Petite rage sur la ligne 1

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Le chauffeur prend un tournant serré, qui projette la moitié des passagers du bus de l’autre côté du véhicule. Il freine, écrasant la pédale comme son père lui écrasait probablement la gueule quand il était petit. Il ralentit un peu devant l’arrêt mais continue son chemin, juste pour donner le temps à l’ado boutonneuse qui attendait sous l’abribus de lever le nez de son portable pour le voir lui échapper. Fils de pute. Mais en même temps, si elle était moins conne, elle aurait levé les yeux plus tôt.

Le gars d’à-côté est un gros sac suant, qui n’a pas vu de douche depuis qu’il ne voit plus non plus sa bite. Il transpire à grosses gouttes, déborde des deux côtés de son siège. Il respire majoritairement par la bouche, et encore heureux, parce que même les douces vocalises de Per Ohlin n’arrivent pas à me faire oublier le sifflement de ses narines essayant tant bien que mal d’amener l’air à ses pauvres poumons étouffés par la graisse. Un coup d’oeil à son portable et aux messages sans intérêt qu’il envoie à « Mamour » signe le verdict : encore un beau gâchis d’oxygène.

La grognasse derrière parle depuis dix minutes, elle couvre la musique même au maximum. Non, mais je pensais qu’on pourrait peut-être se faire un resto tous les quatre et puis ça fait longtemps que t’avais pas vu Tata et puis et puis et puis. Ce sont toujours les moins intéressantes qui parlent le plus fort, parce qu’elles le savent au fond et qu’elles essaient de compenser, comme les connards qui conduisent des 4x4 en plein Paris compensent leur micro-pénis et leur mariage raté.

Et pour passer et le temps et mes nerfs, en compagnie de Dead qui me hurle aux oreilles — mais lui, lui, il a le droit — je me rejoue American History X avec tous ces débris dans le rôle de la tête sur le trottoir. Ma botte leur écrase le crâne et c’est avec autant de plaisir que de surprise que l’occiput éclate et laisse jaillir une bouillie grisâtre teintée de sang. J’aurais juré qu’entre leurs deux oreilles, il n’y aurait que du vide. A vendre, cervelle, très peu servi.

La boutonneuse, la tête dans les nuages, ne regarde pas avant de traverser. Quand l’ambulance arrive, le tronc traîne sur le bord du trottoir et le bassin a envahi la piste cyclable. Seul un long filet de viscères relie les deux, emmêlé comme un jeu de labyrinthe au dos d’une boîte de céréales. C’est le chauffeur du bus qui l’a renversée et, en rentrant chez lui, rongé par la culpabilité, il sort la carabine léguée par Papi et se fait sauter la cervelle non sans avoir emporté avec lui Sandrine — pour peu qu’elle voudrait écarter les cuisses pour un autre après l’enterrement, la salope —, Alexis, douze ans et Maelys, six ans — pour faire bonne mesure. Les journaux titrent : « Drame familial ». Le gros s’étouffe dans son sommeil. Mamour, en pleurs, a beau le secouer, il reste pâle et raide. Avec son dernier souffle, il a aussi chié dans les draps. Quoi que veuille nous faire gober la télé, la mort, c’est sale. Point barre. Un taré vide son chargeur sur la terrasse où la grognasse prend son apéro au calme en compagnie de Tata et de l’autre pute dont j’ignore l’identité — et dont je me cogne bien d’ailleurs. Dans les jours qui suivent, les journaux ne parlent que de ça, les gros bonnets des médias se font des couilles en or, les gens déposent des fleurs et changent leur bannière Facebook, parce que ça donne bonne conscience.

Arrêt Ascension, il est dix-sept heures. Un flot de marmaille envahit les couloirs, bouche chaque issue. Chacun d’entre eux est un sale petit con bien dans son genre. Ces deux-là, avec leur sweat Supreme, rient fort, trop fort, à la moindre remarque de l’un ou de l’autre. Celui-là montre à son copain une vidéo Tik Tok avec le son à fond, parce qu’évidemment, on veut tous profiter de cette musique de qualité. Ces deux-là se prennent en photo, la bouche en cul de poule, la pose suggestive qui, sans un mot, dit : « Regarde-moi, je suis baisable et c’est ma seule qualité ». Quand tout ça fanera, vous vous retrouverez bien connes.

Dans le carré de siège adjacent au mien, une fille bouboule à l’air taciturne est penchée sur un manga. Elle porte des mitaines et un sweat à capuches ornée d’oreilles de chat. De temps en temps elle jette des regards de dédain aux petites poufs et aux faux caïds qui débrieffent leurs journées à base de : « Oh là là, M.Durand, comment il fait chier avec ses DM » — attendez d’être dans le vrai monde, les gosses, vous allez les regretter, vos DM. Quelle petite truie, celle-là. Qu’est-ce que tu crois ? Que tu vaux mieux qu’eux ? Qu’un jour, tu vas déménager au Japon et devenir une mangaka célèbre et que tout le monde t’aimera ? Atterris, on est tous logés à la même enseigne. Dans dix ans, avec un peu de chance, tu seras documentaliste dans un collège de banlieue et tu déverseras ton amertume sur la même génération de petits cons qui ont gâché ta jeunesse. Sauf que c’est des conneries tout ça, ta jeunesse, tu l’as gâchée toute seule. Et va te laver les cheveux, pitié.

Lui, je le repère du coin de l’oeil. En équilibre dans l’accordéon, il ondule au rythme des virages. Cheveux noirs, yeux bleus. De longs bras, de longues jambes, tout en os, comme ne le sont que les adolescents dont la croissance se moque des lois de la proportion. Penché sur son portable, il ronge l’ongle de son pouce, qui appuie mollement sur sa lourde lèvre inférieure. Il est le pire de tous, pour oser me rappeler que de tous ces sacs à merde, aucun ici ne m’arrive à la cheville. Le feu au ventre, je m’imagine me lever et le suivre jusque chez lui. Le spectre qui dort au fond de moi me souffle toutes les horreurs les plus crasses, tous les tourments les plus sombres et, comme bouquet final, mes mains autour de son cou, tandis que sa jolie bouche s’ouvre et se ferme dans un effort désespéré pour aspirer un peu d’air. L’idée me plaît autant qu’elle me donne envie de me jeter du haut de la première barre d’immeubles qui passe.

Et puis viennent et repartent les daronnes avec leurs mioches, qui prennent toute la place avec leur grosse poussette, qu’elles exhibent avec fierté, comme si elles étaient spéciales pour avoir baisé sans capote. Suivent les vieilles et leur petit regard torve à celui qui oserait ne pas céder sa place et puis, une fois bien installées, se plaignent à mamie Paulette, assise en face, qu’on est « quand même plus chez nous, ma bonne dame ». Le regard se dirige vers le type noir debout à côté, qui n’a rien demandé à personne. Il se crispe mais ne réagit pas et, immédiatement, le peu de respect que j’éprouvais à son encontre s’envole. Fous-lui une droite, brise-lui la nuque. Sois pas une fiotte. En plus, ce sera toujours une retraite de moins à payer.

Vite, mon arrêt, El Dorado qui arrive toujours trop tard. Sortir de là, se claquemurer toute la soirée et oublier qu’existe le reste de l’humanité pour quelques heures.

Enfin à la maison, je lâche tout, j’enfile mes pompes. Une heure de course, un petit Lexo, un petit dodo, et ce sera reparti pour une merveilleuse journée dans le meilleur des mondes.

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