Chapitre 11.3

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Attention, cette partie est assez... crue et présente des images violentes (exécution). Pour un public averti.

Ce sera le dernier morceau posté avant un moment, comme je l'avais dit il y a deux semaines.

***

Elle ne veut pas. Ces quatre mots tournent et retournent dans sa tête. Ils tournoient, effaçant toutes les autres pensées. Elle ne veut pas.

Pourtant, elle est là, droite, les pieds écartés de la largeur de ses épaules, les deux mains serrées sur la crosse du pistolet, le doigt sur la détente. Un filet de sueur coule dans son cou.

Le canon est en direction de Tanysha. En direction de sa meilleure amie. De sa sœur. Axel cligne les yeux pour empêcher une goutte salée d'y entrer. Son visage est moite. Non, elle ne veut pas.

Tanysha lève la tête. Elle est à genoux sur le sol, la boue tâchant ses vêtements. Elle a été poussée plusieurs fois, ça se voit. Une grande coupure court sur sa joue et du sang coule de plusieurs griffures sur ses bras. Son arcade sourcilière est ouverte et saigne à profusion. Ses yeux fixent Axel. La peur s'y lit, mais aussi la détermination. Elle sait que qu’elle n’a pas le choix. Mais elle ne veut pas.

Le bout d'un fusil s'enfonce sous les côtes d’Axel, la faisant chanceler. L'homme à l'autre bout a un visage ferme, dur. Neutre. Comme toujours, les Mains n'expriment rien. Il la pousse encore, lui intimant de tirer. La jeune femme serre les lèvres.

- Bah alors, Axeline, tu as perdu tes capacités ?

La voix moqueuse provient de derrière elle. Axel n’a pas besoin de se retourner pour savoir à qui elle appartient et son regard reste planté dans celui de Tanysha.

- Je t'ai parlé, traîtresse.

La voix siffle à son oreille comme un serpent. Elle réprime une insulte. Non, elle n'est clairement pas en position de le faire. Ça ne ferait qu’aggraver son cas. Le canon froid d'un pistolet se colle sur sa nuque chaude.

- Tu fais moins la maline, maintenant, hein ?

Un cri perçant retentit à l'autre bout du village. Puis un autre. Ils ont rassemblés tous les habitants sur la place principale et fouillent maintenant les maisons.

- Dame Sarah ! On l'a trouvée !

Le canon recule et la chaleur de l'air frappe le petit disque froid qu'il avait créé contre la peau d’Axel. La femme se relève. Une Main sort de la mairie, une petite fille coincée sous le bras. Elle bat de toutes ses forces ses membres pour qu'il la lâche. Elle hurle tout ce qui lui passe par la tête. Le champ de vision d’Axel se réduit pour ne plus voir qu'elle. Maddy. Elle ouvre la bouche pour lui crier de se calmer car la Main n’a aucun intérêt pour le paquet gigotant ; il serre juste un peu plus fort. De là où elle est, elle peut parfaitement voir son visage pâlir soudainement alors que ses côtes s'écrasent les unes contre les autres.

La Main s'approche d’elles, Maddy se taisant après avoir vu Axel. Ses yeux sont remplis de larmes. Axel veut la prendre dans ses bras, lui dire que tout ira bien, mais c'est faux. Ils les ont retrouvées.

Dame Sarah avance d'un pas vers le soldat. Elle tend la main, effleure du bout du doigt la joue ronde de l'enfant.

- Bonjour, Maddy. Contente de me revoir ?

La petite lève un regard décidé. Axel a envie de lui intimer le silence, mais elle a déjà répondu :

- Non. Je t'aime pas, t'es méchante.

La jeune femme en face d'elle éclate de rire. Un rire froid, effrayant. Maléfique.

- Tant pis, tu n'as pas le choix.

Elle se redresse.

- Bien. Axeline, tire, qu'on en finisse.

Les yeux de la jeune femme tombent sur Tanysha. Elle est toujours là, dans la boue, un bâillon de toile rêche écorchant le coin de ses lèvres. Ses iris sont sombres, et pourtant leur lueur est si douce ! Elle comprend, Axel sait qu'elle comprend. Mais ça ne rend pas le tir plus facile.

Axel ferme les paupières, incapable de supporter ce regard de réconfort. Comment est-elle seulement capable de le faire ? Faisant face à un pistolet chargé, sa vie menacée, et pourtant… son amie est toujours là pour elle.

Le coup de crosse arrive sans prévenir dans sa nuque. Axel se plie soudain en deux, des points noirs dansant devant ses yeux. Une nausée monte, mais elle la ravale. Des doigts saisissent ses cheveux sans ménagement pour lui faire redresser la tête. L'autre main de Dame Sarah tend le pistolet vers Maddy. Axel voit dans ses grands yeux le reflet de la gueule du canon. Les larmes coulent en silence sur ses joues roses.

- Tu tires, ou c'est moi qui le fait, siffle encore la jeune femme.

Axel retient un sanglot.

- Tic tac tic tac, Axeline.

Ses épaules roulent en arrière alors qu’elle se redresse, son pistolet revenant vers sa cible. A l'autre bout, Tanysha le fixe avant de regarder son amie. Elle comprend. Ses yeux le lui disent, le lui crient. Elle comprend qu’elle doive sauver Maddy. Elle sait qu’elle aurait sacrifié sa vie pour la sauver. Une larme coule sur la joue de la jeune femme. Elle ne veut pas.

Son doigt presse la détente.

Le coup de feu explose. Comme au ralenti, Axel voit la flamme jaillir du canon, la balle suivant immédiatement. Cette minuscule balle qui tournoie dans l'air avec une vitesse telle que le son ne suit pas. Qui pénètre l’œil qui éclate sous la pression, traverse le cerveau et brise le crâne pour se figer dans la terre plus loin. La bouche de Tanysha s'ouvre à peine, son visage se lisse. Ses muscles se détendent et son corps tombe lentement vers le sol où il s'écrase lourdement.

Puis, enfin, le son revient. Les hurlements de Maddy, les cris victorieux des Mains autour d’elles, ceux de détresse des villageois. Celui de jubilation de Dame Sarah.

Axel lâche le pistolet, son canon s'enfonçant de plusieurs centimètres dans la boue. Ses genoux flanchent et elle se retrouve à quatre pattes par terre. Ses yeux n'ont pas abandonnés ceux de Tanysha. La flaque écarlate grandit à une vitesse ahurissante, mais Axel sait qu'elle est déjà morte. Elle a appris à tuer proprement. Le sang arrive à ses doigts, s'enroule autour, se mêlant à la boue et à la sueur. Un sanglot sort de sa gorge. Elle n'a pas voulu.

Axel ne voit pas la Main libérer Maddy, mais la petite s'écrase contre elle, ses bras entourant son cou, la collant à elle dans l'espoir de fuir l'horreur. Axel se redresse légèrement, serrant l'enfant contre son cœur. Ses lèvres touchent son front mais toujours ses yeux sont sur Tanysha. Son œil intact est fixe, tourné vers le ciel d'un bleu magnifique. Le beau temps lui paraît indécent. Un long gémissement quitte les lèvres de la jeune femme contre sa volonté. Elle presse son poing contre sa bouche pour empêcher les plaintes d'en sortir alors que les larmes coulent en larges rigoles sur son visage.

Un craquement de genoux lui fait comprendre que Dame Sarah s'est relevée.

- Bien.

Son pied pousse contre les côtes d’Axel et elle manque de s'affaler.

- Qui est l'idiot qui a lâché la petite ? Prenez-la lui.

Deux Mains se précipitent à son ordre. Ils soulèvent Maddy, tirent plus fort quand elle s’agrippe aux épaules de celle qui jusqu’alors a toujours été sa protectrice, celle qui maintenant ne tente même pas de la retenir, sachant qu’il est trop tard.

Les yeux d’Axel quittent enfin le corps de Tanysha, croisent le regard de l'enfant. Elle la serre brièvement contre elle.

- Je reviendrai pour toi, lui murmure-t-elle au creux de l'oreille.

Puis, elle laisse tomber ses bras. Maddy lui lance un coup d’œil incrédule, mais ne proteste plus quand les soldats l'emportent, flasque comme une poupée de chiffon. Des mains secouent Axel sans ménagement, tirant ses cheveux pour la relever. Elle ne résiste pas. C’est bien trop tard pour ça.

Son regard glisse sur le cadavre qui gît toujours dans la fange. Ils la laissent là. Ils l'abandonnent à la merci des animaux.

Et pourtant, ce ne sont pas eux ses meurtriers ; c’est elle qui l’a tuée.

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