Epilogue

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Le soleil se levait sur la cité de Zenfei. Un jour de plus sous l’état d’alerte qui durait déjà depuis plusieurs mois. Ce dernier avait été déclenché par le Haut Conseil à la suite de l’enlèvement de Monseigneur Peymour II. L’Ordre de Mwrida demeurait orphelin de son chef suprême. Les chances de le retrouver paraissaient nulles désormais. La situation présente ne pouvait plus subsister. La ferveur du peuple semblait impactée négativement par les circonstances actuelles. Les prêtres de Mwrida craignaient de perdre leur influence. Un synode devrait se tenir pour décider des mesures à adopter pour garder l’estime de ses fidèles.

L’emprise du Majestic 13 au sein de l’Ordre de Mwrida apparaissait amoindrie. L’état d’alerte lui prenait beaucoup de son temps et de ses ressources. Pour la première fois de son histoire, il ne possédait pas la majorité lors du conclave. Et cela se montrait problématique, car parmi les diverses discussions, la plus importante demeurait la succession au poste de Monseigneur. Si aucun de ses agents ne parvenait à se hisser à la tête de l’Ordre, le Majestic 13 perdrait une substantielle partie de son influence.

Le peuple d’Arnès ne supportait plus cette tension permanente. Le sentiment d’être surveillé à son insu grandissait au sein des cités. La situation perdurait, car l’Ordre de Mwrida semblait passif. Il n’avait pas réellement réagi à la disparition de son souverain pontife. Ce manque d’action de sa part alimentait le détachement des fidèles. La fréquentation des temples diminua de manière notable. Un nouveau phénomène social apparut à Zenfei : l’Exode.

À l’origine, si Zenfei avait pu prospérer de la sorte, cela était dû à l’attrait religieux qu’elle générait. Désormais, ceux qui s’en détournaient n’éprouvaient plus le besoin de rester dans cette cité. Ainsi, une minorité de ses habitants décida de la quitter. Ils partirent rejoindre les capitales de leurs origines. Cette migration concernait peu d’individus, mais suffisamment pour commencer à alerter l’opinion publique.

Certains serviteurs de l’Ordre de Mwrida s’exprimaient dans les lieux notoires en dénonçant cet acte, le qualifiant de blasphématoire.

— Ceux qui tournent le dos à Mwrida tournent le dos à Arnès, s’écriait un fidèle sur la place du Temple de Zenfei. Ceux qui décident de se détourner de la voie établie par les Monseigneurs à travers les siècles représentent une menace. Ceux qui n’éprouvent plus de gratitude envers les sacrifices réalisés par nos ancêtres pour maintenir la paix méritent d’être sacrifiés afin de la préserver.

La foule autour applaudissait. Elle scandait les paroles du manifestant au cœur de la ville. Au fil des jours, ce mouvement extrémiste gagnait en popularité. Les personnes qui souhaitaient quitter Zenfei hésitaient à passer à l’acte. Elles ne voulaient pas partir avec une cible dans le dos. Le moyen de pression exercé par les opposants paraissait efficace et dissuasif. Néanmoins, l’Ordre de Mwrida savait que ces fanatiques ternissaient son image.

Comment faire pour satisfaire les deux camps ? C’était l’enjeu du prochain conclave. Malgré le recul de l’Exode, la ferveur continuait de décroître. Pour regagner la foi de chacun, l’Ordre de Mwrida décida d’organiser des événements. L’élément qui avait contribué à l’essor de cette religion demeurait la communication. Les Monseigneurs parcouraient le monde afin de prêcher la bonne parole et rencontrer les fidèles. Mais depuis la disparition du dernier représentant en date, les adeptes se sentirent abandonnés.

Le conclave se tenait au Temple de Mwrida. Il se déroulait à huis clos. La priorité avait été mise sur l’élection d’un nouveau dirigeant. Toutefois, personne ne semblait vouloir se présenter. Le sort subi par leur prédécesseur ne les rassurait pas. Une aubaine pour le Majestic 13. Seul candidat, Miral Divh se retrouva préposé Monseigneur. Inconnu du peuple, l’Ordre de Mwrida ne pouvait pas compter sur l’unique désignation du chef suprême pour recouvrer la dévotion de ses anciens adeptes. L’Exode représentait le deuxième sujet important de la séance.

Pour reconquérir les expatriés, les prêtres essayèrent de comprendre les raisons qui les avaient poussés à partir. Le comportement pusillanime de l’Ordre s’en avérait la cause principale. Certains ecclésiastiques souhaitaient effectuer des excuses publiques pour leur manque d’implication, tout spécifiquement dans un moment où tout le monde se fierait à la religion. Faute avouée est à demi pardonnée. Néanmoins, une minorité ne partageait pas cet avis. Admettre ses torts véhiculait une image de soumission envers les fidèles. L’Ordre de Mwrida, qui faisait figure d’autorité, ne devait s’incliner devant quiconque. Les opposants montaient au créneau, mais ne proposaient aucune solution.

Il semblerait que la vague de contestataires trouvait son origine au sein même du conclave. Pour se débarrasser de ces dissidents, le Majestic 13 jouerait de son influence auprès du Haut Conseil de Zenfei pour les réprimer. Ainsi, sans devoir nécessairement présenter des excuses publiques, l’Ordre de Mwrida s’attirerait à nouveau la ferveur du peuple en ne cautionnant pas de tels agissements.

Le conclave décida de l’élection par défaut de Monseigneur Divh. L’Ordre de Mwrida devait encore déterminer une date pour l’introniser. Pendant ce temps, le Majestic 13 lançait une chasse aux extrémistes conjointement avec la Chambre de la Défense. Les crieurs sur les espaces communautaires se voyaient arrêtés les uns après les autres. Dans le même temps, le Haut Conseil leva l’état d’alerte. L’Exode semblait se dissiper.

Les tensions au sein des cités avaient l’air de s’apaiser. Elles laissèrent leurs places au suspense. Si la situation avait repris son cours normal, cela indiquait que soit Monseigneur Peymour II avait été retrouvé, soit qu’un nouveau avait été nommé. Les hypothèses allaient bon train à travers Zenfei. La ville paraissait renouer avec la sérénité. Le Temple de Mwrida semblait à nouveau grandement fréquenté.

— Hé ! Seysus, tu as entendu les échos ?

— Non Glisa, quels sont-ils ? demanda-t-il.

— Le Haut Conseil a officiellement décidé d’une date pour mettre un terme à l’état d’alerte, répondit-elle, enfin une bonne nouvelle. Il envisage de le lever à la fin du mois.

— En effet, c’est une excellente annonce, se réjouit-il. Je vais pouvoir m’aventurer dans Zenfei comme avant !

— Tu me feras la visite dans ce cas, lança Glisa. Malheureusement, je n’ai plus aucun souvenir dans cette ville.

— Compte sur moi !

Son passé en tant que Monseigneur Peymour II allait bientôt se trouver derrière lui. Seysus pourrait aller de l’avant sans crainte. Il aurait aimé célébrer cette nouvelle avec Seneth, mais il ignorait ce que ce dernier devenait. Comme il demeurerait à nouveau libre, il en profita pour prendre du recul sur son existence. Il se rendit compte d’une chose accablante. La disparition de son grand-père et le départ de son cousin laissaient sa vie vide.

Au cours de cette cavale, Seysus avait l’air de s’être beaucoup rapproché de Glisa. Mais au-delà de ça, il restait seul. Il décida de s’ouvrir au monde et se construire un cercle social. Il commença par le plus important : la famille. Malgré toutes les années de complicités avec Seneth, Seysus ne paraissait pas familier avec les beaux-parents de celui-ci. Maintenant qu’il vivait avec eux, l’occasion de tisser des liens s’avérait présente. Il envisageait de les inviter au restaurant afin de célébrer la fin de l’état d’alerte.

— Madame, Monsieur…

— Enfin Seysus, combien de fois t’avons-nous répété de nous appeler par nos prénoms ? l’interrompit la belle-mère de Seneth. Nous ne sommes quand même pas si vieux que cela ! Et puis, tu es de la famille, tu le sais.

— Oui, pardon Myra. Je voulais t’inviter avec Siegwald au restaurant ce soir, indiqua-t-il.

— Moi je ne dis jamais non à un bon repas, commenta le beau-père de Seneth.

— C’est en quel honneur ? s’enquit Myra.

En apprenant la nouvelle, les parents se laissèrent emporter par l’euphorie. Ils prirent Seysus dans leurs bras. Ce dernier semblait gêné. Et pour cause, c’était le premier vrai câlin qu’il recevait, sincère et empli d’affection. L’absence de Seneth pesait également sur Myra et Siegwald. Tous les trois pouvaient partager leur peine.

Malgré la possibilité de retrouver une vie normale, il ne se trouvait pas en mesure de garder son identité actuelle. Sur Arnès, tout le monde connaissait Seysus Peymour. Ce n’est pas parce qu’il n’était plus activement recherché qu’il pouvait réapparaître comme par magie. Il utilisait un nom de scène pour le théâtre, mais il lui en fallait un aussi pour sa vie de tous les jours. Comment allait-il faire pour régulariser sa situation ?

Lors du repas au restaurant, Siegwald aborda le sujet.

— Dis-moi, Seysus, as-tu déjà songé à te faire une nouvelle identité ?

— Oui, mais j’ignore comment m’y prendre.

— Je pense pouvoir t’aider, ajouta Siegwald. Mon dernier patient appartient à une guilde aux abords de la cité. Pour me remercier de l’avoir sauvé, ses membres m’ont offert de réaliser le service de mon choix. Je pourrais leur demander de te fournir une nouvelle identité. Qu’en dis-tu ?

— Mais ils risquent de m’interroger, comment va-t-on leur expliquer la situation ? s’enquit Seysus.

— Ne t’inquiète pas, ils m’ont affirmé qu’ils ne poseraient pas de question sur la nature de ma requête, informa-t-il.

— Qu’est-ce que tu en penses, Myra ?

— Tu devrais saisir cette occasion, lui conseilla-t-elle. Je pense que l’on peut leur faire confiance. Si je ne me trompe pas, c’est une simple guilde d’artisans. Nous sommes loin des groupes tels que le Majestic 13 ou Apex.

— Oui en effet, c’est une communauté de petite taille. Quand ils étaient venus rendre visite à leur compagnon, ils ressemblaient à une grande famille sans histoire. Et puis, cela ne coûte rien de demander, commenta Siegwald.

— Vous avez raison. Je propose de porter un toast à ma nouvelle vie !

Ils passèrent tous les trois un agréable moment à ce dîner. Seysus paraissait heureux. Pour la première fois de son existence, il se sentait entier. Il ne dépendait plus de son grand-père, du Majestic 13 et surtout, de Seneth. Il pouvait être sa propre personne. Il avait pris le contrôle de sa vie.

Le lendemain, Siegwald se rendit à la chambre de son dernier patient. Il y rencontra sa femme.

— Bonjour madame !

— Bonjour, docteur. Vous avez des nouvelles sur son état de santé ? interrogea-t-elle.

— Rien de plus à ajouter au fait que son bilan demeure stable. Mon équipe fait de son mieux pour le soigner.

— Ah… Je comprends, je vous fais totalement confiance, docteur.

— D’ailleurs, pendant que vous êtes ici, j’ai quelque chose à vous demander.

— Je vous écoute.

— J’ai besoin que votre guilde me rende un service.

— Pas de soucis, vous pouvez venir avec moi, ce soir, au siège, proposa-t-elle.

— Ma faveur concerne un membre de ma famille, peut-il se joindre à nous ?

— Oui, cela ne pose pas de problème. Depuis cet incident, mes enfants ont décidé de vivre à la cité avec leurs grands-parents. De ce fait, la maison se retrouve vide, alors je peux vous accueillir sans contrainte.

— Je vous remercie de votre gentillesse, partagea Siegwald. Je ne vous prends pas plus de votre temps. Et puis, comme d’habitude, si vous apercevez un changement chez votre mari, tenez-m’en informer directement.

Seysus poursuivait ses répétitions pour la représentation de Baryton, car le report de la première approchait à grands pas. Le soutien que lui apportait Glisa le motivait plus que tout. Elle paraissait la seule personne à croire réellement en lui.

— Hé ! Seysus ! clama Draggar. Je viens de voir la dernière scène, tu m’as impressionné. Ton jeu apparaît très convaincant !

— Ah ! Merci, lança-t-il, gêné. Baryton a été d’une grande aide.

— Cela ne me surprend guère. Continue comme ça, gamin ! J’ai le sentiment que tu vas devenir une véritable célébrité.

À la sortie du théâtre, le docteur Bramanion attendait Seysus.

— Suis-moi, nous allons à la maison chercher des vêtements.

— Pourquoi ? demanda Seysus.

— Ce soir, nous allons dormir chez la femme de mon patient. Nous avons rendez-vous avec sa guilde, informa Siegwald.

— Ah ! Mais tu as fait vite pour tout arranger ! déclara Seysus surpris.

— Quand on dit quelque chose, on doit le faire ! expliqua-t-il. Il faut se dépêcher, notre hôte nous attend à l’hôpital.

Le temps d’effectuer l’aller-retour, un carrosse se trouvait garé à l’entrée de la Polyclinique de Zenfei.

— Docteur ! Vous voilà. Montez à bord, lança la dame.

Seysus et Siegwald s’installèrent et prirent la route en direction du siège des artisans.

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