Chapitre 6

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Les souvenirs, uns à uns, se recollaient entre eux pour reconstituer ma mémoire. Ma douleur, là bas, était de plus en plus aliénante. Mais devenir fou et perdre l'esprit est une échappatoire interdite par celui qui fixe constamment et qui veille sur vous ! Le fer d'agonie qui me transperçait devenait rougeoyant au fur et à mesure que mes souvenirs revenaient et me brûlaient le gosier... encore ! Comment avais-je pu atterrir ici ? Impossible de contrôler le flux de mes pensées, constamment perturbées, dominées par la peur, la douleur, et par une souffrance "au delà", qu'on ne peut expliquer, et tourmentant l'âme. Mon seul vecteur émotionnel était Mila, sans que j'en susse réellement la raison, et je voulus me souvenir d'elle, autant qu'il en était encore possible. C'est alors que les lois de cet univers ont encore agi pour réactiver de nouveaux souvenirs, encore plus enfouis, refoulés. Je me souvenais de quelque chose qui semblait être la pierre angulaire de ma présence ici !

Je me souvins du message qu'elle m'avait laissé. Que le livre était enfin à l'université, que son directeur l'avait finalement rapporté, et qu'il était possible de l'étudier. J'avais décidé de me rendre là bas pour lui faire la surprise. Il s'était écoulé trois ans depuis que la trace du livre avait été retrouvée et je devais être à la hauteur de sa joie, lui montrer un soutien digne de l'accomplissement auquel elle avait contribué. "Ma chérie, je suis si content pour toi !". Non cela sonnait faux, pas suffisant ! "Mila, je suis tellement heureux, tu es vraiment exceptionnelle et aujourd'hui voilà ta récompense". Je n'aurais pas réussi à dire ça, ce n'est pas ma façon de parler. Bon sang, il suffisait d'être naturel, je pouvais peut-être tout simplement rentrer dans le bureau, la prendre dans mes bras et l'embrasser. Elle aurait simplement senti que je l'aimais et la soutenais et que j'étais heureux quand elle était heureuse. C'était sans doute bien suffisant, plus que n'importe quelle parole préparée. Alors que je fantasmais la scène, j'approchais de l'université, dans les environs de vingt trois heures. Le portail principal était ouvert. Pas un chat. Je suivis le seul couloir allumé, excité et légèrement angoissé par la pression d'être à la hauteur. La porte du bureau était ouverte, j'entendais mon cœur battre. Cela me parut un peu ridicule de me mettre dans un état pareil pour si peu. A l'avenir, j'aurai un peu plus de détachement, je ne pouvais pas rester comme ça, accro au moindre de ses sursauts, cela lui donnait beaucoup trop de pouvoir sur moi ! Finalement, j'allais peut-être la jouer cool ! "Eh bien joué baby ... ", "baby" ? non sûrement pas. "Bravo ma belle, tu as ramené une relique convoitée. Le danger ne te fait pas peur ? Heureusement que je suis là pour te protéger ! ". Bon tant pis. J'entrai.

Je balayai la pièce d'un coup d'œil. Je ne sais plus ce qui m'a frappé en premier. Le désordre de la pièce ? Le calme apparent et incohérent avec la festivité de l'évènement ? Ou le corps de Mila gisant au sol baigné d'un mélange de son sang et de celui du directeur ? Sans doute les trois en même temps. Peu importe. Je sentis à ce moment là que rien ne devait m'échapper. Que je devais garder le contrôle pour ne pas sombrer dans une dépression morbide et fulgurante qui m'aurait à coup sûr mené au suicide dans les minutes qui suivaient. Garder le contrôle. Garder le contrôle. Je me suis approché, je redoutais de la voir de près, comme s'il restait un espoir que ce ne soit pas elle. Garder le contrôle.

- Mila ?

Elle me regardait. Ou alors elle regardait derrière moi. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai bougé légèrement la tête pour voir si elle me suivait des yeux. Elle ne suivait pas.

- Hector..., dit-elle difficilement.

Je n'aurais jamais cru voir un jour son visage aussi inexpressif. Même malade ou triste, elle gardait toujours cette pétillance qui lui était propre. J'ai alors bien compris, ce que j'aurais dû comprendre immédiatement. Garder le contrôle.

- Le coffre, notre rencontre...

Mila a bredouillé ces mots. Elle n'en a plus jamais bredouillé d'autres. Sans doute que quelque chose de plus romantique aurait été plus pertinent. Mais je ne n'aurais pas laissé la déception prendre le pas sur la tristesse ! Garder le contrôle.

Je prendrais le temps, plus tard, beaucoup plus tard, de me dire que c'était fini, que je ne la reverrais plus, que je ne l'entendrais plus, qu'elle ne rirait plus ou que j'avais tout perdu. Et cette douleur dans la poitrine, il suffisait de l'ignorer. La pièce était sans dessus dessous et le bureau fendu en deux. Les tableaux étaient au sol, les vitrines brisées et les livres empilés. Tout était clair, ce livre n'aurait jamais dû être déplacé dans ce bureau, et surtout sans autorisation. Puis, sous le bureau, j'aperçus un coffre encastré dans le sol. Un cylindre était sorti de la serrure. Il était équipé de sept rondelles dont le déplacement composait les crans d'une clé. Les lettres de l'alphabet étaient inscrites sur chaque rondelle... Garder le contrôle. Ma vision se brouillait lentement, j'eus une impression de vivre la scène de l'extérieur et de me regarder faire. Je me disais "Tu ne vas pas appeler la police ?", mais ce livre si important pour Mila et son professeur était tout l'héritage qu'il me restait d'elle. Je composais les lettres O.R.I.G en songeant qu'elle avait peut-être elle-même placée le livre dans ce coffre. A.M.I. puis j'enfonçais le cylindre dans l'espèce de serrure prévue pour l'accueillir. Un imposant CLAC leva mes doutes, c'est bien Mila qui avait composé le code. Je pris cette référence à notre lieu de rencontre comme le dernier mot romantique qu'elle m'avait adressé. Ma tendre ! Garder le contrôle.

Un épais manuscrit se trouvait à l'intérieur. Je le pris dans mon sac et l'emmenai chez moi avant de me rendre au poste de police le plus proche...

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