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« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », me chantait maman. Elle faisait danser sa robe en m’emmenant aux courses. Nous errions entre les rayons, moi, à demander du maquillage qu’elle n’achetait jamais ; elle, à essayer des vêtements plus de son âge. Moi, à réclamer les bas qu’elle reposait ; elle, à se pavaner sur des talons trop hauts.
« Tu as toute la vie devant toi », me disait-elle fièrement. Nous refaisions le monde au balcon. Moi, en préparant des cocktails que je ne buvais jamais ; elle, une cigarette aux lèvres. Moi, en suçotant ma paille qu’elle me prenait ; elle, en mangeant les fraises avec les doigts.
« Et papa ? », je disais.
Elle s’énervait.
« Les hommes, tous des connards. Il n’y fait pas exception. »
Elle disait toujours ces phrases dans des regards absents, revoyant ses souvenirs par en dedans. Dans ses tressaillements, je voyais ses bleus de mon enfance ; ceux des jours où nous vivions à trois dans le petit appartement. Avant qu’elle trouve le courage de claquer la porte une dernière fois.
Je n’ose pas lui dire que j’y retourne, parfois… Le téléphone sonne, juste trois mots. « Viens voir papa. »
Je n’ose pas lui dire que les bleus, c’est à moi qu’il les fait, désormais. Là où elle ne les verra pas. Parce que son sourire à elle, je ne plus jamais le voir s’effacer.
Ne m’en veux pas maman, mais il faut quand même que je te dise : on n’est jamais plus sérieux qu’à dix-sept ans.
NDLA: parce que la prostitution n'est pas qu'une question d'argent.
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