Coronavirus

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La première fois que j’ai senti la glaire au fond de ma gorge, j’ai tout de suite su que je venais de choper une merde. J’en ai ma claque. Tous les ans c’est la même chose. Douleur au cou, nez qui s’irrite et voix à la Jean Pierre Coffe.

La soirée en perspective s’annonce comme les autres mais, cette fois ci, la maladie sera une bonne excuse pour ne rien glander. Thé chaud au miel, un p’tit Netflix, le clebs qui schlingue sur mes genoux (si l’odeur peut me déboucher le sinus, j’dis pas non) et le petit cul de ma gonzesse comme accompagnement.

En parlant de ma blonde, la voilà qui rentre de ses cours de machintrucbidulechouette. BTS de … ?

J’ai à peine le temps d’essayer de me rappeler ce qu’elle fiche entre 8h et 18h, qu’elle dépose le courrier sur la table où mes jambes se reposent. Elle transpire et semble tracassée, comme tous les autres jours. Elle laisse tomber son sac à dos et file aux chiottes en me lançant un bonjour à peine audible. Un sac à dos … A chaque fois que je vois ça, j’ai l’impression de sortir avec une gamine de treize piges. Mais elle en a bien une vingtaine, je vous rassure. J’veux pas m’retrouver au tribunal de Twitter pour une affaire à la Polanski, merci bien.

Va falloir que je jette un coup d’œil aux lettres, quoi. C’est elle qui gère d’habitude. Moi, je suis plus football, rugby et Desperados. Elle, son truc, c’est l’administratif, la loi et tous ces textes à la mords-moi le nœud.

Ah, je me souviens de ce qu’elle fabrique ; BTS dans le notariat, c’est ça. N’attendez pas que je vous explique en quoi ça consiste d’être notaire. Elle a beau m’expliquer, je capte que dalle. Je ne savais même pas que ça existait le BTS Notariat, z’avez qu’à voir.

Putain, dégage le chien. Déjà qu’on ne t’a même pas trouvé de nom, alors n’essaye pas de bouffer mes pantoufles. ‘L’est fou, lui.

Bon, pub. Pub. Et rebelote, une pu…attendez, non. Prospectus Coronavirus. C’est la liste des idées de noms romains pour le prochain Astérix d’Astier ou quoi ? « Mesures de prévention ». Vindieu, qu’est-ce que c’est que cette embrouille encore ?

« Comme vous le savez, le virus Covid-19 se répand de plus en plus en Europe et… »

Comme vous le savez de quoi ? Ça doit bien faire dix ans que je matte plus les infos. J’suis plus au courant de rien. Tout m’énerve, tout me semble hypocrite et abusif. Suffit que Mr Gros Con balance un sujet controversé sur Channel Mes Fesses, pour qu’on en tire des conclusions hâtives du jour au lendemain en comparant tout et son contraire. Bon, ok, j’connais l’affaire Polanski et je rembarre les abrutis sur Facebook, mais le Covid-Corona-du-19, jamais entendu parler.

Ça vient de Corrèze ? Ah non, de Chine. Boarf, ça je connais par contre. Tout est made in China aujourd’hui. Manquait plus que les virus.

Voilà miss sac à dos de trois tonnes qui réapparaît. Qu’est ce qu’elle a à tirer la tronche comme ça ? Elle m’aime, non ? Quand on aime une personne, on est content de la retrouver le soir. On dirait que je la force à rester dans mes pattes.

Bon, je vais lui adresser la parole. J’suis même pas sûr qu’elle se soit rendu compte de ma présence.

— Eh, tu en as entendu parler du Corona, toi ?

Son regard de déterré des familles change pour devenir celui du jugement dans toute sa splendeur.

— Tu rigoles ?

Non, je ne rigole pas, non. Si je rigolais, j’aurais l’air d’un con. Parce que quand je rigole j’ai l’air d’un con. Et là, je ne pense pas avoir l’air d’un con. D’un côté, ça expliquerait sa mauvaise humeur. Mais alors, qu’elle me le dise, parce que là …

— Tu passes des heures sur Twitter et tu n’as même pas entendu parler du virus ? Tout le monde n’a que ça à la bouche depuis un bon mois.

Et alors ? Je ne suis pas n’importe qui. A part AnalGénocide et deux trois clampins, le reste, je m’en branle.

Elle donne à bouffer au chien qui m’écrase les couilles de joie. Ah, les clebs. Les croquettes, pour eux, ça a le même effet qu’une paire de nichons pour les hommes. Ils ne pensent qu’à ça à longueur de journée et quand on les sert, ils se jettent dessus comme des fous. Bon appétit, broyeur de burnes. La prochaine fois, tu roupilleras sur ton coussin. Mes genoux, c’est fini.

Bon, retournons sur la brochure. Si c’est si connu que ça, pourquoi est-ce qu’ils en font des prospectus, ces cons ? BFM, ça ne leur suffit pas ?

« Nia nia nia centaines de morts nia nia nia niveau 3 nia nia nia je ne lis plus nia nia nia »

Ah. Les consignes de prévention.

« Se laver les mains régulièrement ». Sans blague. C’est toute l’année qu’on se les lave les mains. Enfin, ça ne m’étonnerait pas que certains attendent une « épidémie » pour s’occuper de leurs paluches.

« Ne serrez pas les mains de vos proches et ne les embrassez pas ». Merde. Et moi qui voulais baiser ce soir.

« Toussez dans votre bras ou sur votre coude ». Je n’arrive déjà pas à le lécher, alors je ne vois pas comment je vais pouvoir cracher mes poumons dessus. Puis, eh, franchement, le premier qui me tousse à la gueule, je lui pisse au visage. Juré pissé.

C’est moi ou ces « consignes » ne s’adressent qu’aux abrutis sans éducation ? Utiliser du papier pour ça, faut quand même vraiment prendre les gens pour des cons. Bien qu’ils le soient.

Enfin, je fais le malin mais en vrai, s’ils envoient ça, c’est que ça ne doit pas être une simple tarte aux fromages. Il doit y avoir des sacrées garnitures dans cette salade.

Je tourne le prospectus. Madame fais à manger, le clebs dans les pattes. Et là, je viens de te pondre un champ lexical de la bouffe d’enfer.

Sans jouer sur les clichés, elle sait bien faire la cuisine. J’suis content. Si j’étais seul, je n’aurais aucune honte à dévorer la pâtée du chien avec du riz mal cuit.

Merci l’amour.

Les symptômes. Là, ça m’intéresse vraiment.

« Nez qui coule, mal de gorge, toux grasse, fièvre… ».

J’ai une boule dans la gorge. Non, pas la glaire. Une boule.

Je le retourne une fois de plus.

Centaines de morts pour combien de cas ? Un nombre à quatre chiffres. Ah oui, ce n’est pas si éloigné que ça.

Je suis pris d’une énième quinte de toux et le chien couine comme pour appuyer mon soudain malaise.

Oh, non. Pas moi. J’suis con mais j’suis encore beau. Jeune. Gros et gras mais jeune. C’est vrai que je souffre d’asthme et que le sport ce n’est pas vraiment mon truc mais quand même, je ne mérite pas de subir ça. J’suis encore en forme. Hier, j’ai marché dix minutes, faut pas déconner !

Ils disent que les vieux sont les plus concernés et les personnes fragiles.

Ah. Bah voilà ! Moi et mes crises d’angoisses, eh. Faut que j’arrête de stresser pour rien. C’est une angine, rien de plus. Dans trois jours ce sera passé et je pourrais sortir au bar comme à l’accoutumée. J’résiste moi, j’suis pas une tapette.

J’ai un flash. Moi chez le médecin, il y a cinq ans. Ma daronne à mes côtés, inquiète.

« Va falloir faire attention jeune homme. Si vous continuez comme ça, à trente ans vous aurez un corps de sexagénaire ! »

J’avais oublié ça.

Je regarde mon bide. Ouais, bon, d’accord, j’ai autant de bourrelets qu’un catcheur a de tablettes, mais si on y fait abstraction, ça passe. Iz était pire à mon âge. J’ai lu ça sur Internet. Un site à la con.

Oh, j’suis pas rassuré pour autant. Il est vrai que je m’épuise rien qu’en allant descendre les poubelles et quand je promène le chien, je reste assis sur un banc dans le parc d’en face, tandis que Celui-Qui-N’a-Tout-Simplement-Pas-De-Nom chie sur les pétunias.

— Chérie ?

Un « hum » daigne me répondre.

- Qu’est ce que tu en penses de ma santé physique ?

Elle rajoute une bonne noix de beurre dans la poêle et rigole.

— Au lit, je te monte. Tu es en nage dès qu’il s’agit de me tripoter les seins et à la fin du coït, tu arrives à peine à te relever. Sans parler de la sueur qui émane de ton dos. Je change le drap house à chaque fois.

Je mime le regard de déterré qu’elle avait plus tôt.

— Mais tu te fatigues moins qu’avant en triturant tes manettes de play. Comme quoi, il n’y a pas tout à jeter.

Ah là, elle jubile, hein.

Je suis persuadé qu’elle me prépare un bon steak bien saignant au poivre comme je les aime, cette salope. Putain, j’espère qu’elle à pensé aux frites …

Je fais parti des fragiles. Mon sang ne fait qu’un tour. Qu’il en profite cet enfoiré. Apparemment, je n'en ai plus pour longtemps.

Comment j’ai pu choper cette merde ? Je n’ai pas croisé de chinois récemment.

Ils disent que c’est bien présent en Italie aussi, mais là non plus, ça ne me concerne pas. Ce n’est pas nous qui allons partir à Venise, ça risque pas. Elle est aussi romantique que la Rome Antique.

J’ai bu un coup avec les potes la semaine dernière. L’autre con qui me sert de meilleur ami m’avait payé une pinte puis je me suis enfilé une…Corona.

Je me souviens maintenant. Je m’étais payé deux Despé et quelques shots. Puis les autres glissaient des blagues sur un virus et c’est là qu’ils ont commandé cette boisson du diable. Et…Je n’ai plus de nouvelles d’eux depuis, quoi… Trois jours maintenant.

Putain. Ne me dites pas que…

Non, mais j’suis quand même bien niais. C’est juste un nom, une marque. Il est où le rapport ? N’empêche que…

Oh mais flûte. Faut que j’arrête de boire, surtout, oui. Ça m’éviterait ce genre de question stupide. C’est une coïncidence, rien de plus. La logique c’n’est pas mon fort. Une partie d’échecs avec le chien, vous pouvez parier qu’il m’éclate le roi en deux minutes chrono.

A moins qu’ils soient partis quelque part avant ? En Iran ?

Putain mais pourquoi je ne suis pas Le Monde ou Libération sur Twitter ? J’suis bien dans la merde maintenant. Si j’avais su, je me serais fait une réserve de boîtes de conserves, avec des pâtes et de la pâtée pour clebs. On ne sait jamais, si ma grognasse crève du virus avant moi.

J’suis con moi. Si elle le chope, elle dégage et fissa.

Merde, merde, merde.

Bon, rien n’est certain. Demain matin j’appelle mon médecin, il se déplace et on fait un contrôle. Vu que j’ai déjà une angine, je ferai mine de manquer de quoi bouffer à ma copine demain, elle ira me prendre deux trois trucs. Je ne file plus dehors moi, c’est mort maintenant. A la guerre comme à la guerre.

On fermera tous les rideaux, plus personne ne rentrera dans la maison et on éduquera le chien pour qu’il chie dans les chiottes, comme ma meuf tout à l’heure.

Pas de sorties pendant une semaine minimum, lavage de main intensif toutes les cinq minutes et on respectera deux mètres d’intervalle avec ma copine, l’un de l’autre. Pas moins.

J’hésite à foutre le clebs dehors à la limite. Après tout, ça a été confirmé, ce sont des vrais nids à bactéries. Ouaip, toi, demain, tu passes de chien écraseur de couilles à chien errant.

Attendez, j’suis un guerrier moi. J’planifie tout.

Je sais me défendre, je ne suis pas une lopette danseuse de claquette.

Au final, la sacrée merde ne se débrouille pas si mal que ça, non ?

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