Ma crêpe de Proust

de Image de profil de Camille D.Camille D.

Avec le soutien de  Sin 
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Il y a des choses qui nous sont inhérentes , non ?

De petits rien qu'on ne voit plus, qu'on ne sent plus en nous jusqu'au jour où l'on décide d'y prêter attention. Je n'ai jamais été vraiment attachée aux choses mais les sensations et les émotions me poursuivent. Ma vie est un fil ininterrompu de stimuli qui me retournent le corps chaque jour.

Mais celui qui reste le plus doux fait office chez moi de madeleine de Proust. Il est indéniablement associé à ma mère. Elle en est la créatrice, l'instigatrice officielle. Et pour cela elle restera éternellement l'acolyte de mes meilleurs souvenirs d'enfance. L'odeur des crêpes chaudes le dimanche en fin d'après-midi demeure celle qui me remet sur le droit chemin, peu importe les sentiers sinueux que je peux emprunter. Aujourd'hui encore je m'attache à cette senteur de zestes d'agrumes et de pâte juste dorée pour me rappeler que chaque moment mérite d'être vécu.
Il m'a fallu bien du temps avant de m'accrocher à ces petites choses qui rendent l'existence plus facile.

En fermant les yeux, je me revois tenter vainement d'écraser les grumeaux sur le bord du saladier. J'espère secrètement qu'elle ne les verra pas, parce que j'ai fait de mon mieux mais qu'à mon âge je ne suis encore pas très regardante sur ce genre de détails. Elle a un geste magique, ma mère, pour faire les crêpes. Elle doit forcément y mettre un ingrédient secret car aujourd'hui les miennes n'ont ni le même goût, ni la même texture et surtout n'ont plus la même odeur. Les effluves qui s'échappent de la crêpière sont extraordinaires, et si je me concentre je peux encore les sentir aujourd'hui. Je suis toujours assise sur une chaise de la cuisine pendant ce processus délicieux. Je la regarde et je salive d'avance. Mes yeux font des allers-retours entre la poêle brulante et sa main qui tourne dans les airs. Elle a une dextérité, ma mère, vraiment je l'admire. Aujourd'hui je fais illusion, je tourne comme je peux moi aussi, mais ça ne donne jamais le même résultat et je suis déçue.

C'est là qu'on se rend compte qu'on ne remplace jamais une mère je suppose. Ne serait-ce que pour les crêpes ! Je souris parce que bien sûr elle est irremplaçable pour tant d'autres choses. J'ai envie de la remercier pour tous ces souvenirs que j'ai dans le ventre de la maison. Cette senteur est restée gravée dans mon esprit d'enfant que je porte encore en mois jour après jour. Je suis persuadée que si j'extrapole un peu je peux même dire que lorsque je fais sauter mes crêpes d'adulte, c'est pour retrouver intimiment ces moments là. C'est une sorte d'introspection crêpière en quelques sortes.

Toute cette agitation interne est liée à cette seule odeur, à cet arôme que je ne retrouverai plus jamais autre part. De mon point de vue, on sous-estime trop souvent l'olfactif qui pourtant est un souvenir puissant. C'est une forme de vision imperceptible qui se pose inévitablement sur chaque chose, chaque personne. Comme dans Inception où la toupie tourne pour DiCaprio afin de lui rappeler où est la réalité, le parfum sucré des crêpes de mon enfance me retient fermement dans la mienne.

Voilà le pouvoir magique de cette crêpe de Proust, mélange de zestes dorés, de grumeaux qui se noient et de souvenirs d'enfance qui ressurgissent.

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Le ventre de la maisonChapitre6 messages | 6 ans

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