Vous qui osez m'ignorer

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 La Licors, d'un naturel pourtant calme, voire trop calme, était carrément au bout du rouleau. Pour être tout à fait précis, elle était même prête à faire sauter tous les châteaux de son époux au canon. Alors elle lui avait posé un ultimatum, elle lui avait demandé de ramener ses miches à l'auberge du vieux Marcel pour une énième altercation. Ils étaient mariés depuis dix ans, et pendant ce laps de temps à la fois court et long ils avaient étrangement réussi à faire deux enfants. Étrangement oui ! Car s'ils s'étaient vus dix fois au court de ces dix ans, c'était sans doute le maximum ! Lui trop occupé à magouiller pour obtenir de nouveaux fiefs et elle trop absorbée par l'éducation de ses enfants, et de ceux qu'elle avait dû récupérer au décès de son odieux cousin. Au départ, cela ne l'avait pas vraiment dérangée. Elle était indépendante, lui aussi, alors se trouver éloignés ne leur posait guère plus de soucis. Ils s'écrivaient. Ils s'écrivaient des lettres parfois enflammées qui donnaient presque envie de partir sur le champ à bride abattu pour aller profiter de quelques heures d'intimités. C'était un amour à distance, un amour particulier, mais c'en était un à n'en pas douter ! Sauf qu'au fil des années, le Licors semblait s'être lassé. Il n'écrivait plus. Même les anniversaires, il les oubliait. Une fois, deux fois, cinq fois. La coupe était pleine !

 Un grincement de porte, et le visage barbu de l'époux apparut, cherchant du regard une femme qu'il n'avait plus vue depuis des années. En l'apercevant, un fin sourire s'afficha sur son visage tandis qu'il s'approchait lentement de la table à laquelle elle l'attendait. Arambour, elle, ne souriait pas. Pas du tout même. Elle fronça les sourcils en constatant qu'il était venu sans vraiment saisir l'importance de ce qui allait se produire aujourd'hui. En silence, elle tourna le regard vers l'aubergiste avant de lui faire un signe de tête, lui indiquant que c'était le moment de déguerpir s'il ne voulait pas devenir une victime collatérale du drame qui allait se dérouler dans son établissement. Le vieux Marcel parti, d'un pas rapide et apeuré, elle se redressa d'un coup afin de ne pas laisser le temps à son époux de s'asseoir. Hé puis quoi encore. Avait-il seulement le droit de se mettre à l'aise en sa présence ?!

-Montrichard. Commença-t-elle calmement, bien qu'on pouvait saisir l'énervement qui l'habitait quand on la connaissait. Je suis excessivement énervée. Vous êtes l'être le plus irritant de ce Royaume & j'ai une affreuse envie de vous tuer sur le champ. Alors surprenez-moi.

-Vous ai-je donc tant manqué pour qu'il vous prenne si soudainement l'envie de me visiter & de me faire d'aussi charmantes déclarations ?

-Pensez-vous vraiment être en droit de faire de l'esprit à cette heure ? & ôtez moi ce sourire insolent de votre visage si vous ne voulez point que je l'entaille de mon couteau ! Fit-elle en plissant les yeux, les doigts prêts à dégainer l'arme qui se trouvait toujours dissimulée dans sa manche.

-Allons, allons. Ces dix années n'ont eu aucune emprise sur votre charme. Vous voilà toujours aussi disposée à vous battre. Soit ! Bat…

 Cette fois, il n'eut pas le temps de poursuivre son cinéma avec lequel il avait réussi à l'amadouer par le passé. Il ne lui écrivait plus et se permettait en plus de l'humour dans cette situation si délicate pour lui. Elle n'avait pas changé en dix ans ? Mon œil. Quelle femme ne changeait pas en dix ans hein ?! Il savait bien qu'elle détestait la menterie, alors pourquoi diable s'y risquait-il dans un moment si critique ? Elle avait donc saisi le col de son époux avec autant de poigne que possible et sa main droite comprimait contre sa jugulaire le plat d'un couteau assurément prêt à venir la trancher s'il répondait une nouvelle fois de travers. Ses yeux d'émeraude plantés dans ceux du Licors, elle le regardait si intensément que nombreux sont ceux qui auraient tenté de prendre la fuite pour ne pas finir en chair à canon.

-Montrichard ! Cessez là vos idioties ou c'est votre gorge que je tranche ! Comment osez-vous vous moquer lors que cela fait des mois que vous ne m'avez point écrit. J'apprend de vous par nos gens que j'ai contraint à vous surveiller. Vous souvenez vous seulement que vous m'avez ? Pensez-vous que je ne suis là que pour vous engendrer des descendants qui récupèreront le fruit de votre dur labeur au détriment de votre considération à mon égard ? & si je vous trompais ? Y avez-vous seulement songé ! Que feriez-vous d'un bâtard hum ?

 Pour qu'elle en vienne à le menacer de le tromper, elle qui n'avait eu d'yeux que pour lui pendant toutes ces années malgré la distance et les tourments, c'est qu'elle était vraiment au bord de l'implosion. La Licors n'avait en effet pas l'habitude de s'attacher à qui que ce soit, aussi son époux avait-il donc ce privilège d'être le seul à occuper ses pensées. Il le savait, et pourtant il continuait d'en jouer ! Elle l'aimait certes, elle l'aimait même suffisamment pour le tuer.

-Avant toute chose, pourriez-vous, je vous pries, retirer ce couteau qui tient me tient en otage ? Il est assez désagréable de converser en de telles circonstances. Répondit-il simplement d'un air presque farceur, sachant qu'il était bien inutile de s'énerver quand son épouse l'était aussi. Il était plus que conscient de son absence ces derniers mois, ces dernières années même, il n'avait absolument aucune excuse pour la justifier. Aussi devait-il donc jouer la carte qui l'avait fait chavirer à leurs débuts, essayant d'amadouer la bête par la désinvolture et l'assurance.

-Répondez ! Imbécile ! A moins que ce ne soit vous, qui me trompiez !

-Ah non Ma Dame. Comment oserais-je, ne serait-ce qu'un instant, songer à vous trouver remplaçante ? Demanda-t-il en poussant lentement le coude de son épouse afin de faire reculer ce couteau qui menaçait toujours son cou. Je ne vous mentirai point, vous n'êtes plus celle que vous étiez à notre mariage. Je ne puis vous en vouloir d'être devenue plus belle encore avec les années, lors que je n'ai fait que vous engrosser et vous ignorer. Poursuivit-il en faisant glisser sa main vers celle de la Licors afin de lui faire lâcher l'arme dont elle le menaçait. Ce fut ensuite son tour de plonger son regard de jade dans celui de sa femme, avec l'espoir infime de faire disparaître l'animosité qu'il voyait encore dans ses pupilles. Ma Dame, vous êtes et resterez la seule à hanter mes jours et mes nuits. Comment pourrait-il en être autrement ? Quelle autre femme oserait me menacer de son couteau et me regarder si intensément, sans que l'on sache si vous avez envie de me tuer ou de m'aimer ?

-De vous. Qu'est-ce que.

 La main du Licors avait réussi sa mission. L'arme avait chu au sol et s'était vue remplacer par la paume d'un époux déterminé à ne pas la laisser filer puisqu'elle se trouvait là devant lui. Il avança de quelques pas, et, dès l'instant où il sentit la résistance de la table contre laquelle il était lentement en train de la pousser, il sourit avant de descendre ses doigts au niveau de sa taille pour la porter et l'y installer. L'air triomphant, il ne tarda pas à se rapprocher le plus possible de son visage afin de l'empêcher de sortir le couteau qui devait certainement se trouver dans sa seconde manche.

-Avouez simplement que vous cherchiez une bonne raison de me revoir et que vous n'avez pour ce faire rien trouvé de mieux que cette sombre affaire.

-Sombre affaire ?! Rétorqua-t-elle d'un ton toujours énervé, quoi que teinté d'une once de contentement. Je venais vous avertir de ne plus jamais oser m'ignorer !

-L'on ne m'y reprendra plus Ma Dame. Répondit-il doucement en se penchant vers son oreille.

-Parfait. Dans ce cas. Fit-elle sèchement en reculant son visage, voulant quitter l'auberge avec le sentiment de ne pas être encore tombée dans son piège.

-Où diable comptez-vous aller Ma Dame ? Si vous pensez pouvoir vous énerver à mon endroit pour ensuite vous enfuir une fois votre réponse obtenue, vous divaguez. D'autant que vous avez eu le bon goût de faire vider cette auberge avant mon arrivée…

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