Chapitre 13 – Journalisme. La névrose du scoop.

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18 septembre 1986

Anna Kempf ôta ses solaires et les plaqua sur sa tignasse blonde polaire. Elle porta une touche de rouge à ses lèvres et claqua la portière de sa 2CV. Être belle en toutes circonstances était sa devise. La beauté inspirait confiance, tout le monde le savait

Elle comptait bien utiliser ses atouts pour enfin décrocher une exclusivité. Pour cela et avant toute chose, elle devait amadouer les habitants de Bitterburg. Ses fidèles ennemis y compris. Elle replaça la lanière de ses escarpins autour de sa cheville et s’éloigna d’un pas assuré. Infiltrer le groupe de recherche était un excellent moyen de soutirer des informations sur la disparition de la jeune Kohler. Tout en menant en parallèle sa petite enquête sur ces petits hommes verts.

— Tu crois qu’on va la retrouver ? chuchota Olga Hansen, craignant d’être jugée.

— Cette battue est totalement inutile. Cette gamine a fugué. On ne la retrouvera pas au milieu d’un champ ou dans la forêt, marmonna Jack Hansen, le visage creusé. 

Pourtant les chiens avaient conduit les gendarmes à l’orée du bois. Il n’y avait donc aucune folie à explorer cette piste.

— Alors que fais-tu là ? s’indigna-t-elle, interloquée par la tournure de cette discussion. 

Elle ne cherchait qu’un peu de réconfort.

— À ton avis ?

Olga le regarda, béate. Son mari n’était que de mystère ces derniers temps. Et que dire de son manque d’empathie qui frisait le ridicule. 

— Pour ne pas être pointé du doigt. 

Pour la première fois de sa vie, elle avait honte. Honte d’avoir épousé un tel égoïste ! Rechercher une gamine uniquement pour faire bonne figure, quelle insulte ! Leur garçon aurait très bien pu se retrouver à la place de la jeune Violette ! 

Elle se mordit la joue pour contenir sa colère. Jamais encore elle n’avait été aussi indignée. 

—  Tu sais comment sont les habitants de cette ville ? ajouta Jack.

Espérait-il avoir gain de cause ?

Anna ne perdit pas une miette de cet échange peu conventionnel.

— Tais-toi, rouspéta-t-elle, le plus discrètement possible. Si on t’entendait, je ne sais pas ce qu’il adviendrait de ta peau. 

— Ne sois pas rabat-joie. Regarde-les. Ils sont trop occupés à se lamenter pour nous prêter attention.

Olga serrait si fort son collier de perles qu’elle aurait pu le rompre. Elle leva la tête et le laissa planter là comme une borne.  

Anna fouilla dans son sac et en extirpa un stylo-bille. Elle griffonna quelques mots sans quitter des yeux le groupe. Toute matière était bonne à prendre. 


Les gendarmes ouvraient la marche, suivie de près par la famille et les Snavely. Bien que les deux familles se connaissaient à peine, Padma compatissait. Elle comprenait leur douleur. Elle aussi avait perdu un enfant. 

— Ne vous éloignez pas du périmètre, brailla un officier. 

Ils leur étaient inconcevables d’avoir un disparu de plus sur les bras. Les chances de retrouver l’adolescente en vie s’amenuisaient au fil des jours. Les parents le savaient, tout comme une bonne partie des résidents, c’est pourquoi ils étaient si nombreux. 

Pourtant les intentions de chacun étaient toutes autres. La culpabilité, la joie d’appartenir à un groupe, la curiosité motivaient bien plus les marcheurs que leur volonté de retrouver Violette vivante. 

— C’est à cet endroit que les chiens ont reniflé quelque chose, la nuit dernière, commenta l’un des gendarmes, tirant sur son uniforme.

Il avait pris quelques kilos et cela se voyait. Il essuya d’un revers de la main la sueur maculant son front et poursuivit son chemin, masquant tant bien que mal son embarras. 

C’est donc ici que les chiens ont perdu les traces de cette fille, pensa Anna.

Elle écrivit à nouveau, se félicitant d’être si maligne. Elle pondrait en un rien de temps un chef-d'œuvre.  

Trois pas de plus et elle percevrait les échanges des Kohler. Elle se faufila parmi les bénévoles, se rapprochant discrètement mais efficacement de sa cible. Anna dissimula dans la poche de son imperméable son crayon et son bloc-notes. Elle devait agir incognito même si la moitié de la ville savait qui elle était. Elle fourra sa main dans son sac et alluma son dictaphone. Elle espérait bien enregistrer quelques mots. 

— Que faisait-elle dans cette foutue forêt ? s’exclama Cordélia, la boule au ventre. 

Elle pouvait sentir le café remonter le long de sa gorge. Une des rares denrées dont elle se nourrissait ces derniers jours.

Frank ne broncha pas, incapable de prononcer le moindre mot.

Le soleil se faisait rare à mesure que le groupe s’enfonçait dans la forêt. 

— Quand avons-nous fauté dans son éducation ? poursuivit-elle.

Son esprit était tiraillé par une multitude d’interrogations.

— Nulle part, répondit doucement Joséphine. Tu n’as rien à te reprocher maman. 

L’adolescente frissonna. Elle boutonna sa veste en jean et enfouit ses mains dans les poches de son Levi’s.  

— J’ai un mauvais pressentiment, murmura Padma à l’adresse d’Arthur.

— Tu ne vas pas recommencer ! Les Kohler pourraient t’entendre, reprends-toi…

Anna tendit l’oreille. Cette petite virée devenait de plus en plus intéressante. 

— Par ici, j’ai trouvé quelque chose.

Cordélia se figea. Son sang ne fit qu’un tour.

Les gendarmes accoururent vers un homme aussi fin qu’un fil de fer. Il devait avoir la petite trentaine. Frank ne l’avait encore jamais vue dans les parages.

Un des officiers se pencha vers le sol boueux et s’empara minutieusement de l’objet, qu’il plaça sous scellés. 

— C’est à elle, non ? demanda le bénévole, gagné par l’excitation. 

Il plaqua fièrement ses longs cheveux gras derrière ses oreilles.


— Tu vois ce que je vois ? souffla l’un des gendarmes à son acolyte, ignorant le curieux.

Ce dernier hocha la tête.

— Une paire de lunettes rondes, hurla le trentenaire, j’ai trouvé SES lunettes ! 

— Sortez-moi cet énergumène sur-le-champ, brailla le Commandant, piqué au vif. Il va faire capoter notre enquête !

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