Chapitre 1

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Depuis que j’avais obtenu mon baccalauréat, je vivais à cent kilomètres à l’heure.

Une nouvelle ville, un nouvel établissement scolaire, un nouveau chez moi, de nouveaux amis, un nouveau mode de vie et surtout, de nouvelles responsabilités. Tout était inédit et l’inconnu m’effrayait. Tout était inédit excepté l’amour. Car l’amour, je ne l’avais toujours pas rencontré et il n’était pas décidé à venir à ma rencontre.

À cette époque, j’étais seulement âgée de dix-sept ans. La romance constituait, à mes yeux, un réel mystère mais depuis que Mégane, ma meilleure amie et colocataire était en couple avec Eliott, je n’aspirais qu’à devenir la petite copine d’un garçon qui aurait été en mesure de voir à quel point je méritais d’être aimée.

Mégane avait obtenu le statut officiel de « meilleure amie » lorsque nous n’étions encore qu’au collège. Elle et ses amis avaient accepté la jeune adolescente solitaire que j’étais au sein de leur groupe soudé depuis déjà plusieurs années. J’appréciais tout particulièrement qu’elle ne me mette pas à l’écart. Au fil des années, nous étions devenues des confidentes. Je connaissais toute sa vie et elle, toute la mienne. C’était comme si nous faisions partie d’une seule et même famille. Nous nous définissions comme tel.

Alors, lorsque l’occasion de vivre ensemble s’était présentée, ce fut une évidence. Nous étions parvenu, non sans mal, à convaincre nos parents après avoir argumenter pendant de longues heures.

  • D’accord mais seulement si vous ne sortez pas tous les jours, si vous travaillez et si vous entretenez correctement votre logement.

Les conditions étaient fixées ; il nous incombait désormais de les respecter au mieux.

Trois semaines après notre rentrée à l’université, ce qui allait devenir notre routine hebdomadaire pointa le bout de son nez. Lundi, nous achetions le nécessaire pour tenir la semaine ; tous les jours, nous nous rendions en cours à pied et nous achetions une baguette de pain sur le chemin du retour ; jeudi, nous sortions en centre-ville pour rencontrer des étudiants avec qui partager nos soirées ; et vendredi, Mégane, qui était majeure depuis quelques mois, me ramenait chez mes parents.

Cette nouvelle vie se déroulait pour le mieux. Je me sentais bien. Je me sentais grande. Presque adulte.

Mais un beau jour, je redevins une simple enfant à la simple vue d’un jeune homme.

Il fit crisser les pneus de sa Peugeot 206, ralentit sur le bas côté de la route et klaxonna. Ce son qui détonna dans l’ambiance sonore urbaine provoqua en moi un soubresaut. Le conducteur, un garçon qui semblait être dans les mêmes âges que les nôtres, baissa la vitre de son véhicule et s’écria sans aucune gêne :

  • Eh Mégane ! Elle est bonne ta pote !

Étonnée, je me retournai vers Mégane : est-ce que ce mec la connaissait ? Et si oui, d’où est-ce qu’il la connaissait ? Mégane elle, elle souriait très largement et alors que le jeune homme redémarrait dans le même boucan qu’à son arrivée, elle le salua d’un grand geste de la main.

  • Tu le connais ?! je lui demandai surprise.
  • Oui, c’est Benjamin, un ami d’Eliott.

Le fait que Mégane connaisse ce garçon me rassura. Il ne devait certainement pas constituer un danger pour une femme si Eliott et lui étaient amis. À dire vrai, je ne connaissais que très peu Eliott, petit ami de ma meilleure amie. Nous étions scolarisés dans le même lycée, nous discutions lorsque l’occasion se présentait mais nous n’avions jamais développé une solide amitié. Et même s’il était d’une simplicité et d’une gentillesse sans égal, ses amis représentaient, à mes yeux, de parfaits inconnus. Jamais je n’avais entendu Mégane ou Eliott prononcer le prénom de ce Benjamin.

  • Il étudie au Centre de Formation d’Apprentis qui est juste derrière l’appart, m’informa mon amie. Tu sais, c’est les bâtiments qu’on aperçoit du balcon. C’est un gars super cool.

Elle avait l’air de beaucoup l’apprécier. À moi, il me laissait une première impression plutôt négative.

Lorsque nous passâmes la porte de l’appartement, Mégane se jeta dans le canapé, devant notre émission de télé-réalité favorite tandis que je préférai me glisser sous l’eau chaude de la baignoire. Après cette journée, je ressentis un besoin irrémédiable de faire le point.

Mes émotions s’entremêlaient sans que je parvins à les différencier, à les contrôler ou même, à les comprendre. J’étais énervée. Les nerfs de mes cervicales et de mes avants-bras étaient tendus. Trop tendus. Signe que quelque chose me taraudait. S’était-il réellement adressé à Mégane avec ces mots ? En me qualifiant de « bonne » ? Bonne. Je haïssais ce mot. Qu’est-ce que cela signifiait ? Une pizza bolognaise est bonne. Une entrecôte accompagnée d’une sauce aux poivre est bonne. À la limite, il est possible de trouver l’herbe bonne. Mais une femme ?! Une femme ne peut pas être bonne. Non. Une femme peut être jolie, belle, sublime, magnifique, étincelante, superbe, épatante. Mais elle ne peut pas être bonne !

J’étais en colère. En colère contre cette expression qui me déshumanisais, en colère contre Mégane qui n’avait pas réagi comme je l’aurai souhaité, en colère contre moi-même puisque je n’avais pas réagi comme je l’aurai souhaité. En colère contre cette expression qui, paradoxalement, me flattait. Parce qu’elle n’aurait pas dû me flatter. Cet adjectif, « bonne », encenser la célibataire que j’étais et trompait mon engagement naissant pour le féminisme.

À cette époque là, j’étais seulement âgée de dix-sept ans et en dix-sept années de vie, pas un seul garçon n’avait jamais sous-entendu que je lui plaisais. C’était la première fois. La première fois que les battements de mon cœur s’accéléraient lorsque je me remémorais cette scène, que je rougissais en pensant à cet homme alors que je ne connaissais de lui, que son prénom.

Sentiments contradictoires décuplés, je plongeai la tête sous l’eau pour tous les faire taire. Je ne voulais pas ressentir toutes ces choses. Toutes ces émotions que je ne parvenais pas à identifier. C’était beaucoup trop. Beaucoup trop nouveau.

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