Sensations

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 Devant moi, entre le mur gris desespoir et le bureau beige vie absente, un visage émacié et dénué d'émotions surplombant une chemise d'un blanc aussi terne que la perspective de passer une après-midi d'été à faire des démarches administaratives. L'hybride squelette-humain darde sur moi un regard sévère et légèrement méprisant. La psychiatre demande :
"Pensez-vous avoir besoin d'être interné pour vôtre propre bien?"
Je pense : Passer mes journées avec des gens aussi brisés et instables que moi? Les regarder se noyer? Dormir attaché à mon lit, bercé par leurs cris et leurs sanglots?
 Je lui répond que ça iras sans en arriver là.
Je pense : Nom de dieu mais qui répondrait oui ?

 Un arrière goût de médicament en fond de gorge.

 Dehors, un soleil raideux. Dans la salle d'attente, des gens à qui personne ne rêve de ressembler. Dans ma poitrine, la paix artificielle provoquée par les antidépresseurs dont on me gave. Pour enfouir le mal en moi. Pour mettre le monstre en quarantaine. Pour éviter que je contamine quelqu'un d'autre avec mes idées noires. Dans mes rares moments de lucidité, l'mpression d'être le sol dans lequel on enfouit les déchets nucléaires, et auquel on dit :
"Oh ça va hein, il faut bien les mettre quelque part!"

 La solution miracle à tous mes problèmes est toujours la même : "Arrête un peu de te plaindre."

 Dans les rues, les visages fantômatiques des autres flottent et dodelinent tranquillement au dessus de leurs corps. Je me demande quand la nuit est tombée. Quand est-ce que l'air est devenu un bruit blanc. Quand est-ce que j'ai perdu le fil. Pourquoi tout le monde à l'air de s'en tirer mieux que moi. J'ai la désagréable impression d'être un sac d'ossements balancé dans une marmite de chair. J'aurais sans doute pas du mélanger les antidépresseurs et le whisky.

 Autour de moi, les murs ont l'air mous. Les lamapadaires laissent tomber leur lumière jaune solitude dans les trous béants que sont devenus mes pupiles. Et ça fait mal. Et j'aime ça.
 Je suis debout au milieu de la rue à regarder les lamapadaires. Je sens le regard de la masse grouillante autour de moi, et c'est peut être l'effet de la bouteille de sirop pour la toux que j'ai vidée il y a trois quart d'heures, mais je suis sûr que je peux entendre leurs pensées. Ils doivent se dire que je suis juste une pauvre merde. En tout cas c'est ce que je me dis.

 Des fourmis dans le bout des doigts.

 Tout est devenu la copie de l'image d'un mythe et mes jambes peinent à me soutenir. J'ai quand même réussi à rentrer chez moi en titubant et en me tenant aux murs, arrachant aux passants quelques éclats de rire. C'est les seuls que j'entend ces derniers temps.

 Je traverse l'appartement sans fermer la porte dérrière moi puis je me laisse tomber sur mon lit défait sans prendre la peine d'en sortir le monticule de merdes qui s'y entassent depuis une semaine. Je tend mon bras pour attraper une bouteille à moitié vide qui traîne au sol depuis quelques jours. Je m'enroule dans ma couverture imbibée d'alcool et tachée de cendre. Quand mes lèvres se posent sur le goulot ébreché je me coupe un peu. J'aime ça. Le rhum à cinquante-cinq degrès brûle et purifie ma blessure. J'aime ça.
 Je récupère un peu du sang qui coule de ma lèvre inférieure du bout de mon majeur et je m'en sers pour déssiner une ligne qui court le long de mon cou, de mon torse et de mon ventre.

 Une sueur froide sur le front.

 J'ai tout le temps envie de pleurer mais les cachets m'en empêchent. Je suis devenu la prison de ma propre prison.

 J'ai comme l'impression de somnoler. Pourtant, autour de moi, tout semble éveillé.

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