Mortelle habanera #2

3 minutes de lecture

- Carmen ! Carmen, putain... !!

Je dévale les escaliers, manque de louper une marche. Pas le temps d'être prudent : au loin, trop loin déjà, le bruit d'horloge sèche de ses talons. Elle marche trop vite, la connasse, même juchée sur ses échasses et ses jambes de naines. Le sombre du hall d'immeuble l'efface à mon regard et je redouble d'effort. J'imagine la porte se refermant derrière elle, pareille à un couperet, mais je parviens de justesse à la retenir avant sa claque brusque. Je débarque sur le trottoir, les yeux aux aguets, à la recherche d'une tache rouge et brune aux sons d'aiguille. Trop de femmes, trop de filles, trop de vêtements et la mienne qui se barre avec son cul trop bien fait et ses...

- Carmen, attends !!

Trouvée.
Pas gagnée.

Je deviens chien de chasse, me rue à sa poursuite. Bientôt, son dos et les ailes de ses omoplates, juste au-dessus du trait de sa robe sang. C'est bien beau, tes perches de 10 centimètres sous tes chevilles mais si tu voulais me fuir, il fallait choisir d'autres godasses pour me quitter. J'attrape son bras, le capture au creux de ma main. La sienne se dresse, vole contre ma joue. L'envie de faire de même me saisit mais je me tiens, tout comme je la retiens.

- Carmen, Sublime, écoute-moi...

- Va chier, Seth !

Une lueur renaît, derrière mes yeux : elle m'envoie me faire foutre mais elle m'appelle encore par mon nom de famille.

Bébé-chance.

Ca n'empêche pas la colère.

- Ecoute-moi ! y'a moyen entre nous, on peut...

- J'ai dit : "Va chier !". Tu es sourd, en plus d'être bourré ?!

Colère encore.

Gifle-la, tu n'es pas comme ça.
Ou plutôt : tu es comme ça, ne la gifle pas.

Sans attaque, j'essaie la défense.

- J'ai pris un verre ! UN verre, merde !

- C'est ça ! Un verre ! plus les centaines d'autres de cette semaine !

Elle tire sur son bras, nous fait avancer d'un pas.
Vers l'arrière.

Je m'accroche à son poignet, me saisis du second. Elle se débat, plus belle encore alors que ses boucles-furies valsent sur ses pommettes. Leurs vagues noires et lisses me rappellent le monde qui tangue quand je m'écroule après l'ivresse.

Je sens que je bande.

- Je t'avais dit : ce serait le dernier.

- Mais oui, le dernier... ! et jusqu'à quand ?

- J'en sais rien ! jusqu'à demain, ce soir, l'an prochain... ? J'en sais rien, Carmen, on s'en fout !

Elle tente une nouvelle gifle.
Je tente de l'esquiver.

- C'est toi qui te fous de moi, Seth ! Je t'avais prévenu, non ?! "Le premier verre, ce sera la dernière fois !". Voilà ce que moi, je t'avais dit !

- Personne n'a le droit de t'empêcher de m'aimer ! Même pas toi ! Même pas toi, OK ?!

- Tu es taré !

- Non, je suis sûr de moi. Et à peine névrosé.

Ma peau n'en peut plus : je la lâche et l'enlace, la plaque contre mon corps. Les collines de ses seins s'appuient sur mon torse, me donnent envie de la prendre de toutes mes hanches entre les siennes.

- Carmen, il faut que tu veuilles encore de moi.

- T'es un salaud d'alcoolique suicidaire de merde qui ne fait rien à part picoler, vomir et re-picoler en rêvant de cordes autour du cou. Ça fait trop de violence de tenir à toi, Seth.

- Merde, tu m'excites tellement, Sublime.

Son regard me fusille, me poignarde, m'empale sur ses prunelles couleur nuit. Je me penche, mordille ses lèvres avec tendresse. Ce faux baiser la surprend, apaise ses débats, ses ondulations rageuses. Je la repousse contre un mur, l'écrase de tout le poids que je pose dans sa vie. Un frôlement, un soupir, tout contre ses lèvres.

- Je ne connais pas la violence mais je pourrai l'apprivoiser.

Elle ouvre la bouche et j'y plonge la mienne, l'embrasse comme elle embrase mon jean, mes jours, tout ce qu'elle touche et tout ce que je tue. Je la retourne, à la recherche d'une petite mort. Elle s'agite, vaguement, par principe et colère, mais je sais reconnaître ses envies sous les miennes. On se connaît trop peu. Mais si bien. Je lui fais l'amour, en plein milieu de la rue. Je ne me sens jamais aussi bien qu'ainsi glissé en elle. Ou à la mort d'une bouteille. Dans tous les cas, je vide, je me vide comme je viens.
Et je me noie.

Elle jouit une première fois, dans un long frisson, et je la garde encore un peu autour de moi. Juste pour moi.

Jamais ou demain, elle me quittera peut-être de nouveau.

Mais ce sera demain.

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