Le Vase aux vents

3 minutes de lecture

Oh, Fier Árēs, n’as-tu pas (1)

Ah, Casque d’Or, n’as-tu pas

Un ami

Un amant ?

Du nom d’Illapa. Oh, Illapa

Du nom de Líbiac. Ah, Líbiac

Vous éprouvez

Vous partagez

L’amour des chiens

Le cœur des bêtes

Et vous aimez

Vous adorez

La destruction

La déréliction

Vous lancez

Vous jetez

Vos lances

Vos javelots

Depuis les cieux

Présents des dieux

Ah, Árēs, quand tu revis

Ah, Árēs, quand tu ravis

Ta prison maudite

Ta cloison réduite

Tu l’as donnée

Tu l’as léguée

À Illapa

Maître des Airs

En échange seulement

En vertu simplement

De la promesse

De la briser

Mais Líbiac, tu le sais

Oh, émissaire d’Inti

Ta fronde a tournoyé

Ta fronde a sifflé

Les vents ont sifflé

Les vents ont tournoyé

Tes gestes vifs ont fait briller

Tes habits d’or

Tes mouvements lestes éclairèrent

Les cieux d’éclairs

Les étincelles sur la jarre

Étincelèrent l’air

Du fracas de l’amphore

Le fracas du tonnerre

Mais Illapa, tu le sais

Oh, envoyé d’Inti

Tu n’as pas su

Tu n’as pas pu

Briser le vase

Promesse brisée

Sous tes yeux

Devant ton nez

L’insistante s’est reformée

L’insolente s’est réparée

Sans cesse tu l’as fracassée

Sans cesse ton tonnerre grondait

Sans cesse elle s’est reformée

Sans cesse elle s’est réparée

Comme le Maudit, tu l’as haïe

Comme le Haï, tu l’as maudite

Mais ta sœur

Ta douce sœur

Remplit l’indestructible

Plongea l’indéfectible

En Mayu, le fleuve céleste,

En Kṣīra Sāgara, la Mer de Lait

En son berceau, la Voie Lactée (2)

L’incassable

Tu fracassas

Et la pluie nocturne

S’écoula de l’urne

Et la pluie du ciel

Chuta sur la terre

Elle se répara

Et tu la brisas

Et les hommes en bas

Et les femmes à terre

S’agenouillèrent

Te vénérèrent

Sans cesse tu l’as fracassée

Sans cesse elle s’est reformée

Et la pluie tombait

Et le tonnerre grondait

Les humains même savaient

Les mortels même devinaient

Que l’endroit marqué

Que les lieux brûlés

Par tes lances de lumière

Par la marque du tonnerre

Les mortels même devinaient

Les humains même savaient

Ces endroits damnés

Ces lieux condamnés

Les serviteurs du Soleil

Les serviteurs d’Inti

L’Éclair

Le Tonnerre

Les avaient marqués

Les avaient signalés

D’une cicatrice, d’une fracture

D’une escarre, d’une brûlure

Parfois, tu oubliais la jarre

Parfois, tu manquais à ton devoir

Et tes sujets souffraient de la sécheresse

Et les mortels mourraient de l’aridité

Ton amour des chiens, oh Líbiac

Ton cœur canidé, ah Illapa

Les hommes le connaissaient

Les hommes l’exploitaient

Si bien que pour appeler

Oh, pour invoquer

Tes foudres pluvieuses

Tes orages sauveurs

Ils assoiffaient

Ils attachaient

Des chiens noirs

Dernier espoir

Pour que leurs pleurs

Pour que leurs cris

Parviennent à tes oreilles, oh Illapa

Éveillent ta pitié, ah Líbiac

Et chaque fois, n’est-il pas

Chaque fois, tu brandis ta fronde

Chaque fois tu abreuvas les chiens

Chaque fois tu sauvas les hommes

Bien plus que la guerre

Bien plus que vos colères

Voilà ce qui vous émeut

Voilà ce qui vous lie

Árēs, le Vautour Destructeur

Illapa, l’Orageux Maître des Cieux

(1) On retrouve les caractéristiques suivantes dans les hayllis ou jaillis (poèmes épiques et prières inca) :

- Moins de dix syllabes par vers,

- Doublets (aussi, plus rarement, des triplets) de vers (qui tendent à partager un même nombre de syllabes) à base de répétitions, de synonymes, d’antithèses et/ou de préfixes et suffixes, qui peuvent clarifier ou flouter le sens.

- Figures de style récurrentes : apostrophes (interpellation d’un personnage), métaphores et métonymies (« la couronne » pour désigner « le roi »).

Cette poésie ne dépend pas de la rime, puisque la seule façon de rimer en quechua consiste à réutiliser un même suffixe, ce qui crée une monotonie. On y trouve aisément des rimes, mais elles naissent de la répétition des suffixes, pas d’une volonté d’apparier deux mots autrement distincts.

(2) Véridique. Ça tombe bien pour relier le cycle inca au cycle indien, hein ?

Sources :

Ariadna Baulenas i Pubill, « La divinidad Illapa en el panteón imperial incaico ».

Inca Garcilaso de la Vega, Comentarios Reales de los Incas, Livre II, Chapitre I.

Michaela Mitzam : « Jaillis sagrados. Textanalyse zweier Quechua-Gedichte ».

Mythe d’Illapa.

John Curl, The Sacred Hymns of Pachacutec: Ancient Inca Poetry.

Gordon Brotherston, « Inca hymns and the epic makers ».

Jean-Philippe Husson, « La poesia quechua prehispanica: Sus reglas, sus categorias, sus temas, a través de los poemas transcritos por Waman Puma de Ayala », Revista de Crítica Literaria Latinoamericana.

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