Chapitre 1

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Nombreux sont ceux qui, sentant leur vieillesse entamée, décident d’écrire leurs mémoires afin de laisser une trace de leur passé à leurs descendants. Certains imaginent leur vie suffisamment intéressante pour publier une biographie en racontant les quelques joies et misères que le destin leur a réservées. Le jour est arrivé afin qu’à mon tour je me prête à cet exercice. Je ne suis pas dupe, ma vie n’intéresse personne. Aussi, plutôt que d’énumérer dans l’ordre chronologique les différentes étapes insignifiantes de ma jeunesse, je m’attarderai à expliquer l’étape la plus cruciale de mon existence, celle qui masque toutes les autres, celle qui se suffit à elle-même, celle que peu ont vécu et encore moins ont eut la force de raconter. Je m’appelle Hector Nivenne, je suis écrivain, et je suis allé en enfer.

Sans que je ne sache ni comment, ni pourquoi j’en étais arrivé là, je croupissais depuis une éternité dans l’estomac de Belzebuth. Entre la conscience et le sommeil, là où le temps n’est plus. J’existais, sans souvenir vraiment construit du monde auquel j’avais appartenu jadis. J’étais enfermé dans mon esprit, dans un très mauvais rêve, sans fin. Je ne suis pas certain de pouvoir dire qu’il s’agissait de mon esprit. Je le connais, et si j'avais été enfermé à l'intérieur, je l'aurais reconnu. Pourtant c'était bien lui. Probablement était il parasité par quelques forces démoniaques le rendant incontrôlable et d’une ignominie indicible.

Il est inutile de tenter de faire une description réaliste de la fosse infernale. Et bien qu’il me sembla que cet endroit ne pût être décrit dans l’absolu, et ce dans la mesure où il s'adapte à chacun, je crois pouvoir démentir les représentations usuelles de flammes et de lave telles qu’elles sont racontées par nos bons curés. L’empire noir est plus un état de l’être qu’un lieu à proprement parler. C’est une force mystique qui libère les parcelles les plus sombres de notre psyché, là où la peur est omniprésente.

Je vivais dans un cauchemar que j’animais moi-même des pires inventions. En effet, qui eût été plus compétent que moi-même pour trouver le supplice qui m'était le plus adapté ? Celui qui correspondait le mieux à mes craintes ? C’est bien là toute la force du Démon, il vous connait, il lit en vous et utilise vos faiblesses. Vous êtes votre propre tortionnaire. Si bien que tout ce que ma conscience était capable d’imaginer de pire se générait instantanément, me faisant subir de regrettables tourments. Ceci engendrait sans cesse de nouvelles peurs, plus évoluées, plus imaginatives, qui devenaient de nouvelles inspirations, véritables cercles vicieux m’alimentant toujours plus. Là où cet univers est habile, c'est qu'il vous donne et vous retire l'omniscience aux moments opportuns. Bien qu'intégralement immergé dans l'obscurité la plus opaque, je pouvais parfois savoir exactement toute l’amplitude odieuse ce qui se créait autour de moi. Ceci probablement pour que le noir ne puisse pas masquer l'horreur. A d'autres instants, simultanés et cumulatifs, j'étais incapable de déceler la moindre poussière de l'atrocité qui m'accompagnait, probablement pour que l'horreur ne masque jamais la peur.

Ces ténèbres génèrent toute la peur que l’esprit peut fantasmer. Tant par les hurlements qui résonnent à l’intérieur de notre tête que par les souffles bestiaux qui parfois viennent nous bruler la nuque. Et quelle folie que d’avoir la curiosité de dissoudre ce brouillard noir, de céder à la tentation de voir ce qui nous entoure et nous guette, car les seules clairvoyances sanglantes parfois perceptibles ne sont que le miroir du visage déformé de notre agonie, celles qui clament que la peur n'est pas le seul tourment imaginé par le Malin, et que la douleur, lorsqu'elle est distillée avec la psychologie la plus parfaite prend toute l'ampleur que mérite l'injustice de votre châtiment. Des images sans aucune cohérence avec les bruits environnants, et qui désorientent d’autant plus que ni la vue, ni l’ouïe ne sont fiables. Ces images à elles seules sont la source d’autant d’effroi, par l’attente angoissante qu’elles procurent, que le noir lui-même. Et ces flashs aléatoires sont bénis à coté des yeux du Malin, toujours fixes, à quelques centimètres du visage, ne clignant jamais, écarquillés et tordus d'un affreux sourire sadique. Il est impossible d’échapper à ces visions qui, les paupières dévorées, rendent insupportables chaque seconde de l’éternité. Je crois me souvenir avoir souhaité échanger cette peur asphyxiante par de quelconques supplices physiques que je crus avoir déjà tous subis. Mais mon imagination, damnée soit elle, source de mes malheurs, fut sans limite.

Je me souviens également, et bien que ma mémoire traumatisée fut quasiment inaccessible, de m’être accroché aux souvenirs que j’avais de ma douce maman qui allumait une veilleuse chaque soir avant de m’endormir afin de chasser l’imaginaire noir qui m’effrayait. J’imaginais que sa lumière était là pour combattre l’obscurité. Mais la pire des erreurs fut bien d’imaginer… En bref cela me permit de me souvenir de quelques bribes de la vie que j’avais presque oubliée.

La première chose qui me revint fut ce soir où je fis chavirer le cœur de ma bien aimée, ma belle, ma douce Mila…

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