chapitre onze

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Je sors de mon rendez-vous dès que la femme d’un certain âge me l’autorise. Quand elle a remarqué que je ne suivais plus rien de ce qu’elle me disait, elle a fait une pause et s’est rapprochée de moi pour me réconforter.

— Je sais que c’est une nouvelle qui est dure à avaler. Mais je suis là pour faire en sorte que tout se passe pour le mieux. Est-ce que tu te sens prête à reprendre ?

Les larmes aux bords des yeux, je déglutis bruyamment et quand j'ai enfin réussi à reprendre une respiration presque normale, j'ai finis par acquiescer pour lui signifier qu’elle pouvait continuer.

— Tout n’est pas perdu, il y a des solutions, on va faire en sorte de trouver celle qui est la plus adaptée pour toi. En fonction de ce que tu es prête à sacrifier ou non, de ce qui est nécessaire pour toi, on va essayer de te proposer un protocole fait sur mesure pour toi, pour que tu vives cette convalescence au mieux.

Elle m’a ensuite donné quelques exemples de traitement, posé de nouvelles questions pour mieux me cerner et rempli une grille pour tout récapituler. Elle aime les grilles. Elle en a plein, pour beaucoup de choses. Mais il n’y avait qu’une chose qui me tracassait vraiment, au bout de chaque ligne, après m’avoir présenté les avantages et les inconvénients, les chiffres qu’elle indiquait. Parfois deux, d’autres fois six. Je pointe un doigt timide dessus et lui demande :

— Ça signifie quoi ?

— C’est le temps que l’on te donne en plus. Par exemple, ici avec une chimiothérapie simple, on peut gagner deux mois, peut-être plus mais c’est peu probable.

— Parce que le pronostic aujourd’hui, c’est quoi ?

— Comme je te l’ai dit, on estime que ta situation sera très critique d’ici dix mois, un an peut-être.

— Alors, même avec le meilleur traitement, si je fais bien le calcul, dans... trois ans je serai morte ?

— Avec le meilleur traitement on a des chances de ralentir la progression et possiblement trouver un remède.

— On ne fait que gagner du temps pour des incertitudes ?

Le regard qu’elle avait fini par me lancer était particulièrement empreint de compassion. Peut-être que dans sa vie de tous les jours, elle est impitoyable et austère, peut-être qu’elle n’est douce et attentionnée qu’avec ses patients qui vont mourir plus tôt qu’ils ne devraient. Et je fais partie de ces personnes. Elle n’avait rien répondu et avait enchaîné sur les précautions à prendre avant de débuter les soins, les signes à observer, les événements à venir. Je notais tout ça dans un coin de ma tête pour le moment où j’aurais envie d’y réfléchir et en serais capable, pour l’heure, je préférais éviter d’y penser. Et, enfin, le docteur m’a autorisé à quitter la salle, à prendre la fuite.

Je sors des bâtiments emboités au pas de course et traverse la route sans même faire attention aux voitures qui roulent à vive allure sur le boulevard. À quoi bon ? Je vais mourir. Les automobilistes klaxonnent et ralentissent brusquement tandis que je fais un signe de la main pour m’excuser ou les remercier, qui sait. Peut-être que mon moment n’est pas venu, pas encore. Sur le parking, les carrosseries brillent et attaquent ma rétine tant elles reflètent le soleil. Je descends les lunettes de soleil sur mes yeux et ouvre ma voiture. Il fait chaud à l’intérieur et je manque de me brûler la main quand je m’appuie sur mon volant. Je soupire. Ce rendez-vous a été horrible. Je reste un instant assise, le regard dans le vide, ne sachant même plus comment réagir avant de tourner la clé dans le contact.

Sur la quatre-voies pour rejoindre la maison, je suis tentée d’accélérer davantage pour ressentir ne serait-ce qu’un petit peu d’adrénaline. Mais, alors que j’ai le pied posé sur l’accélérateur, prête à l’enfoncer, je regarde à ma droite, dans la voiture que je suis en train de doubler. Une petite fille est installée à l’arrière, elle doit avoir cinq ans, peut-être six mais c’est le maximum, son sourire présente quelques trous et ses yeux sont rieurs. Je la vois me sourire, et à ce moment, je n’ai plus envie de ressentir la moindre once d’hormone de stress. Non, agir comme ça serait égoïste, les personnes autour de moi n’ont rien demandé, et je ne peux pas agir comme si j’étais la seule dans ce monde. Il reste des êtres qui vivent, avec un cœur qui bat. Alors je préfère maintenir mon allure et chanter à tue-tête jusqu’à ne plus sentir mes cordes vocales brûler.

En rentrant chez moi, j’avais le choix entre finir les tâches que je n’avais pas terminé avant de partir ou me morfondre dans mon lit. J’ai bien évidemment choisi la deuxième option, trempant de mes larmes mes draps. Je reste ainsi, les yeux rouges et gonflés, contre le matelas, à vider mon corps de sa réserve d’eau, à me remémorer mes bons moments, à me rappeler de tout ce qui m'a rendue heureuse. Je repense à mes amis, à mes parents, à Raphaël. À eux qui ont toujours cru en moi et m’ont toujours épaulée. Je ne veux pas les perdre, je ne veux pas les laisser. Je n’ai pas la prétention de croire que mon départ les effondrerait, mais je ne pense pas non plus que ça les laisserait indifférent et c’est pour cette raison que je tente de me rappeler ce que le docteur m’a dit plus tôt. Pour me rassurer et être sûre de ne rien oublier, je pose toutes les informations qui me viennent en tête sur une feuille de papier.

Cela fait des heures que j’écris toutes les choses, même les plus minimes, qui surgissent des tréfonds de mon esprit. Je suis tellement à l’écoute de mes pensées que je n’entends pas les portières de voiture claquer, ni les pas dans les escaliers et je ne fais pas attention quand mes parents m’appellent. Je ne me rends compte de leur arrivée que quand ils sont faces à moi, dans ma chambre encore désordonnée par le grand changement que j’avais prévue plus tôt dans la journée. Ils me regardent et jettent un coup d’œil au bout de papier que je griffonne sans relâche. Je sens mon matelas s’affaisser et une main se poser sur mon épaule.

— Ton rendez-vous s’est bien passé ?

— Bof, non pas vraiment.

— Ah oui ? Que t’as dit le médecin ? me demande ma mère soudain inquiète.

— Je suis malade.

Je relève la tête vers elle et puis vers mon père. Ils arborent tous les deux une expression qui se veut neutre, mais je peux voir la crainte et l’appréhension dans leurs regards. Alors je décide de ne pas faire durer le suspense et leur annonce la suite d’une traite, assez rapidement, comme si je retirais un sparadrap.

— Et globalement le pronostic n’est pas très bon. Elle m’a dit un petit moins d’un an, dix mois peut-être. Mais il existe des traitements pour rallonger cette espérance et laisser le temps à la science de trouver un moyen de me guérir. Elle m’a montrée une plaque avec les traitements et le temps qu’ils pourraient me donner en plus. Je ne l’ai pas gardé mais je pense que si je l’appelle demain elle pourrait me l’envoyer par mail. Il me semble qu’elle m’a dit que la meilleure solution était une chimiothérapie intensive et une radiothérapie. Par contre c’est un protocole qui est très lourd et fatiguant, mais c’est probablement ma meilleure chance, elle pourrait me rajouter un an.

Bizarrement, je n’ai pas parlé avec les larmes aux bords des yeux, je n’avais pas de boule dans la gorge et mon ventre n’était pas noué. Non, je parlais tranquillement, presque avec détachement de la situation, piochant quelques informations çà et là sur le papier que j’ai rempli d’encre un peu plus tôt. Avoir ressassé toutes ces heures m’a permis de relativiser et voir le positif. Il n’y en a pas beaucoup, c’est vrai, mais il y en a, et c’est suffisant. Quand il y a de la vie alors il y a de l’espoir.

— Mais beaucoup de personnes guérissent de la leucémie, alors je ne comprends pas pourquoi tu me dis que tu ne fais que “augmenter l’espérance”. Ça ne fait pas si longtemps que tu as ressenti les premiers symptômes, ça ne peut pas être assez grave pour être incurable !

— Eh bien en fait j’avais des symptômes depuis longtemps, mais je ne pensais pas que c’était grave. Je pensais que c’était les cours qui me fatiguaient, le mauvais temps qui me rendait aussi patraque, le fait de grandir qui me faisait perdre en gourmandise. Je ne me rendais pas compte que tout ça pouvaient être mauvais signe. Elle m’a parlée d’un résultat qui était particulièrement mauvais. Je ne suis plus très sûre de ce que c’est, je crois que c’est des cellules qu’ils ont retrouvées lors de la ponction. Apparemment, quand on a ça dans nos résultats, c’est vraiment pas bon.

Lorsque je relève la tête de ma feuille, je peux voir ma mère, des larmes dévalant ses joues à grande vitesse, une main sur sa bouche et le menton tout tremblant. Mon père, quant à lui, reste muet mais enserre ma mère dans ses bras pour la réconforter. Je m’excuse de leur faire de la peine mais ils les balaient d’un coup de main et m’invitent à les rejoindre. Je viens alors me lover contre eux et renifle longuement le parfum de l’un et puis celui de l’autre. Je veux me souvenir de leurs odeurs pour le restant de mes jours, même quand je serais loin d’ici, même quand je serais seule dans mon studio. Je ne veux jamais oublier ces moments alors je tâche de bien enregistrer chaque détail dans la boîte à souvenirs de mon cerveau. Et mon papa rompt l’instant d’accalmie pour me poser une question que je redoutais :

— Qu’est-ce que tu vas faire du coup ?

— Je vais écouter les médecins, et je prendrais la meilleure solution. Je vais faire ce que je peux pour guérir, en tout cas avoir plus de temps à passer avec mes vieux parents.

Ils sourient et me serre encore une fois, longuement. Bien que je n’apprécie pas vraiment les longues étreintes, celle-ci me fait un bien fou et je ne voudrais échanger ce moment pour rien au monde. Mais il faut une fin à tout, et particulièrement aux bonnes choses. Mon père nous lâche et s’en va préparer le dîner de ce soir. Ma mère essuie ses larmes et s’apprête à partir quand elle me demande :

— D’ailleurs, tu en as parlé à Raphaël ?

— Non, pas encore.

— Ah oui ? Pourquoi ?

— Je ne sais pas. Je n’y ai pas pensé, c’est tout.

Je lui mens et je suis persuadée qu’elle le sait mais elle acquiesce quand même et me laisse tranquille dans ma chambre. La vérité c’est que je suis terrifiée à l’idée qu’il m’en veuille de ne pas lui en avoir parlé plus tôt que je recule le moment et je sais que ce sera encore pire quand je le ferais, parce que je serais contrainte de le faire à un moment donné. La réalité c’est que j’ai peur qu’il n’ait pas la force de supporter ça et me laisse. S’il me faisait ça, je ne sais pas comment je ferais pour me relever. Alors je fais les cent pas et réfléchis aux différentes options qui s’offrent à moi : la première idée qui me vient à l’esprit est de le quitter. Bof. C’est la solution de simplicité, mais loin d’être la plus efficace et celle qui nous rendrait les plus heureux. Ensuite je pourrais lui dire et encaisser sa colère au début jusqu’à ce qu’il craque et me prenne dans ses bras pour ne jamais me lâcher. Mouais, il y a peu de chance que ça se passe comme ça. Je connais suffisamment Raphaël pour savoir quelle réaction je peux appréhender. Et, en l’occurrence, je crois qu’il me serrerait fort dans ses grands bras pour sentir ma présence avant de se poser des questions, m’interroger et se vexer parce que je lui ai menti, parce que c’est ce qu’il pensera. Il ne se dira pas que j’ai enjôlé la réalité ou cacher le négatif, non il se dira que je lui ai menti et que je l’ai écarté de ma vie, et ça le blessera. Et ensuite je pourrais continuer de lui cacher. Après tout, je serais à Bordeaux et lui à Paris, alors il n’y a pas de raison qu’il se rende compte de ce qui se trame. En plus, il ne s’inquiètera pas, ne me verra pas autrement et notre relation sera toujours paisible et remplie d’amour ! Il n’aura pas pitié et rien ne changera entre nous. Je suppose que c’est bien, c’est la meilleure solution. Celle qui nous fera le plus de bien. Je ne lui dirais rien.

À ce même moment, la sonnerie de mon téléphone retentit pour m’alerter d’un nouveau message.

De : Louis

Salut Manon. Je viens prendre de tes nouvelles. Tu vas mieux ? Tes résultats ont donné quoi ? Dis-moi tout !

Mince. Je ne sais pas quoi lui dire, ni même si je veux lui en parler, je sais que je n’en parlerai pas à Raphaël et aux autres copains, mais Louis m’a accompagné à ma ponction et c’est lui qui m’a persuadé de me rendre chez le médecin. De toute façon, je ne vais pas lui annoncer par message, il en est hors de question. Alors je décide de me mettre face à ma fenêtre où le ciel prend une jolie teinte orangée, signe que le Soleil commence déjà à se coucher, alors qu’il est à peine vingt heures.

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