II

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Bien des siècles auparavant, Kendara était entourée de forêts luxuriantes, de clairières, de grandes étendues d’herbe verte, saines, resplendissantes. Les animaux gambadaient sereinement en dehors, là où la population était moins concentrée, pouvant ainsi vivre en harmonie avec les autres espèces et leur environnement. Quelques petits villages se dessinaient mais la plupart des familles construisaient leur maison là où bon leur semblaient. C’est du moins ce que j’ai pu retenir des faibles preuves matérielles et visuelles restantes de cette époque bien plus agréable. Désormais, le sol n’est que poussière, les arbres meurent, les courts d’eau s’épuisent, les maisons sont en ruines. Les habitants, quoique plus nombreux, se sont retrouvés forcés de rester dans le centre ville, n’ayant aucun autre moyen pour se nourrir, pour boire, pour dormir, alors que les provisions se font de plus en plus rare.

Kâl et moi-même marchons dans une de ces forêts dépérissant à vue d’œil. Les branches à moitié brisées, les troncs pourris, les feuilles mortes jonchent le sol, aucun animal ne survit sous ou sur la terre, asséchée par le climat de cette planète qui se meurt à petit feu. Littéralement, même, car la température ne cesse d’augmenter avec le temps. Personne ne sait dire pourquoi, personne ne peut expliquer la destruction lente mais imminente de cet endroit, malgré les efforts d’une partie d’entre nous. Rien ne semble pouvoir aider. Comme si la fin était inévitable. Mais pour quand ?

Mon amie brise le silence étouffant alors que nous nous approchons de notre destination.

« Seulement un pillage aujourd’hui, c’est bien ça ? »

Le mot me fait tiquer et je clos mes paupières un instant, inspire profondément.

« Oui, finis-je par répondre.

— Nolis, arrête de te torturer. Tu sais que c’est un mal pour un bien. Tu ne voles pas les pauvres, tu ne tues pas des Jalyons, des Maors ou des Kleits, tu tues des monstres qui mettent en danger les villes.

— J’ai tué des innocents. Par erreur, par colère, par peur. C’est arrivé. »

Sans un mot, elle s’approche et passe sa main sur ma nuque, un simple mouvement qui me relaxe instantanément. Elle n’ajoute rien, cependant, elle sait qu’aucun mot ne pourrait effacer ce que j’ai fait, qu’aucun mot ne pourrait le justifier. Elle peut seulement me soutenir, me comprendre, et me pardonner, à la place de ceux désormais mort pour m’accorder cette rédemption.

Elle me permet de me sentir moins seul, d’exorciser les mauvais esprits qui tentent toutes les minutes de m’enfoncer dans le plus profond et le plus sombre des coins de mon cerveau. Un simple regard et je respire de nouveau. Une caresse et mon cœur reprend ses battements. Un câlin et la vie semble plus facile, plus calme, mes pensées s’embellissent, prennent le dessus sur les insultes lancées à mon égard par ma propre voix interne.

« Je te promets qu’un jour, ça s’arrêtera. »

Son regard est puissant, me pénètre de toute part et je la crois. Je n’ai pas le choix. Nos fronts se touchent un instant et je dépose un baiser sur le sien, avant de caresser sa joue du bout des doigts.

« Merci. » murmuré-je.

Un triste sourire se dessine sur ses lèvres et elle prend de nouveau ma main dans la sienne, remarquant cette fois les gants qui les recouvrent partiellement.

« Tu es toujours beaucoup trop habillé, commence-t-elle. Tu es conscient de la chaleur qu’il fait ?

— Je ne ressens pas le besoin de me dévêtir.

— Je les vois, les gouttes sur ton front. »

D’un coup d’épaule, je la bouscule, espérant qu’elle change de sujet. C’est mal la connaître.

« Avec tout le sport et la musculation que tu fais, tu as certainement des attributs à montrer…

— Tu souhaites voir mon torse, Kâl ? Tu sais qu’il suffit de demander.

— Vraiment ? »

Ma tête se penche sur le côté et elle lève un sourcil de défi. Je pouffe avant d’ajouter :

« Je ne suis pas de ce genre.

— Tout de même, tu pourrais en profiter.

— Et pour quoi, exactement ? L’interrogé-je

— Pour des relations faciles, des histoires sans lendemain, pour se sentir beau, apprécié, désiré, élégant… pour un tas de raison !

— Rien qui ne m’intéresse. »

Un léger soupir d’exaspération s’échappe de ses lèvres.

« Tu vas me faire croire que tu ne recherches absolument pas d’intimité ?

— Je t’ai, toi, lui fais-je remarquer.

— Pas ce genre d’intimité. »

Je hausse les épaules, ne sachant quoi lui répondre. Elle surenchérit.

« Tu n’as jamais regardé des femmes ou des hommes dans la rue ? Tu n’as jamais été attiré par quelqu’un, jamais aperçu une personne désirable ?

— Je n’y fais pas attention.

— Alors, tu n’as jamais constaté le nombre de gens qui te reluque en ville ? »

Elle sourit, moqueuse, et mes sourcils se froncent un instant, décontenancé.

« Personne ne me regarde.

— Tu es extrêmement beau garçon, Nolis. »

Mes lèvres se pincent, mon regard cherche quelque chose d’intéressant au sol, alors que nous continuons d’avancer. Après une grande inspiration et mon mutisme, Kâl décide enfin de ne pas persister.

Quelques minutes plus tard, nous arrivons au lieu que mon père m’a indiqué sur ce fameux papier glissé sous mon petit-déjeuner tous les matins. Une semaine que je ne l’ai pas croisé, sans avoir une idée d’où il se trouve, bien que ça ne m’intéresse aucunement. Notre relation s’en tient au strict minimum, sans affection, sans complicité, sans amour. Il comble mes besoins premiers, me permet de manger à ma faim et dormir sous un toit. Le reste, je le dois à Kâl. L’amour amical, fraternel presque, les attentions qui me sont aussi indispensable que les deux litres d’eau à consommer par jour pour garder ma forme.

La maison ressemble plus à un manoir : des murs qui semblent s’allonger sur des kilomètres laissent à imaginer des multitudes de chambres, de salon, de salle de bain, certainement décorés méticuleusement par des pièces, des œuvres d’arts pouvant rapporter très très gros. D’où notre présence ici.

Devant la porte de la demeure, Kâl ferme les yeux et entreprend d’utiliser sa magie, sa perception des environs pour vérifier que nous sommes bien seuls.

Hidram m’a toujours répété que je n’étais pas magique, alors que ma naissance est artificielle. Né par la magie, mais dépourvu de celle-ci. Lorsqu’il me l’a expliqué, j’ai senti un pincement dans son cœur, un regret dans son regard. Peut-être aurait-il préféré l’inverse, pour que mes pouvoirs soient d’autant plus imposants. Que je sois toujours plus fort, toujours capable de plus pour lui. Pour lui servir encore plus. Pour tuer plus, voler plus, menacer plus. Il m’avait pris le visage entre ses mains, non pas dans une marque d’affection, mais dans un geste de supériorité, de domination, et m’avait dit droit dans les yeux : « Ne tourne jamais le dos à personne. Ne détourne jamais le regard et ne montre jamais ton dos. Ils ne doivent pas savoir. Personne ne doit savoir pour ton tatouage. Tu serais pourchassé et tué. Tu dois me le promettre Nolis. Tu me le promets ? »

Ce n’était pas la peur de me perdre qui se reflétait dans ses yeux. C’était une crainte plus grande. Plus profonde. Plus importante. Quelque chose qui allait au-delà de moi, de ma personne. Mais je n’en ai jamais su plus.

Lorsque j’ai demandé plus d’informations, il a été hésitant et vague. Je suis un Yon et je ne dois pas le montrer. Après la Grande Suppression, la création de progéniture par la magie s’est calmée. Et un grand nombre de veufs et de veuves ont voulu venger leurs femmes en tuant ces enfants venus au monde de manière immorale. D’après mon père, rien de bon ne peut découler de me dévoiler à ce point. Dévoiler mon dos reviendrait à signer mon arrêt de mort.

Malgré toutes les horreurs que mon père m’a demandé de faire, il n’y a jamais eu de représailles. Aucune victime ne m’a chassé, n’a essayé de me retrouver pour me faire du mal, moi ou mes proches. Mes ordres ont suffi à les dissuader de tenter quoi que ce soit d’imprudent.

Néanmoins, je reste constamment sur mes gardes, craignant qu’une créature des tréfonds viennent me chercher, me torturer, me tuer à petit feu, pour payer la dette de tout le mal que j’ai effectué ici.

Hidram ne sait pas que Kâl m’accompagne pour ses missions, et je doute qu’il soit ravi de l’apprendre, ainsi je garde cette information pour moi, considérant que la lui divulguer ne m’apporterait rien de bon. Je n’ai rien demandé à mon amie, elle a simplement voulu me voir à la tâche une fois, et a décidé de me servir de bras droit depuis. Elle est, elle aussi, très entraînée au combat, et ses pouvoirs m’enlèvent une belle épine du pied.

Je la regarde, ses yeux bougeant si vite sous ses paupières, scannant la gigantesque maison qui se tient droite, fière.

« Elle est vraiment si grande que ça ? »

Elle tend sa main vers moi, m’ordonnant silencieusement de me taire et je lève les miennes, en signe de reddition, bien qu’elle ne puisse pas me voir. Je sais qu’elle m’a senti.

« Ça semble vide. Mais j’ai un mauvais pressentiment. »

Mes sourcils se froncent, jaugeant son visage, son expression, sa frayeur. Pas pour elle, mais pour ce qu’il pourrait nous arriver.

« Rien ne va nous arriver. Je suis là. »

Elle lève les yeux au ciel à mon clin d’œil et d’un grand coup d’épaule, la porte sort de ses gonds pour se fracasser au sol, dans un raffut grandiloquent.

« C’était ouvert, crâneur. »

Elle passe devant moi, exaspéré par mon attitude peut-être un brin enfantine. Je hausse les épaules et la suis.

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