L'envoûteuse d'oiseaux

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 Cet après-midi là, Setsuno s'était assoupie encore une fois, à l'ombre du cerisier en fleur qui bordait le jardin de son village natal. C'était la période du Hanami, le mois où l'on célèbre l'arrivée du printemps et où les habitants de Keito se réunissent pour observer les arbres en fleurs.

Elle adorait se poser au pied de cet arbre, avec son carnet en main esquissant de nombreux croquis de la nature. Elle avait pu avoir la chance, récemment, de dessiner un petit couple d'oiseaux, des brèves migratrices. Elles se rafraichissaient au bord de la rivière qui parcourait le jardin, dans laquelle nagaient de nombreuses carpes Koi. C'était la période des amours et de reproduction pour ces oiseaux. Le jardin de Keito était un endroit calme et apaisant qu'elle appréciait énormément.

Une brise légère vint caresser le visage de la jeune femme,et la sortit peu à peu de son sommeil. Le soleil, encore timide, se dévoilait doucement à travers les nuages.

C'est alors que Toru, essouflée par sa course, arriva en courant vers la jeune femme :

"Setsuno, te voilà enfin ! toujours en train de rêver comme d'habitude ! Tu as déjà oublié que c'est aujourd'hui qu'a lieu la cérémonie ?

Ne crie pas comme ça Toru, je...

Enfin Setsuno ! Tu es vraiment désespérante. Je dois te rappeler que la fille unique du Shogun se doit d'être présente ? Il s'agit de rendre hommage à nos soldats tombés lors de la dernière bataille contre Awa mais aussi pour l'honneur de ta mère qui...

Oui ça va Toru calme-toi ! Je sais déjà tout ça tu n'as pas besoin de me le dire. J'arrive ! dit-elle d'un ton agacé"

Les deux jeunes femmes prirent la route vers le temple Zenshoa, situé en haut de la colline qui dominait le village. Dans sa course, Setsuno fit tomber son carnet au sol qui se tâcha de boue.

"Oh non mon carnet ! Quel gâchis ! fit-elle, désespérée.

On a pas le temps pour ça ! répondit, Toru, exaspérée. Dépêche-toi la cérémonie a déjà commencé depuis au moins cinq minutes. Tu vas te faire réprimander par Aruma-sama !"

Avec précaution, Setsuno ramassa son carnet de dessin, l'épongea rapidement avec un mouchoir en tissu et le glissa dans son sac.

Aruma-sama se tenait, grand et fier, à l'entrée du temple. Il était habillé en tenue traditionnelle, et ses cheveux, d'un noir profond, étaient soigneusement noués à l'arrière de son crâne. Il portait à sa ceinture, un katana ayant appartenu à sa femme, Mei, qui avait dirigé la dernière opération militaire pour récupérer une partie des terres volées par les guerriers du clan d'Awa. Elle était général en chef des troupes de Keito. C'était une femme, belle et grande, réputée pour avoir une certaine autorité envers ses hommes. Une foule entière était présente pour voir la cérémonie en l'honneur des défunts soldats et de la femme du Shogun. Aruma déposa une gerbe de fleurs au centre du temple, puis d'un ton grave, prononca quelques paroles :

"Chers habitants de Keito. Ce jour est marqué par la tristesse que nous pouvons ressentir suite à la perte de nombreux des nôtres. C'est en leur mémoire que je souhaite aujourd'hui que nous nous recueillons tous. Afin de ne pas oublier pourquoi et pour qui nos hommes se sont battus."

Setsuno prit place discrètement derrière son père en position seiza. Elle s'agenouilla délicatement à côté de son amie. Heureusement, Aruma ne remarqua pas que sa fille était arrivée en retard à la céméonie. Toru, qui était assise à côté d'elle, souriait d'un air complice.

"Tu es prête Setsuno? cela va bientôt être notre tour. J'ai apporté ce qu'il faut : la flûte et les sensus. N'oublie pas les mouvements que nous avons répétés durant plusieurs semaines."

Toru tendit à son amie deux magnifiques éventails dorés ainsi qu'une flûte shakuhachi.

La jeune femme regardait en direction de son père qui était en train de saluer avec respect, tour à tour, les familles des défunts. "Si seulement mère était encore là pour voir tout cela...", pensa-t-elle.

Aruma fit signe aux deux jeunes femmes de démarrer la cérémonie. Setsuno prit la flûte dans ses mains et commença à entamer l'air qu'elle avait répété durant des mois. Derrière elle, les tambours entonnaient le rythme qui accompagnait sa mélodie. En un instant, les deux jeunes femmes étaient en train d'enchainer les mouvements de danse. Toru, de sa voix cristalline, chantait tout en effectuant des mouvements légers et fluides avec ses jambes et ses bras. Les sensus s'ouvraient et se fermaient au rythme des pas de danse des deux jeunes femmes. Le public, enivré par le spectacle de nos deux danseuses, observait la scène en silence et profitait de ce moment de recueillement.

Mais ce qui arriva un instant plus tard, personne au sein de l'assemblée ne pu le deviner. Alors que Toru et Setsuno entamaient le corps de leur danse, un florilège d'oiseaux approcha du temple. Des espèces de toutes les couleurs vinrent se poser près des deux danseuses et plus particulièrement près de Setsuno. La scène était tout simplement spectaculaire et merveilleuse. Les oiseaux entonnèrent des chants joyeux et mélodieux accompagnants les mouvements des deux jeunes femmes.

Setsuno s'arrêta un instant pour observer le spectacle coloré et mélodieux qui se tenait sous ses yeux. C'était un mélange de bleu, de vert, de turquoise, de violet, de rose, d'orange, de rouge avec toutes les couleurs de l'ar-en-ciel. Une cinquante d'oiseaux que la jeune femme pouvait reconnaitre comme des gruants du japon, des brèves migratrices, des geais de Lidth, des jaseurs, des merles, des rossignols et bien d'autres...

Toru, Aruma-sama et toute la foule n'en revenaient pas. Comment ces oiseaux avaient-ils pu arriver ici aussi rapidement et en si grand nombre ?

Soudain, au milieu de cette effusion de volatiles, une grue s'approcha doucement de Setsuno. Elle tenait dans son bec une broche que la jeune femme reconnut de suite. C'était celle de Mei, sa mère.L'animal tendit à Setsuno la broche qu'elle prit avec la plus grande des précautions. Emerveillée, Setsuno eut les larmes aux yeux.

"Mère ?..." dit-elle, la voix tremblotante.

Elle fixa Setsuno, profondément, intensément, et la jeune femme pu distinguer des larmes sous les yeux du magnifique oiseau.

Puis, avant de repartir, la grue s'inclina devant la jeune femme, comme pour la remercier.

C'est à cet instant précis qu'elle comprit que ces oiseaux n'étaient pas de simples animaux ordinaires. Mais qu'il s'agissait de Mei et des soldats morts durant la bataille d'Awa. Setsuno fit signe à Toru de reprendre la danse. Les oiseaux s'envolèrent tous en même temps, derrière la grue. Aruma et le peuple de Keito les regardaient s'éloigner au loin, vers la vallée.

Depuis ce jour, le peuple de Keito surnomma Setsuno "l'envoûteuse d'oiseaux".

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