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Le charmeur de loups relève ses collets. Les prises sont encore maigres, constate-t-il soucieux. Tout le vacarme engendré par cette agitation a fait fuir le gibier. C'est pour cela que les braconniers, comme le grand Berlot, osent s'aventurer de plus en plus loin sur son territoire et se permettent de traquer la meute qu'ils considèrent comme une concurrente.

  • Bonjour !

Perdu dans ses pensées, le meneur n'a pas entendu André arriver.

  • Eh bien ! Il semblerait que, contre toute attente, je sois devenu un vrai chasseur ! J'ai réussi à vous surprendre ! lance le jeune homme blond sur le ton de la plaisanterie.

Le charmeur de loups se mord l'intérieur de la joue, irrité. Il se redresse de toute sa taille et jette un regard noir au scientifique. André, habitué à ces démonstrations d'humeur, ne se laisse pas déconcerter. Bien qu'encombré de tout son attirail, il essaie de prendre une pose fière. Il étouffe un juron pendant qu'il tente maladroitement de rattraper ses différents instruments avant qu'ils ne tombent bruyamment au sol.

Comment les gars de la ville font-ils pour être aussi empotés ?

Pour se redonner contenance, le scientifique installe de curieuses lunettes sur un trépied. Connaissant le manque de curiosité du serreux, il devance son silence.

  • Avant que vous ne me le demandiez, il s'agit bien de nouvelles berniques. C'est un essai. Un quadrillage a été introduit entre les lentilles, pour me permettre de mieux respecter les proportions.

André déplie un chevalet portatif non loin des loups. Le silence de la clairière n'est alors interrompu que par le crissement du fusain sur le papier et le bâillement des bêtes qui ont daigné servir de modèle. Dans l'ensemble, la meute l'accepte plutôt bien. Seul le grand mâle gris s'éloigne quand il leur rend visite. Les subalternes, plus accommodants, apprécient le jeune homme et ses curieuses occupations. Ce dernier est arrivé il y a deux lunes à peine. Contrairement à ses collègues partis étudier la faune des colonies, André inventorie celle moins exotique des régions de France. Il s'intéresse vivement à l'anatomie des carnassiers et a gagné en assurance au fil de temps pour mieux les approcher. Le naturaliste réalise de nombreux croquis et exécute régulièrement un tas de mesures absurdes : la circonférence des muscles, la taille des griffes, l'écartement de la mâchoire... Il se désole de ne pas avoir une deuxième meute à proximité pour pouvoir travailler sur des effectifs plus grands. Mais, du fait des primes de chasse qui ne cessent d'augmenter, aucun autre prédateur ne réside dans la région.

  • Tiens.

Laconique, le meneur pose un sac de jute élimé au pied du jeune homme.

  • Qu'est-ce donc ? Demande celui-ci intrigué.

André délie prestement le paquetage.

  • Des os ? Du loup ?
  • Sois pas idiot, le rabroue le serreux. On ne joue pas avec nos morts. C'est du chien errant. Il a un peu la même taille.

Ils assemblent le squelette proprement nettoyé sur le sol. D'ordinaire concis, l'homme commente chaque partie de l'animal au fur et à mesure qu'ils complètent cet étrange puzzle.

  • Tu vois le crâne ? Les muscles s'attachent ici. La profondeur des traces qu'ils laissent montre bien la puissance de la mâchoire.

Le scientifique ne cesse de prendre des notes. Son carnet de terrain est déjà plein de remarques zoologiques. Sa plume gratte le papier tandis qu'il réalise de rapides esquisses. Il place les tendons et la chair, tels que les lui décrit le charmeur de loups tout en rajoutant ses propres commentaires de son écriture fine et nerveuse.

  • Et les dents, tu vois ces dents ?

Le meneur montre des molaires et prémolaires très développées.

  • Elles s'emboîtent ainsi, ce qui permet de trancher la chair et de broyer les os. Ce n'était pas n'importe quel mâtin celui-là, ajoute-t-il dans un demi-sourire.
  • Ces os, ça me fait penser que les gars du chantier ont déterré un curieux ballot l'autre jour. Ils en parlaient au dîner hier soir.

André lance un coup d’œil au serreux de loups. Ne détectant aucune réaction menaçante, il continue.

  • Quelques ossements hâtivement rassemblés dans un linge. De petits os, insiste-t-il, comme ceux d'un nourrisson. Ils portaient des sortes de rayures, comme des gravures ou ...
  • Tu m'as l'air bien au courant, l’interrompt le jeteur de sorts.
  • Les ouvriers me les ont montrés, répond le jeune naturaliste d'un air coupable. Pour identification...
  • Faut-être sacrément idiot pour regarder là-dedans, lui reproche son interlocuteur.
  • Et bien, le tissu était fort vieux et ne retenait plus grand-chose.
  • Y'a rien de bon à creuser par là. Ne t’en approche pas, dit le meneur en crachant au sol, comme pour conjurer le mauvais sort. Des choses anciennes dorment, et je préfère qu'elles restent dans leur lit. La curiosité ne rallonge pas la vie d'un homme.

André réfléchit à ce qu'il vient d'apprendre. Il sent qu'il s'agit d'un sujet sur lequel il ne faut pas insister. Il repousse alors ses multiples questions et n'ajoute rien.

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