En avant les vacances VII - Petits groupes

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22 juillet, Marseille, France, Europe.

Le soleil se leva prometteur. Au réveil, tout le monde était de bonne humeur, ou du moins, feignait de l'être. Honor, au dîner de la veille, avait annoncé que le vingt-deux, filles et garçons passeraient la journée séparés. Les gars à la plage, les filles avec toute la maison pour elles.

Leur pique-nique sous le bras, Edward, Antonio, Nik et Andris quittèrent la maison sous le soleil déjà brûlant. Ed et Antonio discutaient vivement en avant. Nik poussait presque Andris pour qu'il avance. Il n'avait aucune envie de venir. Ed était un bon gars, il le connaissait depuis assez longtemps pour savoir qu'il était sympa. Mais Antonio ne lui inspirait pas confiance. Il se méfiait de lui et de ses airs d'homme sûr. Il connaissait des types comme lui. Au premier abord, ils étaient le gendre parfait, appréciés de tous, même du père protecteur et exigeant pour sa fille. Mais plus les années passaient, plus on le sentait différent. Antonio avait l'air d'être de cette trempe-là, et ça ne réjouissait pas Andris.

Ils accostèrent un vieil homme et sa femme assis sur un banc :

— Excusez-moi, mister, commença Antonio en anglais.

Le vieil homme secoua la tête. Il ne comprenait pas.

— Mister, pouvez-vous nous aider, répété Antonio en parlant plus fort.

Comme chaque personne confrontée à la barrière de la langue, il pensait pouvoir régler le problème en articulant et en criant avec gesticulations exagérées. Excédé par son comportement puéril, Andris soupira et se plaça devant Antonio. Dans un français quasi-parfait, il demanda :

— Bonjour monsieur, pourriez-vous nous indiquer le chemin du phare aux Mouettes ?

Il ne lui manquait plus que l'accent provençal pour se fondre, sans trace, dans le paysage. Antonio regarda le vieil homme hocher la tête, lui répondre dans un charabia parfaitement incompréhensible pour lui et lui sourire. Mais l'échange ne s'arrêta pas là. Andris s'approcha de lui et le serra dans ses bras avant de converser un long moment à voix basse. De temps à autre, le vieil homme le regardait lui ou les autres gars avant un regard suspicieux. Lorsqu'enfin, ils se saluèrent, Antonio se sentit soulagé. Il n'aimait pas être exclu d'une conversation.

Quand ils furent assez loin, Antonio s'approcha furtivement d'Andris pour lui murmurer à l'oreille :

— C'était quoi ça ?

Andris haussa les épaules.

— Je lui ai demandé où se trouvait le phare aux Mouettes. C'est un très chouette endroit.

— Non, ça j'avais pigé. Ce que tu baragouinait. Comment ça se fait que tu parles le... quelle langue déjà ?

— Le français. En France, on parle le français.

— Ouais. On s'en fiche, non ?

Andris secoua la tête comme si l'individu qui avait posé la question ne valait pas la peine qu'on lui répondre. Insensible, Antonio poursuivit :

— Et donc ? Pourquoi tu parles le français ?

Un vague soupir fut la première réponse qu'il eut.

— Je venais souvent ici quand j'étais petit. Gaspard nous gardait la plus part du temps.

La fin de sa phrase se perdit dans un murmure. Visiblement, Antonio ne trouvait pas cette anecdote très à son goût car il changea de sujet.

— Et tu parles quelles autres langues, sinon ?

Meublait-il seulement la conversation ou essayait-il d'en découvrir plus sur son peut-être-rivale ? Un peu des deux sûrement. Andris ne se laissa pas dégonfler et commença à compter sur ses doigts.

— Le hongrois, ma langue maternelle. L'anglais, évidemment. Je me débrouille assez bien en français, comme tu l'as vu. Je baragouine du russe et mon niveau d'ukrainien est correct. Ma mère me faisait avaler des manuels d'ukrainien quand j'étais petit. Je détestais ça. Du reste, j'ai quelques notions de base dans certaines langues : allemand, italien, espagnol, portugais, japonais. Je sais dire bonjour et commander une pizza, en gros. Et toi ?

Antonio rit jaune. Il ne s'attendait pas du tout à cette énumération. Il avait plus dans l'idée de lui rabattre le caquet avec sa supériorité linguistique, mais, sur ce coup-là, c'était Andris qui gagnait.

Il eut geste dédaigneux de la main, comme si ce n'était pas important. Pourtant, au fond de lui, enfoui sous son tatouage d'appareil photo, son cœur battait la chamade.

— L'anglais. Et quelques autres langues de mon pays.

Le jeune hongrois haussa un sourcil et Antonio daigna s'expliquer.

— Je suis né en Afrique du Sud. Il y a onze langues officielles mais je ne les connaît pas toutes. J'ai surtout appris l'anglais et l'afrikaans. Ah oui, et je parle assez bien espagnol. Mais rien à voir.

Aucun des deux ne voulait laisser le silence s'installer. Cela aurait voulu dire se replonger dans ses pensées, ses souvenirs.

Andris jeta un bref coup d'œil par-dessus son épaule mais Nik était trop loin derrière avec Edward pour qu'il puisse s'éclipser en l'utilisant comme excuse. Il se résolut donc à continuer cette conversation.

— Et sinon, tu fais quoi dans la vie ?

Une question anodine qui ne pouvait pas porter à conséquence.

— Je suis photographe.

Ah.

— Tu es spécialisé dans quel domaine ?

Il se crispa, attendant sa réponse comme on attend de recevoir un coup. S'il répondait "portraits" ou "de mode", il était sûr de dégainer son téléphone pour mettre fin à sa carrière de mannequin. Sitôt qu'il partirait de la villa des Tkachenko, il voulait être sûr de ne jamais avoir à le recroiser.

— Animalier. Et toi ?

Il se détendit d'un coup. Il rit un bon coup pour évacuer le reste de stress qui compressait ses épaules.

— Oh, je ne suis pas photographe. Mannequin. Il y a ma photo affichée sur tous les flacons de shampoing d'Europe.

Antonio esquissa un sourire avant qu'un brusque et inattendu éclat de rire jaillisse de ses lèvres. Andris se joignit à lui. Après tout, ne disait-on pas qu'il fallait garder ses ennemis à portée de main ? Et il n'avait pas encore décidé si Antonio était un ennemi. Ce dont il était sûr, par contre, c'est qu'il n'était pas un ami.

Restées à la maison, les filles évoluaient à leur rythme dans la maison. Honor, qui prenait son rôle d'organisatrice très au sérieux, aurait souhaité que toutes se réunissent pour papoter ou participer à un jeu de société. Cependant, elles s'étaient toutes éparpillées dès les garçons partis.

Seule sur la terrasse, Ekaterina profitait du soleil, vêtue d'un maillot de bain et de lunettes noires. Elle s'était presque assoupie. Presque, car elle se réveillait chaque fois qu'un oiseau piaillait à proximité de son transat.

De l'autre côté du mur, à quelques mètres à peine, Soraya et Blake, affalées dans les fauteuils des parents Tkachenko conversaient.

— Comment va Brook ? demanda poliment Blake.

Voulait-elle réellement connaître la réponse ? Sans doute, non.

— Oh, super ! Il m'a appelé hier pour me parler de leur dernier concert. Il m'a raconté une anecdote ultra-drôle.

Elle se lança dans l'explication d'une dispute entre une fan alcoolisée et un videur qui, ne comprenant pas ce qu'elle voulait, la conduisait toujours jusqu'au bar.

— La pauvre a été soûlée de force ! s'exclama Soraya en conclusion, hilare.

Blake lui accorda un bref sourire avant de détourner le regard vers Honor qui venait d'entrer dans le salon.

— Je vais préparer des milk-shakes. Vous en voulez ?

La jeune australienne remercia l'intervention de son amie en hochant vivement la tête.

— Fraise des bois.

Soraya paraissait un peu plus perdue.

— Est-ce que vous prenez quelque chose avec ? Ou vous le buvez simplement seul ?

— Il doit y avoir quelques paquets de gâteaux dans les placards. Je t'en sortirais un.

— Oh oui, merci. La même chose que Blake, alors. Si elle en prend, ça doit être super bon !

Un sourire gêné passa en flash sur les lèvres de Blake.

— Je vais t'aider, H.

Elle commença à se lever, soulagée d'échapper enfin au discours indescriptible de son invitée. Pourquoi l'avait-elle conviée ? Elle n'arrivait plus à s'en souvenir... Le mouvement de son départ fut coupé dans son élan par la main de Soraya.

— Non, reste ! Il faut absolument que je te raconte la suite !

Et, sans qu'on puisse la stopper, elle poursuivit son récit, sans défaire ses griffes longues et vernies du bras de Blake. En proie acculée, cette dernière ne bougea pas et se contenta de voir Honor disparaître dans le couloir, sans elle.

Honor monta les escaliers, se répétant les commandes déjà prises. Ekaterina, banane. Soraya et Blake, fraises des bois, sans sucre. Blake prenait toujours ses desserts le plus bio et allégé possible. Si Soraya voulait la même chose, elle l'aurait.

Au premier étage, elle alla directement frapper à la porte de la chambre de Sun Mei. Pas un bruit ne filtrait. Elle essaya la porte adjacente, celle qui donnait sur la chambre de Maisie. Elle était fermée à clef, mais des gloussements s'échappaient du seuil de la porte. Honor ferma les yeux, souffla et tapa à la porte.

— Les filles ? C'est Honor. Je fais des milk-shakes, je voulais savoir si ça vous tentait...

Le silence s'abattit de l'autre côté de la porte. Puis, la petite voix de Maisie, un peu plus timide que d'habitude, se frôla un chemin jusqu'au couloir.

— Non, merci, Honor. Ça ira.

— D'accord.

Elle s'éloigna de la porte, en essayant à ne pas penser à ce qu'elles pouvaient bien être en train de faire. Il ne lui manquait plus que le choix de Felicia. Elle savait, sans lui demander, ce qu'elle voulait boire. Pêche. Exactement comme elle. Après tout, elles se connaissaient depuis si longtemps qu'elles pouvaient presque lire dans les pensées les unes des autres.

Honor redescendit en vitesse dans la cuisine, la liste des parfums défilant dans son esprit. Une surprise l'y attendait en personne. Felicia. Elle avait déjà sorti le lait et s'apprêtait à brancher le mixeur.

— Alors, les parfums ? demanda-t-elle.

— Deux fraises des bois. Un banane. Deux pêches. Et les mariées à l'étage n'en veulent pas.

— Elles doivent avoir plein de choses à se dire. Elles ne se sont pas vues depuis longtemps !

— Je t'assure que ce qu'elles avaient à se dire ne passait pas que par la parole.

Un gloussement sortit des lèvres de Felicia.

— Et toi, comment ça se passe avec Ed ? Vous avez récupéré le temps perdu ?

La question, pourtant innocente de la jeune fille, provoqua un froncement de sourcil sur le visage d'Honor. Elle choisit ses mots avec soin.

— Je ne dirais pas ça comme ça. Nous avons discuté, oui. Mais pas vraiment beaucoup.

Soudain, elle craqua.

— En réalité, on échange pas plus de trois mots lorsqu'on était seuls.

Une larme se fraya un chemin sur sa pommette. Elle leva son doigt et l'essuya vivement.

— Oh Honor !

Felicia s'approcha d'elle et l'entoura de ses bras.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Tu te souviens de ce que je t'avais dit lorsque j'étais à Stonesby, en mars ?

— Oui.

Elle se remémorait les pleurs au téléphone de son amie.

— Et bien je crois que c'est vrai ! larmoya-t-elle en se cramponnant à son amie.

Felicia ne dit rien pendant un moment, se contentant de la serrer dans ses bras.

Sur la plage, les garçons avaient établi leur campement, les serviettes étalées sur le sol, les sacs ouverts et la crème solaire étalée.

— J'ai vu un loueur de barque. Qui veut allez pêcher ? demanda Antonio.

Il avait en tête un vieux souvenir. Avec son père et son grand-père, il avait appris à manier la canne à pêche. Depuis longtemps, il attendait que le moment propice se présente à lui pour réitérer l'expérience.

Les autres gars ne semblaient pas très partants.

— On pourra ramener le dîner de ce soir, tenta-t-il pour essayer de les convaincre. Les filles vont être épatées.

Edward releva un sourcil. Il aimait qu'on le complimente, être félicité et célébré, tout comme Antonio. Il se leva.

— Moi, je suis partant !

Il tapa dans la main tendue d'Antonio. Celui-ci se pencha sur la serviette d'Andris qui se dorait au soleil.

— Andy, tu viens ?

« Je ne m'appelle pas Andy » grogna-t-il, en pensée seulement. Il tentait de tenir sa résolution : ne pas se mettre à dos Antonio avant de l'avoir cerné complètement.

— Non, merci. Je préfère rester là.

Et il avait une autre raison pour ne pas venir. Lui, contrairement à Antonio, savait qu'Ekaterina détestait tous les produits en provenance de la mer. Tant qu'il en avait l'occasion, il voulait rester dans ses bonnes grâces. Le regard qu'elle lui avait lancé la veille le faisait encore frissonner d'effroi.

— Comme tu veux. Nik ?

— Mon corps profite du soleil. Mieux vaut ne pas le déranger .

— Vous savez pas ce que vous ratez ! lança Antonio en s'éloignant avec Edward.

Les glaçons, abandonnés dans un coin de la cuisine tout comme les autres ingrédients des milk-shakes, fondaient progressivement. Felicia avait fait asseoir son amie sur un des grands tabourets qui peuplaient la pièce. Là, Honor avait ouvert son sac et tout déballé. Ses soupçons, l'attitude d'Edward envers elle, son petit manège pour faire croire qu'il dormait avec elle alors qu'il allait discrètement se coucher dans sa chambre... Tout passa sur le grill.

À la fin, lorsque Honor reprit enfin son souffle, Felicia assimila le tout avec calme. Cela aurait été étonnant venant de quelqu'un d'autre mais l'équilibre qui menait les émotions de la jeune fille était légendaire.

— Tu sais quoi ? Tu devrais lui dire tout ça. Tu as le droit de savoir de ce qui se passe. Et il a le droit de connaître tes pensées. Si tu ne veux pas lui dire en face, écris lui une lettre. Mais soyez honnête l'un envers l'autre.

Honor hocha la tête. Elle savait cela. Elle y avait déjà pensé mais repoussait toujours le moment. L'idée de la lettre était bonne mais... Non, il fallait le lui dire en face. C'était la meilleure solution.

Les garçons revinrent avec un seau empli de sardines. Pas de quoi faire un repas pour onze personnes. Mais assez pour se vanter d'exploits légendaires.

Honor captura Edward dès son arrivée et le força à monter à l'étage à sa suite. Elle le garda enfermé dans sa chambre une demi-heure. Lorsqu'ils descendirent, séparément, les larmes d'Honor avaient tracés des sillons sur ses joues. Edward portait sa valise à la main. Il se planta devant Blake, presque imperturbable. Son regard était dur comme la pierre.

— Tu peux m'emmener à l'aéroport ?

C'est à ces mots que Felicia comprit. Ed et H n'existait plus. Ils venaient de rompre.

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