Abandonnés

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    Deux enfants avançaient dans la pénombre engendrée par cette grande forêt. Les arbres imposants formaient une épaisse canopée ne laissant filtrer que peu de lumière, deux trois rayons par-ci, par-là. Les mastodontes de bois étaient pourtant très espacés mais cela rendait l’atmosphère écrasante. Il n’y avait quasiment pas de vie au sol. La terre était à nue, sans herbe, buissons, petite faune et flore, et boueuse à cause de l’humidité bloquée par les feuillages.

  Nicolas fulminait de colère. Il en était sûr, ses parents l’avaient abandonné, lui et sa petite sœur d’à peine six ans, dans cette forêt sans moyen de s’orienter. Ils s’étaient réveillés en plein milieu de celle-ci. Ils avaient hurlé pendant des heures avant que le garçon de onze ans ne prenne les choses en mains. Il avait pris la main de sa petite sœur Octavia et avait avancé dans une direction espérant sortir de ce labyrinthe, mais rien à faire. Il avait l’impression de tourner en rond.

  Sa sœur pleurait depuis qu’ils s’étaient mis en marche. Nicolas ne savait pas comment lui avouer qu’ils avaient été abandonnés. Parmi ses sanglots, il l’entendait espérer qu’ils viennent les chercher. Il chercha à oublier ça car sa colère ne faisait que grandir. Sans prévenir, il bifurqua, surprenant sa frangine qui lui demanda :

  • Que se passe-t-il ? On va où ?
  • On essaye de sortir de la forêt, lui sourit-il. J'ai un présentiment, je suis sûr que par-là, on trouvera.

  À ce moment, le tonnerre gronda. Le chant de l’eau sur les feuilles résonna au-dessus d’eux. Le jeune garçon se réjouit de la protection qu’offrait la forêt jusqu’à ce qu’il sente une goutte dans ses cheveux. Il leva la tête, une autre percuta sa joue, puis une autre, encore une... une véritable cascade s’abattit sur eux. L'eau ruisselait dans la canopée et tombait après comme si elle n’existait pas.

  Nicolas se mit à courir, entrainant Octavia avec lui. Après une dizaine de minutes de course, ils atteignirent l’orée de la forêt. Face à eux, une immense montagne se dressait. De la fumée s’échappait du sommet, avec une légère lumière orangeât tranchant les nuages noirs qui couvraient le ciel.

  Un éclair fendit le ciel, accompagné par le tonnerre. Le vacarme fit sursauter la fillette. Le garçon profita du flash lumineux pour chercher un abri. Il perçut à travers le rideau aquatique une caverne, à une vingtaine de mètre au-dessus d’eux. La pente était rude. Il regarda sa sœur. Elle était trempée, frigorifiée. Pas le temps de réfléchir, il se lança à l’ascension. Devant la petite falaise, il la lâcha et s’abaissa.

  • Monte sur mon dos, demanda-t-il.

  Elle ne chercha pas à protester et s’exécuta. Elle plaça ses bras autour du cou de son frère et ses jambes encerclèrent les hanches de celui-ci. Il se révéla, donna un léger à-coup pour la hisser correctement et entama l’ascension. Au prix de lourd effort, et après trois mauvaises prises qui manquèrent de les faire tomber tous les deux, ils atteignirent la caverne. Le gamin posa sa sœur et redescendit. Elle tenta de l’arrêter mais ne put réagir à temps. Sa main réapparut une vingtaine de minutes plus tard. La fillette sauta dessus et l’aida à remonter. Il portait sous le bras un petit fagot de branches détrampées.

  • J’ai peu d’espoir mais on va essayer, tenta-t-il de se rassurer.

  Ils avancèrent un peu dans la caverne jusqu’à ce que l’humidité ne les gêne plus trop et que le peu de lumière extérieur, venant principalement des éclairs, n’arrive à sa limite. Ils s’adossèrent au mur de la caverne. Nicolas retira son tee-shirt et l’essora. Ce n’était qu’un bout de tissu avec trois trous pour les bras et la tête. Mais au moins il avait un pantalon, très abimé certain mais un pantalon quand même. Sa sœur elle, n’avait qu’une robe si on pouvait appeler ça comme.

  Il regarda les bouts de bois dégoulinant d’eau. Il utilisa son torchon qui lui servait de vêtement et commença à les essuyer, essorant entre chaque branche celui-ci. Le froid le gagna. Sans haut et maintenant que l’adrénaline de la course et de l’escalade était partie, son corps tremblait de part en part. Mais il s’inquiétait surtout pour sa sœur. Elle aussi était frigorifié, frissonnant de la tête aux pieds. Ses joues et son front prenaient lentement une teinture rouge. Elle respirait péniblement. La fièvre l’avait gagnée. Pris de panique, le jeune adolescent saisit deux branches et tenta d’allumer un feu.

  Après de longues, très longues minutes, l’espoir naquit. Un fin fil de fumée s’éleva. Heureux, il déchira un peu de son maillot pour cultiver la flamme mais un courant d’air venant du fond de la caverne souffla la braise. Le visage de Nicolas se décomposa. Il hurla de colère. Il se leva et tourna dans la caverne en frappant des pieds. Soudain une voix roque, résonnant entre les murs de la caverne, l’interpela :

  • Quel est ce vacarme ?!

  Le sol trembla une fois, puis une autre, au rythme de pas. Une lumière orange l’éblouit brutalement. Devant le garçon, un œil de reptile, parfaitement rond, brillant comme le soleil, fendu verticalement, l’observait.

  • Un homme ? Non, un enfant. Deux enfants même.

  Le gamin était tétanisé. Quel était cette créature somme toute immense qui le fixait. La pupille se décala vers sa sœur. D’instinct, il se précipita devant elle et tendit les bras pour la protéger.

  Un éclair tomba juste devant la grotte, l’illuminant et révélant par la même occasion le monstre. Nicolas se figea encore une fois. Devant lui se tenait un authentique dragon. Il en avait entendu parler dans les contes et légendes que lui comptait sa mère, mais avait toujours cru que leur existence se limitait à cela. La créature était entièrement noire. Sa tête de lézard, fixée sur un long cou, était surplombée par une crête de corne. Son large corps occupait presque tout l’espace de la caverne et était soutenu par quatre puissantes pattes munies de griffes acérées. Le gamin entendait ce qui devait être sa queue fouetter l’air.

  Ses jambes tremblaient. Que devait-il faire contre un mastodonte pareil ? Malgré la peur, il réussit à rester debout, face au monstre pour protéger sa sœur.

  • Que faites-vous chez moi, petit homme ?
  • Nous avons été abandonnés... l’orage a éclaté et nous avons trouvé cette caverne...
  • Et pourquoi tant de cris ?
  • J’essayais d’allumer un feu dans ses branches mouillées pour réchauffer ma sœur. À cause de la pluie, elle est tombée malade ?

  La bête grogna. Elle observa quelques instants les deux enfants devant lui. Il sembla se plonger dans ses pensées. Son œil disparut derrière sa paupière. Il leva la tête et la plaça au-dessus du tas de bois. Il ouvrit la gueule. Sa gorge rayonnait d’une lumière orange. Un trait de chaleur frappa les branches qui séchèrent presque instantanément dans un nuage de vapeur. Il poussa une petite toux et une flammèche descendit et embrassa le fagot. Le dragon avança légèrement avant de s’allonger et de placer son cou en paravent du feu.

  Les deux gamins se retrouvèrent dans la protection du dragon noir. Nicolas mit un instant avant de comprendre ce qui venait de se passer et s’occupa du foyer ardent. Une fois le feu bien lancé, il en approcha sa sœur doucement. La patte du monstre bougea légèrement, invitant le garçon à s’installer contre son ventre. D'abord retissant, il s’exécuta et s’installa contre les écailles du mastodonte avec Octavia. Celles de son abdomen étaient douces et lisses, émettant une faible chaleur réconfortante. Il en oublia presque sa colère contre ses parents. La jeune fille sembla même se calmer et reprendre des couleurs normales.

  Il passa le temps qu’il resta éveillé avant de sombrer dans les bras de morphée à observer leur sauveur. Ce dragon ne ressemblait pas aux monstres destructeurs de villages que les légendes contaient. Ses paupières devinrent lourdes et il s’endormit paisiblement.

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