83. Une Tequila au goût amer

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Rafaela

Je ne sais pas combien de temps je passe sans bouger après l’avoir observé sortir, mais mon cerveau est resté débranché pendant un moment avant de faire un reset. Il me fout vraiment la trouille, ce dingue. Je n’arrive pas à le cerner, tantôt plus ou moins lucide, tantôt totalement barré dans ses délires. Il m’entend, mais ne m’écoute qu’une fois sur dix. Flippant. Tellement dingue que je ne parviens pas à cerner le personnage et à réfléchir à comment éviter de passer à la casserole. Parce que s’il y a bien une chose dont j’ai conscience, c’est que je ne pourrai pas le repousser indéfiniment et qu’il va falloir que je passe à la casserole à un moment donné.

Et c’est ce qui me booste pour me bouger. Je file à la salle de bain et me rhabille. Je tremble, autant de trouille que de froid, je crois. Ce débile m’a laissée à poil tout l’après-midi… C’est définitif, les balades en tenue d’Eve vont s’arrêter pour moi si je sors de ce traquenard. Je vais apprécier les vêtements comme jamais. J’ai l’impression que son seul regard suffit à m’agresser, et je me sens particulièrement vulnérable en sa présence. Pas étonnant, vu que j’ai passé une bonne partie de l’après-midi attachée, à poil, ou occupée à devoir repousser ses avances qui n’ont absolument rien de subtil.

Je prends une minute pour me passer de l’eau froide sur les poignets en réfléchissant à comment me sortir de là. Je l’ai entendu fermer la porte à clé, ce qui veut dire que je ne vais pas pouvoir quitter la cabane aussi facilement que je le voudrais. Et il n’y a qu’une fenêtre, près de la porte, qui n’a pas de poignée. Autant dire que je suis enfermée, et bien. Je regagne donc la pièce en cherchant davantage une arme pour me défendre qu’une issue. Je crois que Franck a eu un bon moment de lucidité en préparant ce lieu, parce qu’il n’y a pas grand-chose que je pourrais utiliser pour l’attaquer et l’empêcher de me violer ou de me tuer. J’ai dû cuisiner avec des couteaux de cantine…

J’approche de la fenêtre en me disant que je pourrais la casser pour pouvoir m’échapper. Mais pour aller où ? La nuit est tombée, je ne connais pas les lieux… Et la route est loin. Où est-ce que je vais finir ? J’ai vraiment l’impression d’être dans un film d’horreur, là. Et dans les films d’horreur, quand les gens s’enfuient, ils sont rattrapés et il ne leur arrive jamais rien de bon. Pourtant, j’ai bien envie de tenter ma chance. J’ai l’habitude de faire du jogging, je pourrais sans doute courir un moment avant d’être épuisée, même si j’avoue que la fatigue m’est déjà bien tombée dessus. Le contrecoup, sans doute.

Il faut que je sorte de là, c’est ce que je me répète en boucle en me saisissant de la couverture qui est sur le petit canapé pour l’enrouler autour de mon poing. Je ne sais pas si ça fera moins de bruit que de casser le carreau avec une casserole, mais je ne sais pas où est ce fou et j’aimerais autant multiplier mes chances de ne pas finir violée et tuée, ou tuée et violée, qu’importe. Je n’ai aucune envie que cette cabane soit ma dernière demeure.

Je sursaute et fais un bond en arrière en regardant à nouveau à travers la fenêtre. Il est là, à quelques mètres de l’entrée, et je ne vois pas grand-chose d’autre que sa silhouette. Je me dépêche de passer la couverture sur mes épaules et récupère un verre pour le remplir au robinet. Je suis en train de le boire tranquillement lorsqu’il entre. Pourquoi est-ce que j’ai mis autant de temps à me bouger, moi ? J’aurais dû réagir dès qu’il est sorti, peut-être que je ne serais plus là. J’en viens à prier pour que quelqu’un soit en train de me chercher, qu’Ellen ait appelé les flics, Ben, Angel… Peu importe, même si j’imagine que les flics seront plus enclins à me chercher que mes anciens employés, virés comme des malpropres par une latina au caractère de merde, incapable de relativiser.

Franck referme la porte derrière lui et semble plus apaisé. J’ai bon espoir que toute l’excitation de la journée l’ait épuisé, mais vu son regard contrarié en me voyant habillée, j’ai un gros doute.

— La balade a été bonne ? lui demandé-je en lui servant un verre d’eau que je pose sur la table. Tu veux peut-être autre chose ? Je ne sais pas ce qu’il y a à boire ici, je n’ai pas regardé…

— Je ne me suis pas baladé, j’ai pensé à toi. Et là, ça suffit, il faut qu’on baise. Je ne t’ai pas fait venir ici pour ne pas en profiter ! Et puis, tu dois me remercier de t’avoir ainsi mise à l’abri !

Est-ce que je pourrais le raisonner ? J’ai un doute. Mais ça ne me coûte rien d’essayer, non ?

— Pourquoi tu dis que tu m’as mise à l’abri ? Je ne comprends pas tout… Et j’aimerais vraiment comprendre ce que tu me trouves, je n’ai rien d’exceptionnel, je suis sûre qu’il y a des centaines de femmes à L.A bien plus jolies et intéressantes que moi.

— Ah non ! Tu es la plus belle des femmes, ma Chérie ! Je t’aime toi et aucune autre ! Tu as un talent fou ! Depuis que je t’ai vue, je n’arrive pas à te sortir de ma tête… Et ne fais pas celle qui ne sait pas de quoi je t’ai sauvée. Je sais bien que ton ravisseur a essayé de te charmer, mais franchement, tu vaux mieux que ce que ce barbu pervers peut t’amener, non ?

Et par mieux, il entend une vie enfermée dans une cabane, attachée toute la journée et violée au quotidien ? Magnifique…

— Tu n’aurais pas un peu d’alcool, par hasard ? J’aime bien me prendre un verre, le soir… Tu dois le savoir, puisque tu me connais bien. Tequila ?

— Ah oui, j’ai pris une bouteille. Mais c’était pour fêter notre amour. Tu es prête à célébrer dès maintenant ?

Je grimace intérieurement et me lève pour fouiller dans les placards. Quand je trouve enfin la bouteille, je me retrouve à hésiter à la boire toute seule et rapidement pour avoir une chance d’oublier tout ce qui se passe depuis ce matin et tout ce qui va se produire dans un avenir bien plus proche que je ne le voudrais… ou à essayer de le saouler pour qu’il tombe comme une masse.

— Tu m’accompagnes ? Je te sers un verre ? J’ai vu que tu avais pris ce qu’il fallait pour le Sunrise. Je t’en fais un ? lui demandé-je en commençant déjà à préparer deux verres.

— Après, tu me laisseras t’embrasser ? m’interroge-t-il en s’asseyant en face de moi.

Je ne réponds pas et prends les verres pour les poser près du réfrigérateur. Je profite qu’il soit dans mon dos pour bien charger son verre, et noie l’alcool de jus d’orange avant de revenir m’installer face à lui pour verser lentement le sirop de grenadine.

— C’est quand, la première fois où tu m’as vue ? Et où ?

— Au cinéma. Dans ton premier film, celui où tu jouais la jeune femme qui tombe amoureuse d’un étudiant qui ne voulait que jouer avec toi. J’ai eu envie de le tuer, ce con. Te faire ça à toi qui étais si fragile…

— Eh bien, trinquons à ça, souris-je en glissant son verre devant lui et en levant le mien. J’ai bien aimé tourner ce film. C’était intéressant d’expérimenter ce que j’allais vivre par la suite, en fait. Les hommes jouent avec les femmes, c’est comme ça. Et inversement, parfois, d’ailleurs.

— Moi, je ne joue pas avec toi ! Je t’aime. Toi et moi, c’est pour la vie !

Je cogne mon verre contre le sien sans répondre et bois plus vite que d’ordinaire. Pas le temps de savourer, j’ai besoin d’anesthésier mes neurones. Lui déguste, et je me dis que je vais avoir du mal à arriver à mes fins… surtout qu’il repose rapidement son cocktail pour se lever et approcher de moi. En vérité, il ne fait qu’un ou deux pas, mais j’ai la sensation que l’air s’alourdit instantanément. Je ne veux pas coucher avec lui… J’ai envie de me remettre à pleurer, surtout qu’il a le regard prédateur.

— On n’a pas dîné, ce soir. Tu n’as pas faim ? Je peux faire réchauffer les restes, lui dis-je en me levant pour lui échapper.

— J’ai pas faim et j’en ai marre d’attendre. Je rêve de ce moment depuis tant de temps, m’indique-t-il en tendant ses bras vers moi. J’ai envie de toi.

Et moi absolument pas. Au mieux, j’ai envie de vomir. Pourquoi est-ce qu’il ne comprend pas ? Il est vraiment dingue, c’est pas possible.

— Je ne suis pas prête. Et je ne peux pas, de toute façon, je t’ai dit que j’avais mes règles, rabâché-je une fois de plus, comme si ça pouvait enfin le dissuader.

— Mais je ne peux plus attendre, moi ! Regarde comme je suis excité ! me dit-il en déboutonnant son pantalon.

Et moi, je suis un vrai fruit sec… qui tente de ne pas détourner le regard tandis qu’il se déshabille comme si c’était la chose la plus normale du monde de le faire devant une inconnue que tu comptes violer. En a-t-il seulement conscience ?

— C’est pour ça que la branlette existe, tu sais ? ne puis-je m’empêcher de lui rétorquer.

— J’en ai assez de la branlette. Tu es là avec moi, maintenant ! Plus besoin de branlette !

Mon cerveau semble avoir envie de dédramatiser la situation, puisque je me dis qu’il doit avoir abusé de cette pratique pour ne pas m’entendre quand je lui dis que je ne veux pas baiser.

— Je ne suis pas consentante, tu comprends, ça ? Je n’ai pas envie de sexe ! Comment est-ce que je dois te le dire pour que tu l’intègres ? m’agacé-je en reculant.

— Pas consentante ? Mais pourquoi ? me demande-t-il, visiblement vraiment blessé. Tu ne veux donc pas me remercier ? Tu vas me forcer à t’obliger ?

J’essaie de garder une attitude calme, mais c’est la panique dans ma tête. Je n’ai strictement aucune idée de comment me dépêtrer de cette situation de merde.

— Comment veux-tu que je t’aime si tu m’obliges à baiser ? Je t’ai dit que je n’avais aucune libido pendant ma semaine de règles, bon sang. Et tu me retiens prisonnière ! C’est comme ça que tu vois l’amour, toi ?

— Mais je bande. Il faut faire quelque chose ! Et puis, tu es prisonnière, oui. Ça veut dire que tu dois faire ce que je te demande. Et là, il faut me soulager. Si tu es gentille, on verra pour améliorer ton quotidien.

— Je n’ai pas envie d’être gentille, putain ! Tu m’as frappée, attachée, tu… Comment tu veux que j’aie envie de toi après ce que tu m’as fait ? lui demandé-je alors qu’il approche à nouveau.

— Je vais te laisser un peu de temps, mais il faut que tu arrêtes de crier et de t’énerver ou alors, je ne vais pas être du tout gentil. Suce-moi et je te laisse tranquille jusqu’à demain.

Il a l’air tout à fait lucide et calme alors que les larmes me montent aux yeux. Je ne vais pas pouvoir m’en sortir sans donner de ma personne, c’est juste affreux. Moi qui avais déjà la sensation d’être salie… Je ne me remettrai jamais de ce kidnapping, si j’en sors en vie. C’est juste un cauchemar sans nom. Qu’il rend bien réel en posant ses mains sur ma poitrine avant d’attraper le bas de mon pull pour me l’enlever à nouveau. Un regard de sa part me dissuade de me cacher… et un haut-le-cœur me prend quand il s’accroupit et pose sa bouche sur mon ventre tandis qu’il descend mon legging.

— D’accord, d’accord, lui dis-je précipitamment alors que son souffle se promène sur mon bas-ventre.

Il se redresse, le sourire aux lèvres, et ne se contente pas de me regarder. Ses mains se posent sur mes épaules pour m’inciter à m’agenouiller, mais je ne peux m’empêcher de résister un peu. Comment est-ce que je peux me laisser faire ? Pourquoi est-ce que je ne me rebelle pas davantage ? Réagis, Rafie, putain !

Son regard se fait plus sévère et je flanche, me retrouvant à genoux devant lui. Il m’observe et je ferme les yeux, me demandant comment je pourrai me regarder dans un miroir après ça. Je sens les larmes couler sur mes joues, et ça doit l’exciter, ce pervers, parce que sa main attrape la mienne et je me retrouve avec son barreau entre mes doigts. Il est dur comme la pierre et c’est bien la première fois qu’un pénis me rebute à ce point. J’en viens à prier tous les dieux pour que quelqu’un me sorte de cette merde. Et très, très vite, même si l’espoir m’a déjà plus ou moins quittée.

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