Chapitre 1. De glaçantes retrouvailles

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Chloé

Autrefois, j’ai été marié. Quand je l’ai rencontré, je croyais avoir trouvé l’amour de ma vie. Sur le plan administratif, nous le sommes toujours légalement, ce qui suscite encore aujourd’hui la grande colère de notre entourage. Nous découvrirons bien plus tard qu’un accord pécuniaire entre nos deux familles avait été signé derrière notre dos.

Pendant les six ans de notre relation, j’ai vécu à la fois les meilleurs et les pires moments de mon existence. Pour ainsi dire, ma belle-mère était clairement réticente et répugnée à l’idée que je porte le nom de son fils, alors vous pouvez imaginer sa réaction quand nous lui avons annoncé nos fiançailles. Par la suite, les repas de famille ressemblaient à véritables règlements de comptes, une situation que je ne supportais plus.

Pour notre mariage, nous avons choisi de faire les choses à notre manière. La cérémonie s’est déroulée à l’église de notre village, sous un ciel radieux. Ensuite, nous avons rejoint la demeure familiale d’Adam, sous l’arche fleurie, afin de nous dire une nouvelle fois oui, mais avec le maire cette fois-ci.

Ma robe blanche était agrémentée de touches de rouge, rappelant un pari perdu la veille sur un match de football. Dans mes cheveux bouclés, un nœud de la même couleur. Nous avons décidé de faire les choses différemment, loin des applaudissements, des pétales de roses et des colombes volantes. Nous étions les seuls à croire en notre amour, et cela nous importait peu. Nous étions atypiques, alors notre mariage allait l’être aussi. Se rencontrer sur une plage à Hawaï au milieu d’une tempête n’était pas quelque chose de normal. Sur notre voiture, une vieille Fiat blanche, nous avions attaché une pancarte indiquant « Jeunes mariés ». Nous avons trouvé le concept ringard, c’est pourquoi nous l’avions choisi.

Après nos grosses journées de boulot, nous nous retrouvions chez nous, dans notre caravane, en attendant que les travaux de la grande maison soient terminés. Adam m’avait laissé champ libre pour la décoration, un immense bonheur pour moi qui avait quitté mes parents très tôt à cause des disputes incessantes avec mon père. Avec lui, je pouvais faire mes propres choix, sans être jugée ou persécutée par l’alcoolisme et la violence de mon géniteur.

À l’époque j’étais infirmière et lui mécanicien. Joindre les deux bouts devenait difficile, surtout pendant ma reprise d’études tardive. Nous vivions simplement et avec pas grand-chose.

Mais un soir de juillet, six ans de mariage plus tard, après une énième dispute, qui portait une fois de plus sur nos familles, tout a basculé. J’ai pris mes affaires et je suis partie. J’étais convaincue que j’arriverais à l’oublier, mais cela ne s’est jamais produit. Ce soir-là, le cœur meurtri, j’ai abandonné mon rêve le plus précieux : vivre le reste de ma vie avec Adam.

Chaque jour qui passe, un endroit, une musique ou une odeur me ramène à lui. Je me souviens de nos longues virées à moto, éclairées par la lueur de lune, de nos festivals, de nos concerts, de nos fous rires. Nous n’avions pas excessivement d’amis, mais cela nous suffisait.

Maintenant, il n’est plus là. Tout ce qu’il me reste, ce sont ces pensées et cette sensation de vide intérieur. Il m’est de plus en plus difficile de vivre avec cette douleur lancinante dans ma poitrine, ni à retrouver cette paix qui m’animait quand il était encore là.

Les années ont passé. Je n’ai jamais désiré refaire ma vie, il n’y a que lui dans mon cœur.

Il y a deux quelque temps, j’ai reçu un appel de ma petite sœur, Émeline, me demandant de venir manger chez les parents le dimanche midi suivant parce qu’elle a « une annonce de la plus haute importance à faire ». Elle est d’humeur assez changeante, surtout lorsqu’elle n’a pas ce qu’elle veut. La contrarier signifie se la mettre à dos. Je pense deviner ce que c’est.

Je me suis levée à l’aube, à contrecœur. Pour une fois que ma chef m’autorisait un jour dans le week-end, j’aurais préféré me la couler douce plutôt que de faire de la route. Cette foutue ville ne m’est pas d’un bon souvenir.

Pour ce midi, maman nous a fait du poulet frites, un plat bien gras et consistant. J’ai badigeonné les frites de ketchup, un accompagnant nécessaire. En attendant que ma frangine se décide à dévoiler la raison de ma venue, je dévore voracement mon assiette de poulet. Son excitation est extrême, ce qui ne manque pas de me donner la migraine. Plus tôt tout ceci sera fini, plus vite je repartirais chez moi à me goinfrer de chocolat devant un nouvel épisode de Desperate housewife.

Le bonheur de ma sœur m’importe énormément, mais elle en joue sciemment. La compétition, c’est ce qui nous oppose. Ou plutôt, c’est ce que notre père nous impose. Son envie de rivalité causera des disputes et creusera un fossé entre ses filles. Qui se mariera et enfantera la première, qui aura un job de rêve, qui gagnera assez bien sa vie…

Émeline ne semble pas prête à avouer son secret. Je plisse les yeux en sa direction, en colère. Elle m’offre une très belle grimace, qui ne manque pas de me faire rire. Putain, qu’est-ce que je l’aime cette petite sœur !

Depuis toujours, je sentais que j’étais différente. Et, la nature fait souvent bien les choses. Physiquement, je ne ressemble à aucun des membres que constitue ma famille. Ni à ma mère, cette mère timide qui se donne en quatre pour ses enfants. Ni à mon père, qui, malgré qu’il aime intensément sa femme depuis plus de trente ans, ne lui parle pratiquement plus, mis à part pour lui demander de lui apporter son café ou pour lui acheter ses cigarettes. Ils sont tous châtains aux yeux foncés alors que je suis blonde aux yeux bleus. Un trait qui me vient de ma grand-mère paternelle, pour qui je suis le portrait craché. Sous la table, j’adresse un subtil coup de pied à Émeline, en espérant qu’elle finisse par nous dire pourquoi je suis ici. Elle se redresse, ressert sa queue de cheval, contente.

— Papa, maman.

— Alléluia, soupirais-je en roulant des yeux.

Je plante ma fourchette dans un gros tas de frites au ketchup que je m’empresse ensuite de mâcher de façon peu discrète. Ma mère pose son chiffon sur le siège de sa chaise et s'y installe, attentive. Mon père allume une cigarette et boit son wisky de son autre main. Un rictus de fierté éclaire son visage, s’étant toujours préoccupé davantage du bonheur et des choix de vie de ma sœur que des miens. Bon, le suspense est trop long. Je frappe une nouvelle fois dans les mollets d’Émeline.

— Martin n’a pas pu se libérer aujourd’hui. Alors, je vous ai tous réunis pour vous annoncer que…

Émeline ferme les yeux et tend sa main gauche. Ses ongles manucurés mettent en valeur l’énorme diamant qui orne son annulaire.

— Nous allons nous marier, crie-t-elle.

Moment de joie. Ses fiançailles ne sont pas une grande surprise pour moi. Mais, je ne pensais pas qu’il ferait sa demande si vite. Mes parents se lèvent et embrassent Émeline. Pendant ce temps, une image que je préférerais oublier habite mon esprit. Je me souviens du jour où nous l’avons annoncé avec Adam. Je vous préviens, la joie était inexistante. Nous étions tous réunis autour de la table, comme maintenant. Personne n’en était heureux, mise à par la petite sœur d’Adam. Je secoue la tête pour ne plus y penser et j’attrape la bouteille de whisky. Je verse une bonne quantité dans mon verre que je soulève. L’alcool m’aide à oublier qu’il a existé.

Mon cœur est en miette. Adam est une partie de moi. En touchant mes joues, je me rends compte que je pleure. Je me lève rapidement et je pars m’isoler dans la cuisine. J’attrape un gros morceau de sopalin que je passe sur mes yeux. Derrière moi, des grincements de chaises. Je reprends mon souffle, je sors le Paris-Brest du frigo, je force un sourire et je me retourne en disant dans un ton le plus neutre du monde ;

— Qui veut du gâteau ?

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