ de Djibouti manquaient de précision, et elle s’était mise en tête de les mettre à jour. En effet, ces contrées étaient encore inexplorées, et les géographes se basaient pour leurs cartes sur les informations approximatives des meneurs de caravanes, qui s’orientaient la plupart du temps au Soleil et aux étoiles, et ne savaient ni lire ni écrire. En contrebas de la colline, ils tombèrent sur une rivière à sec, affluent de la rive gauche du Nil bleu et qui, par chance, était matérialisée sur les cartes d’Azimut. Le lit sablonneux du cours d’eau leur fournit un terrain plat et dégagé qui leur permit de lancer leurs purs-sangs au galop et d’avancer ainsi à bonne allure. Les bêtes étaient rapides et endurantes, et ils ne s’arrêtèrent qu’un court instant pour déjeuner et laisser les chevaux s’abreuver dans une vasque encore en eaux de la rivière. Peu avant le coucher du soleil, ils croisèrent le cours majestueux du fleuve qui nourrissait tant de récits et de légendes. De part et d’autre, le Nil avait creusé des falaises de près de trois cents pieds de haut et presque autant de large.

Mais si le lit du fleuve était impressionnant, le cours d’eau qu’il abritait était d’une importance risible. Comment le Nil Bleu aux reflets iridescents pouvait-il être devenu ce ruisseau boueux ridicule ? Les quatre équipiers circonspects décidèrent de remonter sur les berges du fleuve afin d’établir leur campement. Au Sud et à l’Est, des nuages noirs s’amoncelaient sur les sommets sombres des montagnes du Simien.

La nuit fut agitée. Au nord et à l’Est, de violents orages éclatèrent, et des éclairs zébrèrent le ciel tandis que le vacarme assourdissant du déluge faisait résonner les collines. Le lit asséché du Nil faisait l’effet d’un long serpent tapi dans l’ombre, attendant une proie invisible. Le campement resta épargné par les orages, et les quatre compagnons purent dormir au sec. Le lendemain, ils reprirent la route peu avant l’aube. Ils dévalèrent la pente douce du rivage pour galoper, comme la veille, sur les plaines sableuses du Nil. Ils croisèrent quelques crocodiles cachés dans la boue surpris de voir des proies aussi inhabituelles. Les chevaux se montrèrent nerveux à leur vue, mais pas autant que lorsqu’un lion solitaire apparut en fin de matinée sur la berge Nord du fleuve. Il les suivit sur quelques centaines de mètres avant que Zélia ne tire un coup de pistolet dans sa direction. Le roi de la Savane ne demanda pas son reste, et fit demi-tour, la queue entre les jambes.

Aux alentours de midi, un grondement sourd se fit entendre, de plus en plus intense, et le lit du Nil se mit à trembler. Le ciel était clair et les orages s’étaient déplacés vers l’Est et le Sud.

— Nous ferions mieux de quitter le lit du fleuve, proposa Azimut.

— Tu as raison, confirma Zélia, allons voir de là-haut ce qu’il se passe.

Ils remontrèrent sur la rive droite du Nil. Le grondement se faisait de plus en plus intense. A peine Dents-Longues, qui fermait la marche, eut-il franchi le rebord herbeux de la berge qu’un torrent d’eau écumante dévala le lit presqu’à sec du Nil charriant alluvions, arbres et autres végétaux. Un buffle noyé, surpris par la puissance et la force du courant, flottait au milieu des flots agités, entourés de trois reptiles qui se repaissaient de ce repas gratuit.

— Eh bien, nous l’avons échappé belle, siffla Dents-Longues.

— Allons-y, et tâchons de trouver une embarcation, maintenant que le Nil redevient navigable ordonna Zélia.

— Espérons que sur les flots, Azimut retrouvera le Nord, ironisa le Longs-Couteaux.

Il leur fallut encore près d’une semaine de voyage avant de croiser un village de pêcheurs établi au bord du Nil. Les habitants à la peau d’ébène, nus pour la plupart, ou portant un simple pagne à la ceinture, prirent peur en voyant arriver les quatre cavaliers. Ils ne furent qu’à moitié rassurés de voir que Nid-de-Pie était de la même couleur de peau. Ils ne parlaient évidemment ni Français ni Anglais, mais au terme de négociations laborieuses qui durèrent une demi-journée, ils acceptèrent d’embarquer hommes et chevaux sur des immenses radeaux qu’ils manœuvraient à la perche entre les rochers. Le flot tumultueux de la crue brutale du Nil bleu dont ils avaient fait l’expérience quelques jours plus tôt s’était calmé, mais le courant était toujours impressionnant à cette période de l’année, et il leur fallait naviguer avec la plus grande prudence. La force seule du courant leur permettait cependant de descendre à une vitesse acceptable, si bien qu’ils parcouraient près de deux lieues par heure. Le courant était cependant bien trop dangereux pour qu’ils puissent naviguer de nuit et ils bivouaquèrent chaque soir sur les berges du Nil bleu. A la lumière des étoiles, Zélia guettait leur avancée sur les cartes d’Azimut, et la mer leur semblait si lointaine, à plus de mille milles au Nord de leur bivouac. Arriveraient-ils seulement un jour ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Timothée Pinon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0