chapitre huit

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Quelques jours sont passés depuis mon rendez-vous à l’hôpital et pourtant j’attend les résultats avec beaucoup d’impatience. J’ai passé la majorité de mon temps dans mon lit à dormir, me reposer et angoisser par rapport aux résultats. De bien nombreuses fois, j’ai été tentée de regarder sur internet, mais tout le monde sait que c’est la pire chose à faire. Alors au lieu de rester amorphe un jour de plus, je décide de faire quelque chose de ma journée. Il est déjà midi. Je dresse une liste de choses à accomplir, dans la vie mais aussi aujourd’hui. Et pour commencer, je dois manger, alors je me prépare une quiche lorraine avec de la mâche.

Je décore mon carnet pour inscrire un à un les endroits que je voudrais visiter avant de mourir, les festivals que je voudrais faire et les choses à faire au moins une fois dans sa vie. Ensuite, je mettrai quelques affaires — celles dont je ne devrais pas avoir besoin dans les prochaines semaines — en cartons. J’en profite aussi pour faire le tri dans les affaires que je n’ai pas touché depuis plusieurs années. Il est près de seize heures quand je finis enfin cette activité. Je vérifie que je n’ai pas reçu d’appel de mon médecin avant de partir me préparer pour aller faire quelques courses.

Sous la douche, je laisse couler l’eau tiède sur ma peau nue et relâche la pression que j’accumule depuis cinq jours. Je referme les yeux pendant quelques instants et profite d’être seule chez moi pour libérer toute la colère et la tristesse que j’ai plein le cœur. Alors je prends une grande inspiration et laisse mon cri remplir la pièce et puis à l’instant d’après, les larmes qui coulent rapidement le long de mes joues viennent se mélanger à l’eau qui pleut sur mes cheveux.

Au beau milieu du rayon frais, entre les fraises et les cerises, mon téléphone vibre dans ma poche. Je regarde qui tente de me joindre et je vois le numéro du cabinet de mon docteur s’afficher en grand sur mon écran. Je glisse rapidement mon doigt sur le bouton pour répondre.

  • Bonjour Manon, comment te sens-tu aujourd’hui ?
  • Bonjour, je vais bien, merci ! Vous avez reçu mes résultats ?
  • Oui, je me demandais si tu avais un créneau de disponible dans la fin de l’après-midi pour qu’on en parle ? Vers dix-huit heures, par exemple, ça t'irait ?
  • Oui, ça me va. Est-ce que je dois ramener quelque chose ?
  • Non, ne t’en fait pas, on va juste parler de la suite. J’ai une consultation, mais on se voit tout à l’heure.
  • D’accord, je serai là, au revoir.

Je finis les quelques courses que je devais faire au début pour la maison avant de rejoindre ma voiture. J’emprunte la route en direction du cabinet. Je suis tellement angoissée par ce que le médecin pourrait m’annoncer que j’en oublie d’allumer la radio et je fais la route avec pour seule compagnie mes pensées et mes inquiétudes qui résonnent inlassablement. J’attend une vingtaine de minutes dans la voiture avant de retrouver la salle d’attente ventilée du médecin. J’essaye de me persuader qu’elle a envie de m’annoncer une bonne nouvelle en personne, plutôt que par téléphone, parce qu’après tout, nos médecins sont aussi des humains avec des sentiments. Ça doit être dur et pesant de ne voir que des personnes en mauvaise santé et devoir annoncer des mauvaises nouvelles à longueur de journée. Non, c’est décidé, je serais sa bonne nouvelle.

Le dernier patient sort de la salle de consultation à peine cinq minutes après que je me sois installée. Mon médecin habituel m’appelle et m’invite à prendre place sur la chaise face à elle, derrière son bureau. Elle tape ce que je suppose être mon nom et mon prénom, sur son clavier. En un clic, elle ouvre mon dossier médical. Elle sélectionne le premier fichier en haut de la page et lance une impression.

  • Bon, Manon, j’ai reçu tes résultats d’analyse cette après-midi. Comme la dernière fois, j’ai voulu te voir pour t’expliquer en détail ce qu’il en est. Je te donne le compte-rendu, même si ça ne devrait pas te parler. Ne t’en fais pas je vais tout t’expliquer.

Elle prend la feuille qui est sorti de l’imprimante et me la glisse sur la surface en verre du bureau. Elle est encore toute chaude.

  • D’accord.
  • Alors, comme tu peux le voir ici, on indique que tu as des globules blancs mal différenciés. Comme ça, c’est vrai que c’est pas très clair, mais en réalité c’est pas si compliqué. Les globules blancs tu le sais, ce sont des éléments présents dans ton sang et ils ont un rôle assez particulier, ils aident ton corps à lutter contre les infections.

Elle m’explique tout ça avec un air grave dans la voix bien que son discours soit assez simple à comprendre et à interpréter. On pourrait même croire qu’elle parle à un enfant, mais non, c’est bel et bien à moi, une jeune femme de 18 ans, qu’elle s’adresse. Elle détaille chaque élément du rapport un à un sans pour autant me donner une conclusion, du moins, je ne suis pas capable de la faire moi-même. Une fois que tous les points ont été abordés, elle m’adresse un sourire compatissant mais réconfortant et me demande si j’ai d’autres questions, et, hélas, un tsunami de questions presse et afflux dans mon esprit.

  • Beaucoup, en fait. Tout ça, ça veut dire quoi ? Je dois faire quoi ? C’est bon ou c’est mauvais ? Je crois que c’est mauvais, mais je ne suis pas sûre…
  • En effet, Manon. Ce n’est pas bon. Tes symptômes accompagnés de ces résultats laissent à penser que tu pourrait être atteinte d’une leucémie. C’est pour cette raison que je vais t’envoyer voir un oncologue, c’est lui qui continuera de te suivre et te fera passer tous les examens nécessaires.
  • C’est grave ?
  • Certaines formes de leucémies ne sont pas graves si elles sont bien traitées et suivies à temps. Mais je ne peux pas te dire pour la tienne. Je n’ai pas les connaissances ni même les compétences pour me prononcer à ce sujet.
  • D’accord. Et il faut que j’aille voir le médecin dans quel délai ?
  • Je vais l’appeler, c’est pour ça que c’est mieux que tu sois venue, ce sera plus facile pour caler le rendez-vous. Est ce que tu as une préférence, homme ou femme ?
  • Peu m’importe. Mais je fais mes études à Bordeaux l’an prochain, donc ce serait peut être plus simple qu’il soit à Bordeaux. Dès que je serais installée je pourrais aller le voir !
  • Tu pars quand ? Me demande-t-elle.
  • Je pars le 21 août pour avoir le temps de prendre mes marques avant de reprendre.
  • OK. Bon, Manon, je vais te parler sans passer par quatre chemins. Tes résultats et tes symptômes sont assez inquiétants. Tu n’as pas le temps d’attendre quelques semaines et encore moins un mois ! Je vais prendre le rendez-vous puisque j’ai des créneaux d’urgences, ce sera, au plus tard, la fin de la semaine prochaine.
  • Mais c’est tôt… ce n’est peut-être pas si grave qu’on le pense, si ?
  • Tout va très vite, je sais bien, mais c’est nécessaire. On ne sait absolument pas ce qu’il en est et il ne faut pas prendre ce genre de problèmes à la légère.

Après m’avoir envoyé un regard qui se voulait convaincant mais aussi emprunt d’empathie, elle fait quelques recherches sur son ordinateur et tape sur les gros chiffres du téléphone noir posé à gauche de son bureau, juste derrière le calendrier. Elle attend, une sonnerie, une deuxième puis la troisième. Une voix d’homme répond. Il se présente comme étant le secrétaire du service de cancérologie du CHU le plus proche. Mon médecin lui parle de mon problème et le secrétaire, certainement habitué à ce genre de récit, propose quelques dates lointaines d’abord puis finit par en proposer d’autres un peu plus tôt quand mon docteur lui a explicité l’urgence de la situation. J’aurais rendez-vous dans six jours, à quinze heures, soit dans cent-quarante heures. Il ne me reste plus que cent-quarante heures pour l’annoncer à Raphaël.

Il ne reste plus que cent-quarante heures avant que la vie de Manon ne soit bouleversée du tout au tout.

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