Chapitre 4

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Aujourd’hui.

Lilly.

Allongée sur la plage, j’observe les étoiles. La lune se fait timide ce soir. Depuis mon arrivée, j’ai cette routine, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Je m’installe à la même place et je regarde le ciel. J’admire la lune.

La lune a toujours été l’astre qui m’a le plus fascinée. Tourner autour de sa planète sans jamais défaillir, toujours présente, rappelant sa présence tout les siècles au maximum, avec une petite éclipse… Voilà la lune. Si patiente, si belle, si lumineuse. De jour comme de nuit, elle est là. Il s'avère que c'est le deuxième astre le plus lumineux après le soleil. J'adore également cette légende qui veut que la lune et le soleil étaient amoureux. Mais leur relation étant impossible car la lune vivait la nuit et le soleil le jour, Dieu inventa l'exclipse pour les réunir et rappeler aux hommes qu'aucun amour n'est totalement impossible.

Vous est-il déjà arrivé d’être paralysé par la peur ? Moi oui. Lorsque mon coeur a été anéanti, j’ai jamais eu la force de reprendre le risque de l’amour, de peur qu’il soit à nouveau fissuré. Cette peur qui me contractait la ventre à chaque battement raté, à chaque sourire incontrôlable, à chaque "je t’aime" que je criais en silence dans ma tête. Parce qu'une fois qu'on connait les risques, qu'on les subit, il est impossible de les ignorer. On connait désormais la chanson, et on sait qu'elle ne peut pas durer éternellement.

Je ne me suis jamais pardonnée, d’avoir donné l’opportunité à un homme de m’anéantir, d’avoir révélé de moi une facette que je ne connaissais pas. J’étais celle qui quittait, celle qui brisait. Je crois qu’il fallait me faire retenir la leçon, me faire comprendre qu’on ne joue pas comme ça avec les sentiments des autres, et que ceux-ci sont importants. Peu importe leur degrés et leur intensité, ils sont importants. Ils comptent. Ils ont de la valeur.

Quelle meilleure leçon que de le vivre sois même ?

Alors j’ai pris l’habitude de fuir quand cela devenait trop difficile, trop intense. Je ne m'engageais plus et lorsque notre relation arrivait aux alentours des deux mois, je rompais. Je voguais sur le "honeymoon".

J’ai appris à contrôler ma peur en la fuyant. Je suis devenue lâche, parce que j’ai compris ce que l’amour représentait, les ravages qu’il pouvait faire sur son passage et surtout parce que je n’étais plus capable d’aimer. Mon coeur n'etait plus plus. Mon coeur n'est plus. Chaque personne que j'avais laissé entrer dans ma vie était reparti avec un bout de moi. Julien avait emmener mon coeur en entier. Peut-être aussi mon âme. Et sûrement tout ce qu'il pouvait encore emmener de plus, dans ses grands et forts bras chargés.

Je lui ai dit que ma vie ne serait plus jamais la même après l’avoir rencontré. Je n'avais pas menti : elle n’a jamais plus été la même. Elle avait perdue de sa saveur, de ses couleurs et de sa beauté.

Il avait pénétré une part de moi-même qui m’était inconnu. Il était l'amour de ma vie. Il est l'amour de ma vie. Aujourd’hui, je suis comme une coquille vide qui frôle la mort pour se sentir vivante. L’amour est ravageur, brûlant et destructeur. Et pourtant mon Dieu, qu'est-ce qu’on aime se jeter dans le vide et tomber amoureux. Comme si s’écraser sur le bitume était un sentiment magnifique. J'envie ces couples qui m'entourent, riant et se liant sans réaliser que s'ils se trompent, ils peuvent en mourir. On devrait nous apprendre très tôt de ne pas jouer avec nos coeurs, car le syndrome de Takotsubo nous guette.

L’amour est le sentiment le plus puissant du monde. Il est la cause du meilleur et du pire. C'est en couple que certaines découvertes ont eu lieu, c'est à cause d'une disparition, d'une rupture, d'une jalousie qu'une guerre a été déclanchée.

S’il y a bien une phrase qui m’aurait bien servi, dans l’éducation de ma mère, c’est bien celle-ci. « Ne laisse pas un homme te contrôler, ni t’atteindre d’accord Lily ? »

Étrangement, c'est à cet instant que je tourne la tête vers l’autre côté de la plage et que je vois Peter se diriger vers moi. En voyant son visage, mon coeur se contracte. Pitié… Faites que ce n’est pas moi qu’il cherche à voir.

Il y a 24, 23, 22, 21, 20, 19, 18 (…) 1 an,

Lilly

  • Ne laisse jamais un homme te contrôler ni t’atteindre, tu vaux plus que ça, d’accord ? Promets-le ?
  • C’est promis, maman.

Il y a 14 ans,

Joan

Pendant que Lilly prenait sa douche, j’en ai profité pour faire le tour de l’appartement miteux qui servait de foyer à ma petite protégée. L’environnement n’est pas sain. La maison non plus. La rage bouillonne encore en moi. Je suis toujours confus de découvrir que je ressens des sentiments, car ces derniers ne devraient pas/plus exister pour moi, cela fait partie de ma condition.

Je me promène sans vraiment savoir ce que j’espère trouver. Peut-être rien, peut-être tout. Un rien du tout pour me raccrocher que dans cette maison rien n’est mort.

Je ressens sa peine comme la mienne. Enfin, ce n’est pas tant de la peine, elle est sous le choc, et je sens les murs s’ériger autour de son coeur, je sens sa tête prendre le contrôle sur tout. De manière rationnelle, elle réfléchit à si elle peut être enceinte, si elle a peut-être attrapé des maladies. Elle n'a que 10 ans. Dans ses pensées, j'ai le sentiment d'être avec une femme de 35 ans. Elle élabore des plans afin de s’orienter vers les bonnes personnes. Heureusement qu’Internet existe. De mon point de vue, c’est malheureux. Toutes les réponses à ses questions se trouvent à portée de clics. Elle n’aura donc pas besoin de se tourner vers quelqu’un.

Je sens la chaleur envahir le corps de Lilly. Une chaleur dû à la température de l’eau mais également à autre chose.

Sur le bar de la cuisine se trouve un énorme tableau où il est inscrit « Smile ». Lilly a-t-elle eu ne serait-ce qu’une minute de véritable bonheur ici ? Son sourire était-il vraiment sincère ? Des dessins d'enfants sont accroché au mur, avec un panneau indiquant 6 ans. Je crois que la déco n'a pas été revue depuis plusieurs années. Sur un meuble de l'entrée s'entasse des bricoles, des souvenirs de voyages, de mariages, d'un temps révolu.

J’ouvre le frigo. Etonnamment il est vide. Mais ce qui me dérange c’est l’odeur… Une odeur de… de brûler ? Je ne comprends pas… Je fais le tour du frigo, je ne vois aucune lumière rougeâtre, ni aucune sensation de chaud.

Par contre, je ressens que Lily, elle, elle chauffe. Sa température corporelle augmente. Pourtant je ne décèle aucune peur, aucune frayeur.

Il y a 14 ans,

Lilly,

Je suis sur le bord de la route, les pompiers tentent en vain d’éteindre le feu. J’observe cette maison en piteuse état s’effondrer, elle ne méritait pas mieux que ça. Elle abritait sous son toit les plus gros vices de l’humanité. Peut-être que le monde prendra enfin conscience de ce qu’il s’y passait. Ou peut-être pas. Le plus important c'est qu'elle ait disparu.

Une femme habillée en bleue me demande de la suivre dans son camion. Il semblerait que le feu ait brûlé une partie de mon bras. Je n’ose lui dire la vérité, que ce n’est pas le feu de cette maison qui a marqué ma peau, mais les cigarettes de ces hommes, lorsqu’ils ne trouvaient pas de cendrier. Mon corps leur semblait être un meilleur moyen d’éteindre ce bout ardent gris qui réduisait taff après taff, leur durée de vie.

De toute façon, elle finira par s’en rendre compte aussi, toute seul, et fermer les yeux, comme les autres. Du moins j’espère…

  • Tu as eu beaucoup de chances, ma jolie. Il semblerait que le feu soit partie de la salle de bain où tu te situais… Tu n’as rien vu ? Du genre, un appareil défectueux ?

Elle me pose ces questiosn en se tournant pour attraper une crème bien grasse et une compresse.

Face à mon silence, la femme poursuit son explication, comme si j’en avais quelque chose à faire. Bizarrement je me demande si ma mère s’en est sorti. Si oui, allons-nous continuer de mener cette vie ? Et cet homme, si lâche soit-il, a-t-il réussi à quitter cette fournaise ? Me retrouvera-t-il ? Pendant une seconde, la peur se diffuse dans tout mon corps, jusqu'à ce que mon cerveau cesse ce poison de se répendre. Je suis forte. Je suis invinsible.

  • Peut-être la machine à laver à eu un faux contact. J’ai déjà eu ça avec l’un de mes chargeur. En le branchant il a pris…

C’est à son tour de se taire, parce qu’elle vient de réaliser que les traces rondes sur mon bras ne peuvent pas représenter des flammes venues se poser sur ma peau. Les cicatrices sont bien trop anciennes, mais personne ne l’a deviné. Ou personne ne voulait le deviner. Personne avant elle.

Alors elle comprend. Un chemin de vérité se fraye doucement dans son cerveau. J’ai déjà vu ce regard dans les yeux des gens du quartier, puis j’ai vu leur tête se secouer comme si ce que cette vision signifiait, leur semblait invraisemblable. Notre famille est si belle, cela n'est pas possible que de telles horreurs peuvent arriver. Alors j’attend. J’attend quelques instants que ses yeux suppriment ce voile noir qu’est l’horrible réalité de ma vie. Mais cela ne vient pas. Ses yeux s’assombrissent de plus en plus et sa mâchoire se contracte. Elle a compris. Elle sait. Les liens se font de plus en plus vite que pour la plupart du reste du monde. C’est peut-être pour cette raison qu’elle fait ce métier, ou alors est-ce parce qu’elle fait ce métier qu’elle raisonne si vite et bien. Une bulle de chagrin menace d'exploser, mais je dois rester forte. Ne rien montrer.

  • Ma chérie, je reviens vite, je dois joindre un collègue.

Une larme coule le long de ma joue. Elle sait. Elle va agir. Enfin.

Je réalise que ce n'est pas du chagrin, mais du soulagement. Elle sait. Enfin. La délivrance.

Peu importe ce qu'il arrivera ensuite, ce ne sera jamais pire que ça.

Même si elle s’est éloigné de moi, l’isolement du camion me coupe des bruits extérieurs et me font parvenir les brides de sa voix.

- Appelez moi les services sociaux, je pense que cette histoire de feu va plus loin… Oui, la petite présente des traces de brulures, mais liées à autre chose que cette maison. Je l’emmène à l’hôpital, je veux qu’on fasse un check-up complet. Oui, gynécologie, toxicologie et tout le reste. Non, sa mère ne sera pas au courant, on ne sait pas encore son implication dans toute cette histoire et on sait à quel point la justice ferme les yeux sur les cas de violences domestiques.

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