Un Grand Homme - Partie 1

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États-Unis en 1947.

Martin était encore somnolent dans son lit et avait prévu de passer toute la matinée à se reposer. Mais cette idée fut vite délaissée lorsqu'il lui revint en tête la date d'aujourd'hui. Le 14 janvier. Le jour de la veille de son anniversaire. Et plus précisément la veille de ses 18 ans. Le jeune homme jubilait. Pour une raison qu'il ignorait, cette date était particulièrement importante pour lui. Il sentait au plus profond de son âme que le lendemain allait être un grand changement dans sa vie. Malgré cette gaieté incoercible, il resta tout de même un certain moment, allongé dans son lit, à repasser en boucle dans son esprit les événements les plus marquants de ces dernières années. Comme pour sacraliser ce passage si important et tant attendu qu'est celui des 18 ans.

Il se rappela l'accident de car dont il avait été victime, à l'âge de 8 ans. Alors que le véhicule se dirigeait vers l'école, ce dernier avait fait un brutal écart de la route sur laquelle il roulait, l'entraînant directement au fond d'un ravin. On apprit plus tard qu'au moment de l'accident le car ne présentait aucune défaillance technique, on en avait donc déduit que le chauffeur était le seul et unique responsable de ce drame. En effet, un drame. 50 personnes à bord et 49 morts. Il avait été le seul survivant. Lorsque les secours arrivèrent, ils furent plus qu'étonné de voir parmis tous ces corps ensanglantés et inanimés une personne sortir du car de la manière la plus normale qui soit. Comme si l'accident n'avait jamais eu lieu. Par la suite, Martin n'eut même pas besoin d'aller à l'hôpital puisqu'il n'avait pas la moindre blessure ni même la moindre égratignure. Au plus grand désarroi des secours. Ses parents, eux, disaient que c'était un véritable miracle.

Il fallait les comprendre. Ses parents étaient très croyants. Et chaque bonne action qu'il leur arrivait, ils l'attribuaient à leur religion. Depuis son plus jeune âge, ses parents lui inculquaient les valeurs de la religion à laquelle ils croyaient tant. Mais Martin n'avait pas réellement besoin de ça. Depuis sa naissance, il était déjà intimement convaincu qu'une force supérieure dominait l'univers. Comment le savait-il ? Il n'aurait su dire pourquoi. Il le savait, c'est tout.

Il se rappela aussi la fois où, à ses 13 ans, il s'était fait agresser par 3 jeunes adultes qui avaient dû faire au moins 2 fois sa taille. Jamais il ne s'était autant senti en danger. Mais en même temps, il l'avait un peu cherché.

Ce jour-là, il était parti tard de l'école, car il avait passé toute sa soirée à étudier en vu du contrôle du lendemain. Afin de minimiser au maximum la terrible colère de ses parents qui allait s'abattre sur lui à la seconde où il poserait le pied dan leur demeure, en raison de son retard, il avait entrepris de prendre un raccourci. Un choix particulièrement stupide, puisque ce raccourci nécessitait de passer par un quartier particulièrement sensible. Un quartier ou son apparence n'avait pas tardé à créer du remous autour de lui. Martin avait eu la chance d'être né dans une famille qui était capable de subvenir à ses besoins. Il pouvait donc s'habiller de manière correcte et être à peu près présentable. Mais c'est cette apparence qui, ce jour-ci, le mit en danger.

Le quartier qu'il avait arpenté était pauvre, très pauvre et l'apparence qu'il avait abordée était riche, trop riche. Enfin, cela du point de vu des habitants du quartier. Ce jour-là, les habits qu'il avait abordés n'étaient pas si luxueux que ça selon lui, mais tout n'était une question de point de vue au final. Après tout, celui qui a passé sa vie entouré de pierres sera émerveillé devant un diamant. Alors qu'aux yeux de celui qui a passé sa vie entouré de diamants, ces derniers n'ont pas plus de valeur que des pierres. Alors qu'il commençait à regretter son choix, Martin s'était enfoncé un peu plus dans la jungle urbaine. Une jungle urbaine où il était la proie. À chaque pas, il avait senti s'accroître l'immense poids des regards hostiles qui pesaient sur lui en raison de son apparence. Son apparence si propre, qui contrastait avec l'aspect délabré du milieu hostile dans lequel il évoluait, avait sonné comme une provocation vis-à-vis des bêtes féroces qui peuplaient ce lieu.

Ainsi, il n'avait pas tardé à être pris à parti par un groupe de 3 personnes, tous unis par le funèbre dessein qu'était celui de d'extorquer les biens du jeune homme. Cette scène inquiétante avait pris place dans une ruelle sombre, sombre à l'image des pensées obscures qui hantaient les esprits de ces âmes en perdition. Seul un réverbère, dont le temps avait drainé l'éclat, était venue éclairer très faiblement la venelle. Mais au lieu de rassurer les rares inconscients qui traînaient dans cette ruelle le soir, ce réverbère-là, avait amplifié l'apparence patibulaire des personnes qui en avait eu après Martin. Le malheureux n'avait eu nulle part où s'enfuir, car quelques mètres derrière lui, s'était trouvé un mur infranchissable. Par fierté, et aussi par peur, avouons le, il ne s'était pas résigné à reculer jusqu'à ce dernier, puisqu'il savait pertinemment qu'il n'aurait fait que retarder l'inévitable. Et même s'il n'avait eu aucune chance face à ses agresseurs, il avait été bien déterminé à ne pas montrer sa peur. "Quitte à se faire agresser, autant le faire avec classe", s'était-il dit pour se rassurer. Et se rassurer avait été la moindre des choses à faire, car les 3 personnes qu'il avait eues en face de lui n'étaient clairement pas des enfants de chœur.

Celui de droite avait semblé être la brute du groupe puisqu'il avait regardé la potentielle victime avec impatience en se craquant les poings. Martin l'avait même soupçonné d'espérer, secrètement, que la future victime qu'il aurait pu être refuse de donner ce qu'elle avait sur elle afin que le belliqueux ait un prétexte pour lui taper dessus. Celui de gauche avait semblé être le suiveur du groupe. Sur son visage, se lisait la réticence vis-àvis de l'acte qu'il s'apprêtait à commettre même si cela ne lui enlevait en rien son aspect agressif. Et enfin celui du milieu avait du être le leader. C'était lui qui avait arboré le visage le plus sinistre, et le couteau qu'il avait dans sa main et qu'il brandissait d'un air menaçant n'étais pas l'élément qui lui aurait retiré cet aspect. C'était le moyen de pression idéal pour voler de l'argent à quelqu'un. Et cela fut plus qu'efficace, car la terreur du jeune Martin fut visible même dans la nuit sombre.

Alors que la distance entre les agresseurs et Martin diminuait, la tension dans l'air augmentait. Finalement, la brute avait été le premier à passer à l'action. Il avait levé son poing, prêt à l'assener sur le malheureux. Martin s'était alors crispé en fermant les yeux dans le vain espoir que cela diminuerait la douleur qu'il aurait subie. 1 seconde, 2 secondes passèrent, mais toujours rien. Martin avait alors rouvert les yeux et découvrit les 3 garçons sous un tout nouveau jour.

À ce moment-là, les visages qu'ils avaient affichés étaient à des années-lumières des airs menaçant qu'ils avaient arborés peu auparavant. Les 3 pitbulls qui montraient les crocs et grognaient s'étaient, en l'espace d'une seconde, mués en vulgaires caniches couinant aux visages horrifiés . Fait mystérieux, leurs visages étaient éclairés par une étrange lueur semblant provenir de derrière le dos de Martin. Ce dernier avait voulu en connaître la source, mais avait été incapable de bouger, pour une raison qu'il ignorait encore. La peur qui avait crû de manière exponentielle en les 3 racketteurs, les avait immobilisés sur place pendant quelques secondes. Ces secondes avaient été de courte durée, puisque leur instinct primitif de bêtes féroces, toujours en action malgré la paralysie qui les affectaient, avait dû crier à leur cerveau cet unique mot, "FUIS !". Ils ne s'étaient pas fait prier, puisque quelques secondes plus tards, ils avaient détalé en criant de tous leur poumons la peur qu'ils avaient contenus durant ces trop longues secondes.

Contrairement à eux, Martin n'avait pas vu la source de la lueur, en raison de son étrange incapacité de bouger. Mais au lieu d'être terrorisé de la nature de ce qu'aurait pu être la chose qui s'était trouvée derrière lui, il avait senti se diffuser en lui un sentiment de quiétude. Comme si toute la peur qu'il avait accumulée durant ces longues secondes avait disparu en un instant. Lorsqu'il avait senti qu'il pouvait de nouveau bouger, il avait fait volte-face le plus vite possible. Mais, une fois retourné, tout ce qu'il avait vu ne fut que le fond d'une ruelle, ténébreux.

Le temps qu'il passa à se remémorer ces lointains souvenirs dura plus longtemps que prévu, car au moment où il sortit de ce sommeil-éveillé, il s'était écoulé 1 heure. Il devait se dépêcher de se préparer. Il ne voulait pas faire attendre sa famille. En raison d'un manque de disponibilité de la part de ces derniers, il fêteraient tous ensemble son anniversaire la veille de la date officielle. Aujourd'hui donc.

Alors qu'il se leva de son lit pour se changer, il fut soudainement pris d'une violente migraine. Un mal de tête si intense qu'il lui fit perdre l'équilibre. Afin de faire cesser cette douleur aussi violente et inattendue qu'un éclair dans le ciel, il s'empressa de s'asseoir sur son lit, en vain. Sans prévenir, sa vision se brouilla. Par réflexe il mit alors sa main sur ses yeux en raison de sa douleur oculaire. Son corps se mit à trembler. Comme ses yeux s'étaient fermés par réflexe, à cause du supplice qu'il subissait, il n'était censé rien voir, pourtant, alors que la souffrance continuait d'assaillir les moindres parcelle de son corps, il fut pris d'une étrange vision. Comme si ses yeux étaient ouverts. C'était une vision à la première personne, mais trop floue pour être décrite avec précision. Elle se divisait en deux flashes. Dans le premier, il crût reconnaître une étrange ville où l'activité humaine semblait avoir cessé depuis longtemps et dans le second, le plus troublant, une forme humanoïde éclatante de blancheurs semblant flotter dans les airs. Aussi rapidement qu'ils étaient apparus la douleur et les visions disparurent.

Le souffle court, Martin s'écroula de tous son corps sur le lit. Que venait-il de se passer ? D'où une telle souffrance pouvait provenir ? Il avait toujours été en bonne santé alors, comment pouvait-il éprouver une telle sensation ? Essoufflé, il se dirigea vers le miroir de sa chambre. Des gouttes de sueur perlaient de son visage, et son blanc de l'œil avait viré à l'écarlate. On aurait même pu parler de "rouge de l'œil" ! Martin ne comprenait toujours pas ce qui venait de lui arriver, mais il était bien décidé à garder cela pour lui. Hors de question d'en faire part à ses parents. Ces derniers avaient une fâcheuse tendance à toujours réagir de manière excessive. De plus, aujourd'hui c'était son anniversaire, et il n'allait certainement pas laisser une stupide douleur corporelle lui gâcher cela. Quand il parlait de grands changements, il ne faisait en aucun cas référence à une telle souffrance !

Tout en essayant d'oublier l'étrange phénomène qu'il venait de subir, Martin s'empressa de s'habiller et dévala les escaliers qui menaient à la cuisine. Tout en ayant, bien évidemment, pris, au préalable, le soin d'attendre que ses yeux revirent aux blancs. Là l'y attendait sa mère, son frère et sa sœur. Sa mère qui affichait un beau sourire, le regardait avec amour. Un amour qu'elle avait cultivé toutes ces années et qui avait atteint son apogée en cette période de fête. Sa grande sœur de 20 ans, elle, n'avait même pas daigné le regarder. Abordant comme à son habitude ce même air las qui ne témoignait d'aucune émotion, si ce ne fut l'ennui. Son frère de 17 ans, quant à lui, semblait plus intéressé par le gâteau d'anniversaire qui trônait sur la table et qu'il, lorgnait avec envie, que par l'événement en question. Mais tout cela avait peu d'importance pour Martin, tout ce qu'il voulait, lui, c'était avoir 18 ans. Sa mère lui avait dit qu'il était le né 15 janvier très exactement à 00h10. Et c'est cette heure, qu'il attendait avec impatience, qui le rendait frénétique. Il ne comprenait toujours pas pourquoi. Après quelques secondes embarrassantes durant lesquelles sa famille lui chanta joyeux anniversaire avec plus ou moins d'enthousiasme et plus ou moins de fausses notes, ils passèrent finalement à table. Son père n'était pas là, en raison de son travail de pasteur qui lui prenait beaucoup de temps. Et c'est donc uniquement accompagné de son frère de sa sœur et de sa mère qu'il profita de cette matinée, prémices d'une nouvelle ère.

Ils étaient en plein milieu du repas lorsque Martin sentit qu'une de ces étranges crises allait de nouveau secouer son corps et son esprit. Afin de ne pas inquiéter sa mère en cette journée de fête, il s'empressa de se lever de table prétextant une envie d'aller aux toilettes. Lorsqu'il se leva, tous le dévisagèrent d'une mine perplexe. Il avait dû faire un rictus de douleur, car sa mère lui demanda d'une voix où perçait l'inquiétude s'il allait bien. Il répondit que oui. Il s'efforça de sourire tout en feignant l'innocence malgré la douleur qu'il sentait s'accroître et se répartir dans tous son corps. Il était sur le point de tourner le dos à sa famille, quand sa mère lui attrapa la main dont il s'efforçait de canaliser les tremblements. Elle insista. Lorsqu'il lui fit face, il vit dans son regard plus que de l'inquiétude, de la fermeté. Elle savait qu'il lui dissimulait quelque chose, et la main, prise de spasme, qu'elle tenait encore, n'arrangeait rien. Elle avait dit : "Est-ce que tu vas bien ?" ce qui, à ce moment-là, fallait interpréter comme : "Dis moi tout de suite ce que tu as, si tu ne veux pas que je m'énerve."

Martin était en mauvaise posture, et désormais en une microseconde il devait trouver une excuse pour justifier sa main tremblante et son rictus. Sinon il aurait à subir un interrogatoire auquel le meilleur des inspecteurs aurait tout à envier. Alors il prit une grande inspiration, et se força à afficher un sourire rassurant. Cela en veillant à parler lentement afin de laisser, à son cerveau, le temps de trouver la suite logique de l'excuse qu'il s'apprêtait à sortir. Au final, il dit qu'il avait mangé trop vite, et qu'il ressentait de très légères douleurs. Pour sa main, il justifia cela par le fait qu'il était excité de joie. C'étaient les pires excuses qu'il n'avait jamais faites ! Elles étaient insuffisantes pour gagner la crédulité de sa mère, mais suffisantes pour qu'elle le laisse gagner les toilettes. Lorsqu'elle lui lâcha enfin la main, il fit tout son possible pour avoir une démarche normale. Il sentait le lourd regard de sa mère sur son dos. Une démarche ni trop rapide, sinon elle se douterait de quelque chose, ni trop lente, sinon elle se douterait de quelque chose ! S'ajoutait à ces difficultés, la dissimulation impérative de la souffrance qui malmenait son être.
Une fois, hors du champ de vision de sa mère, il se rua dans sa chambre.

Et c'est là que la douleur éclata...

À suivre...

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