78. Sherlock s’allie à Hercule Poirot

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Angel

Je me tourne vers Morgan et lui fais comprendre par ce regard qu’elle a appris à connaître que l’affaire ne m’intéresse pas. Je connais ce genre d’hommes qui savent déjà la réponse à leurs interrogations et qui sont jaloux de leur épouse sans jamais se remettre en question. J’ai presqu’envie de lui dire que s’il veut que sa femme n’aille pas voir ailleurs, il devrait la respecter et ne pas la considérer comme un objet qu’il possède et sur lequel il a tous les droits. Vu comment il me paraît abject, je n’ai aucune envie de découvrir la réalité sur la tromperie de sa femme qui a dû tellement souffrir avec lui qu’elle mérite bien un peu de réconfort.

— Eh bien, Monsieur, nous vous recontacterons si nous pensons pouvoir vous aider, lui dit poliment mon associée alors que mon téléphone vibre dans ma poche.

Je salue le type engoncé dans son costume sombre et me dirige vers le couloir pour prendre l’appel. Je suis surpris quand je vois le nom de Rafaela apparaître sur mon écran. Aurait-elle changé d’avis et décidé de s’excuser ?

— Rafaela ? Tu vas bien ?

— Angel, bonjour… C’est Ellen, je suis désolée de te déranger, mais… je m’inquiète pour Rafie et j’ai besoin de toi.

Ellen ? Mais… Ah oui, elle m’appelle du fixe qui se trouve dans le salon. Il n’y a bien qu’elle pour utiliser ce téléphone. Mais pourquoi m’appeler, moi ? Je doute que Rafaela soit au courant et qu’elle ait validé cet appel à l’aide, vu comment elle m’a jeté. Ou alors, c’est un nouveau stratagème de la vieille dame pour me faire revenir et essayer de nous réconcilier ?

— Tu as besoin de moi ? Et Rafaela est d’accord pour que je vienne t’aider ? Si elle est en train de déprimer parce qu’elle m’a foutu à la porte, elle n’a qu’à s’en mordre les doigts.

— Non, ce n’est pas ça… Bien sûr qu’elle déprime, mais ce n’est pas la question. Elle était déjà partie ce matin, quand je suis arrivée. Et pourtant, j’étais là avant huit heures, tu sais ? Mais… elle est partie sans son téléphone, n’a pris aucune voiture. Y a un souci, Angel. Je suis sûre qu’il y a un problème.

— Un problème ? Juste parce qu’elle est partie faire un tour sans son téléphone ? Oh la pauvre… Elle ne va pas pouvoir poster un selfie sur Instagram ! énoncé-je alors que mon cerveau est déjà en train d’analyser ce qu’Ellen vient de me dire. Pourquoi tu m’appelles, moi ?

J’ai beau essayer de faire comme si ça ne me touchait pas, c’est clair que ce n’est pas normal. Rafaela est du genre à s’enfermer chez elle, pas à disparaître comme ça, sans prévenir personne.

— Bon, tu veux bien mettre ton orgueil de mâle blessé au placard deux minutes, s’il te plaît ? m’engueule-t-elle avant de soupirer. Tu sais bien qu’elle ne part pas sans laisser un mot et sans prendre son téléphone. Elle a dû partir courir, mais… Tu as vu l’heure ? Jamais elle ne serait sortie aussi longtemps. Tu veux que je pioche dans mes économies pour t’embaucher officiellement ? Avec un surplus pour le caractère urgent ? Je le fais sans souci. Je te dis qu’il y a un problème, alors bouge-moi tes fesses !

— Désolé, Ellen, je… je suis sûr que tu as raison, dis-je en m’excusant. C’est vrai que c’est inquiétant et ça ne lui ressemble pas. Tu as essayé d’appeler Quinn ? Ben n’était pas là pour la surveiller ?

Je me recule alors que notre potentiel client me bouscule un peu en sortant, toujours avec cet air hautain qui me révulse, et constate que Morgan me fait signe de mettre le haut parleur, ce que je fais sans hésiter.

— Pourquoi appeler Quinn ? Elle lui a gentiment dit qu’elle le virait. Et Ben… est en congés forcés, tout comme Jack. Elle nous fait la tête depuis qu’elle sait… Bref, elle n’est pas allée voir Quinn, c’est sûr.

Là, mon cerveau s’est déjà mis en marche. Je crains qu’il ne lui soit vraiment arrivé quelque chose et il faut agir vite.

— Il y a des caméras devant chez elle, il faut qu’on les regarde. Morgan, tu peux t’en charger ? Ellen, va voir les journalistes qui planquent toujours devant chez elle et demande leur s’ils ont vu quelque chose. Je le sens mal, là. Avec ce pervers qui rôde, tout est possible.

— Tiens donc, Sherlock se réveille… Mais si je vais voir les paparazzi, monsieur le détective, on a je ne sais combien d’articles sur le net d’ici deux heures disant que Rafie a disparu.

— Ouais, le Sherlock du cul se réveille, mais clairement, il n’a toujours pas compris que tout ce qui touche à la star peut devenir public en un quart de seconde. Appelle quand même Quinn. Si jamais il y avait une demande de rançon, il serait le premier informé. Et puis, préviens Ben aussi. On va avoir besoin de toutes les bonnes volontés discrètes si on veut réussir quelque chose. Dis leur de venir à mon bureau. Tu sais où il est ?

— Bien sûr que je le sais. Tu es peut-être Sherlock, mais moi je fais mes recherches quand on approche de Rafie. Très bien, on fait ça alors… Je dois venir aussi ? Qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Il faut qu’on la retrouve, Angel, et vite.

Je réfléchis un instant en me demandant ce que nous devons faire. Le plus sage serait d’appeler la police, mais si on fait ça, dans l’instant, tout le monde sera au courant. Et sans discrétion, autant dire adieu à Rafaela si elle a vraiment été enlevée. Et qu’est-ce qu’on va prendre si elle est juste allée faire un tour… Mais je le sens au fond de moi, c’est autre chose.

— Il y a d’autres courriers qui sont arrivés ? Des coups de téléphone ou autre chose ? Il nous faut des pistes. Je suis sûr que c’est cet enfoiré qui l’a enlevée.

— Non, rien de tout ça, que je sache. Mais… Rafie ne me parle plus depuis des jours, soupire-t-elle. Je vais aller voir dans son bureau et je te tiens au courant. Tu me dis si tu as des infos, hein ? Ne me laisse pas dans l’ignorance, s’il te plaît…

— Je te tiens au courant, bien sûr. Il faut que tu restes à la maison, par contre. Si elle revient ou si quelqu’un cherche à entrer en contact avec nous. A plus tard, Ellen.

— D’accord, soupire-t-elle. A plus tard. Et n’oublie pas de te bouger les fesses ! Je veux que Rafie rentre au plus vite.

J’ai à peine raccroché que je me précipite derrière Morgan qui a déjà lancé le logiciel espion que nous utilisons pour nous connecter sur les caméras de la ville. Les vidéos chargent lentement, comme si tout se liguait pour nous faire perdre du temps.

— Tu peux pas cliquer sur la caméra, là ? demandé-je en essayant de prendre la souris des mains de Morgan.

— Angel, grommelle-t-elle en repoussant ma main, je sais ce que je fais, OK ? Respire un coup et concentre-toi. L’amoureux transi doit laisser place au Sherlock du cul. Maintenant.

— Mais… commencé-je énervé avant de me stopper net.

Elle a raison, je ne suis pas en train de réfléchir, là, je suis juste en train de paniquer. Et ce n’est ni professionnel, ni le meilleur moyen d’arriver à savoir ce qu’il s’est passé. Il faut que je me calme et j’essaie d’appliquer ce qu’elle m’a dit de faire. Je prends de grandes respirations alors qu’elle clique sur les trois caméras qui se trouvent à proximité de la maison de Rafaela. On voit qu’elle a l’habitude du logiciel car elle fait rapidement apparaître sur le bas de l’écran les moments où il y a du mouvement et il n’y a plus qu’à cliquer pour voir apparaître les images à chaque fois que quelqu’un est passé à proximité des caméras. Je trouve le process atrocement long même si je ne peux pas nier qu’elle est efficace, Morgan. Bien plus que je ne le serai jamais sur ce genre de travail assez fastidieux qui m’énerve.

— Tu remontes le temps, c’est bien ça ?

— Oui, Partner. Et toi, tu glandes pendant ce temps-là…

— Tu veux que je fasse quoi ? Peut-être qu’on va la voir retrouver son nouvel amant et que l’affaire sera classée dans cinq minutes. Je ne vais quand même pas faire marcher mes petites cellules grises, comme dirait Hercule Poirot, pour si peu !

Et pourtant, elles fonctionnent. Je suis en train de réfléchir à ce que sera l’étape suivante et je suis déjà en train d’échaffauder plusieurs scénarios. Je n’ai peut-être pas joué au détective depuis quelque temps, mais j’ai gardé les bons réflexes, je pense.

— Tu ne devais pas au moins appeler Ben ? Tu veux que je le fasse, peut-être ? Tu sais très bien qu’il ne s’agit pas d’un amant, n’est-ce pas ? Je t’avais dit que ce dingue passerait à l’acte.

— Ben est déjà en route. Regarde, il m’a envoyé un SMS dès qu’Ellen l’a prévenu. Là, c’est vraiment à toi de jouer. Il faut qu’on trouve ce qu’il s’est passé, qu’on sache quoi chercher. Alors, vas-y, accélère. On s’en fout de ce chat qui semble courir après toutes les souris du quartier !

— Je ne peux pas aller plus vite que le logiciel, Angel. Et je te signale que si tu avais gardé ton asticot dans ton pantalon, vous auriez tous été là, chez elle, et je doute qu’elle serait partie courir sans Ben. Bon, je ne te fais pas de reproches, hein ? Mais quand même, vous avez merdé et tu me colles toute la pression sur le dos, là. Ah ! Ici ! Regarde, c’est elle !

Je ravale la répartie que j’avais sur le bout de la langue sur les reproches qu’elle était effectivement en train de me faire et me penche pour voir ce que la caméra a en effet clairement capté. La scène qui se déroule sous nos yeux est un peu floue. Bien entendu, comme à chaque fois qu’on fait une relecture vidéo, l’action se passe à la limite du champ de l’enregistreur et la pénombre n’arrange rien. On voit deux formes blanches qui me donnent d’abord l’impression de s'étreindre, de s’embrasser et immédiatement, je ressens comme une pointe au cœur, mais quand je vois la grosse masse blanche forcer la plus petite à monter dans un pick up, je sais que là, Rafaela est en mauvaise posture. Franchement, ça n’aurait pas pu être pire, comme situation. Je regarde l’heure de la caméra et fais un rapide calcul. Cela fait presque six heures que tout ça s’est passé. Avec tout ce temps, ils peuvent être maintenant n’importe où.

— Arrête l’image, là. Non, avant ! Retourne en arrière, imploré-je presque Morgan qui parvient, elle, à rester impassible et calme. Oui ! Voilà ! La plaque d’immatriculation de la voiture ! On tient une piste ! Trouve-moi de qui il s’agit, même si je doute que cette piste nous mène à quelque chose, je vais aller voir sur place si je peux trouver des indices. D’accord ? Et si tu penses à un truc pour faire avancer l’enquête, tu me le dis tout de suite !

— Tu penses trouver quoi sur place ? me demande-t-elle alors qu’elle est déjà en train de se connecter au site Internet.

— Des traces, de l’ADN. Le gars, c’est peut-être un fumeur, il y a peut-être des mégots. Ou alors, il a bu un coup et laissé la bouteille. Je vais faire mon détective, quoi. Tu sais que c’est toujours mon boulot ? Je file et on fait un point à mon retour. Je compte sur toi pour explorer de premières pistes, Morgan. Il faut qu’on la retrouve. Sinon… je ne me le pardonnerai jamais…

— Bien, Chef. A plus tard alors.

J’attrape mes clés et me précipite vers ma voiture. Je ne sais pas si je vais réussir à trouver quelque chose. Les chances ont l’air minimes, mais je ne peux pas rester à “glander” en regardant Morgan travailler, comme elle le dit si justement. Cela ne sera pas très utile mais il me faut explorer toutes les pistes. La femme que j’aime vaut bien ça.

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