Vite, vous filez ensemble vers les hauteurs. Pas encore au septième-ciel, mais ça ne saurait tarder !

Les escaliers en colimaçon sont bruyants et surtout visibles de loin. Heureusement que les afficionados des bibliothèques ne lèvent que rarement les yeux vers le plafond, sinon vous étiez cuits.

Depuis le balcon en fer forgé des collections oubliées, vous contemplez les universitaires voûtés déguerpir hors des lieux. Ils vont trainer leurs estomacs grimaçants à la cantine adossée à votre cafétaria préférée et reviendrons dès 01h30 PM, s'ils n'ont pas cours.

En revanche, la bibliothécaire, cet être quasi-divin, reste plantée à son bureau. Continue-t-elle à vivre, même à respirer, en dehors des regards ? C'est le moment de vérifier.

De loin, vous la voyez démanteler un emballage Reynolds et libérer ce qu'il faut bien appeler des tartines. Cette créature surnaturelle, cette nymphe du savoir, mange donc des sandwichs au pâté... Enfin, vous n'en êtes pas sûr, vu la distance, ça pourrait aussi être du jambon. Qu'importe, finalement, voici enfin la preuve que cet être est humain.

Ne trainez pas trop longtemps là, tout de même. Elle ne lève pas les yeux souvent, mais ses oreilles sont comme des antennes subsoniques.

Heureusement que vous n'avez pas opté pour les toilettes, d'ici, vous voyez leurs relents méphitiques monter vers vos hauteurs. C'est connu, la puanteur monte... A moins que ce ne soit la chaleur ? Vous ne savez plus, vos cours de chimie sont si loin.

Pendant cette accalmie, vous en profitez pour visiter cet étage glorieux. Les ouvrages les plus anciens y côtoient des œuvres d'arts mises sous-verre. Pourquoi ne venez-vous pas plus souvent ici ? ça en vaut pourtant la peine. L'une de ces pièces vous fascine, il s'agit d'une statuette d'environ dix pouces de haut sur sept de large. Il s'agit d'un être indescriptible, le mélange contre-nature d'une figure humaine difforme et quelques créatures sous-marines. Vous lisez, en dessous "Représentation attribuée à A.B. d'une divinité ancestrale. Reproduction d'une pièce d'art Sumérienne, le dieu Chelou, avatar d'une divinité encore plus ancienne, nommée...

Un tentacule mou se pose sur votre épaule. Votre cœur se fige, vous manquez de crier. Mais ce n'est que la main, molle, car posée précautionneusement, de votre chère et tendre Matriochka.

Ouf...

Celle-ci vous fait des remontrances silencieuses à l'aide de signes habilles. Vous comprenez, à travers son agitation : « Qu'est-ce que vous faites ? Du tourisme ? Venez plutôt vous cacher parmi les livres poussiéreux » et vous supposez qu'elle veut ajouter « tout contre moi, yeux dans les yeux ». Mais de cela vous n'êtes pas sûr.

Vous la suivez bien gentiment, laissant le nom obscur de cette divinité rester inconnu. Car certaines choses doivent rester inconnues.

La promesse de proximité avec Marika était sans fondements. Elle vous commande, sans mots, d'aller vous placer là, derrière ce présentoir vide, tandis qu'elle va se planquer sous une table.

Une demi-heure plus tard, un coup d'œil vers le bas, vous fait savoir que la divinité aux mille oreilles n'est plus là. Vous supposez qu'elle est allée s'oxygéner au courant d'air que vous croisez sur votre route.

Ça tombe bien, la collection occultisme n'est accessible qu'en passant devant son bureau.

Vous signifiez à Marika que le voie est libre. Un signe, un geste, Marika fait le reste.

Une fois en bas, vous avancez comme deux loups jusqu'à l'accueil.

Vous vous mordez la lèvre jusqu'au sang en pensant à la folie dans laquelle vous vous êtes fourré. Vous regrettez tout cela amèrement du côté du 53, de toute façon, vous ne pouvez plus reculer.