43. Nouvelle scène à Vancouver

10 minutes de lecture

Rafaela

J’enfile ma casquette et mes lunettes de soleil et sors à la suite de Ben de l’avion. Welcome to Vancouver. Ce n’est évidemment pas la première fois que je viens ici puisque j’ai déjà tourné quelques films aux studios, mais j’ai aussi participé à une série au début de ma carrière. A l’époque, être reconnue ne m’inquiétait pas plus que ça, mais aujourd’hui, j’aimerais autant passer incognito. Trois heures de vol depuis L.A, c’est rapide, mais pour quelqu’un qui déteste l’avion, c’est éprouvant, et j’ai juste envie de rejoindre la maison qu’Angel nous a trouvée et de poser mes bagages, m’installer, me sentir un peu chez moi.

Je lui envoie un message pour lui dire que nous avons atterri alors que nous attendons nos bagages. Il est parti hier, après la séance de dédicaces, pour préparer notre arrivée ici. Logiquement, il a joué le rôle d’Ellen, fait les courses, récupéré la voiture de location, préparé la maison… S’il est un fin observateur, ou si Ellen l’a rencardé, tout devrait être prêt, et qui sait, il y aura même un joli bouquet de fleurs bien odorantes pour embaumer la pièce de vie et me rappeler un peu la maison.

— Angel nous attend devant l’aéroport, me surprend Ben à mes côtés.

— Oh, l’info est déjà passée… Vous vous entendez bien, tous les deux ? Je veux dire… RAS ?

— Non, il est cool. Et pro. Par contre, lui et vous, ça va mieux ? Toujours pas remis de votre folie parisienne ?

— Pas de commentaire à ce propos, soupiré-je en grimaçant. Folie, c’est le mot. Pour une fois que j’ai un assistant efficace, il faut que je fasse n’importe quoi, moi.

— Pour faire n’importe quoi, il faut être deux, répond-il simplement. Et il est toujours là, c’est que ce n’était pas si grave que ça.

— Sauf qu’il a failli démissionner, d’après Quinn, lui dis-je alors qu’il récupère mes valises sur le tapis. Alors, c’était quand même quelque chose, non ?

— Je ne suis pas là pour juger, mais vous devriez en reparler avec lui, pour passer à autre chose. A froid, ça permet souvent de pacifier les choses, me répond le sage garde du corps.

Il n’a pas tort… mais pourquoi remettre encore les pieds dans le plat alors qu’on a dit qu’on passait à autre chose ? Je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée.

Une fois sa propre valise récupérée, nous nous dirigeons vers la sortie et je baisse la tête, me planquant sous la visière de ma casquette en passant à proximité d’un groupe de jeunes femmes. Effectivement, Angel est debout à quelques mètres de l’entrée et nous fait signe de le suivre jusqu’à un beau SUV dans lequel les hommes chargent nos bagages. Tous deux rient de je ne sais quoi tandis que je m’installe à l’arrière du véhicule, et je souris en voyant Ben s’installer au volant tandis que mon assistant se met sur la banquette arrière avec moi. Vieilles habitudes, mais je préfère l’arrière, ça m’évite les photos de paparazzi, ou alors elles sont de mauvaise qualité, mal centrées et on ne voit pas grand-chose.

— Alors, cette maison ? demandé-je à Angel histoire d’entamer la conversation. Aussi jolie qu’en photos ?

— Mieux encore. Tu verras, la pièce avec le jacuzzi, une merveille ! Il y a des spots qui donnent l’ambiance colorée que tu veux !

Honnêtement, je ne sais pas si je vais beaucoup profiter du jacuzzi et de la piscine intérieure. Les journées de tournage peuvent être bien longues et il m’arrive de rentrer et de m’effondrer directement dans mon lit. Ou de m’enfermer dans ma chambre pour revoir mon texte du lendemain, d’angoisser toute seule dans mon coin pour une scène ou d’en faire profiter toute personne qui croise mon chemin entre l’entrée et le réfrigérateur. Si Angel me trouvait déjà Diva, il n’a encore rien vu.

— Super. Prêt à découvrir la vie auprès d’une actrice en plein tournage ?

— Je ne sais pas à quoi m’attendre, mais si tu es venue pour me crier dessus ou me faire des reproches, je ne sais pas si je ne vais pas aller emménager dans la cabane à outils, maugrée-t-il, visiblement refroidi par mon manque d’enthousiasme.

OK… Bonne ambiance, à ce que je vois. Je pensais pourtant qu’on avait suffisamment discuté pour que son amertume ne ressorte pas avant au moins quelques jours de plus, mais il semblerait que la solitude dans cette grande maison ait ravivé les choses plus vite que prévu. Magnifique.

— C’est un plaisir de te retrouver, en tout cas. Et je suis sincère, même si tu sembles t’être levé du pied gauche. Fais gaffe, je crois que je déteins sur toi.

— Je ne me suis pas levé du pied gauche, c’est juste que tu n’as pas l’air très enthousiaste à l’idée de passer du temps avec moi…

— Je n’ai rien dit de tel. Tu interprètes les choses, et mal, soupiré-je en glissant mes écouteurs dans mes oreilles.

On va éviter de se fâcher, surtout devant Ben. J’aimerais autant que ce début de séjour à Vancouver se passe bien. OK, mon garde du corps a peut-être raison, finalement, il va falloir qu’on discute. Encore. Et que je m’excuse. Encore. Qu’il ne compte pas sur moi pour le faire tous les trois jours. S’il pense que c’est facile pour moi, il se fourre le doigt dans l’œil, l’assistant canon. C’est n’importe quoi, tout ça.

Heureusement, je n’ai pas vraiment le temps de ruminer. Quelques musiques passent dans mes oreilles et Ben entre dans une petite cour. Je suis contente de finalement découvrir la maison de mes propres yeux. Elle ne semble pas bien grande, de l’extérieur, mais j’ai vraiment craqué pour l’intérieur sur les photos. Et il y a quatre chambres, même si ça va obliger Quinn a dormir dans une chambre d’enfants quand il viendra. Ça va être sympa, ça.

— Wow, j’adore. Elle est vraiment superbe, m’extasié-je à peine entrée.

La grande pièce de vie est chaleureuse, et la décoration à la fois moderne et, par petites touches, rustique, rend l’atmosphère hyper accueillante. Des touches de bleu foncé un peu partout, des meubles en bois naturel, un grand escalier en colimaçon en béton, j’ai déjà l’impression de me sentir chez moi. Et je ne suis même pas encore allée sur la terrasse que la cuisine dessert. Ça aussi, ça m’a plu. Salon de jardin abrité, transats, table pour manger, la cour n’est pas grande et peu verdoyante, mais il y a un coin tout fleuri qui me donne envie d’y passer mes après-midis.

Cette maison n’a qu’un point négatif pour moi : les salles de bain. Deux pour quatre chambres, et celle de ma chambre est partagée avec celle d’Angel, s’il a bien choisi celle que je pense. Mais bon, on fera avec, j’espère juste éviter d’être surprise sous la douche… même si j’adorerais revoir ce regard appréciateur de mon assistant sur mon corps. Bref, je divague.

— Bien trouvé, Angel, vraiment. Tu as eu le choix entre plusieurs ? Ou le contact de Quinn ne t’a dirigé que vers celle-ci ?

— Non, j’ai regardé plein de maisons, je voulais trouver celle où tu te sentirais bien. J’essaie de bien faire mon travail, tu vois ?

— Je n’ai jamais dit le contraire…

Il envoie tellement d’ondes négatives que je dépose la valise que je porte aux pieds des escaliers et sors sur la terrasse arrière pour m’installer et bosser sur le script. Franchement, son humeur de chien pourrait bien être contagieuse comme une épidémie de grippe. J’y passe d’ailleurs une bonne partie de l’après-midi, et finis par rentrer pour aller profiter de la piscine qui m’a fait de l’œil à travers les baies vitrées. L’arrivée est moins agréable que ce que j’espérais, c’est dommage.

Je monte au premier et me demande laquelle des six portes du couloir est celle que je dois prendre pour me retrouver dans ma chambre. La première tentative est un échec : je frappe, et entre puisque personne ne répond. Toilettes. Bien, ne me reste plus qu’une chance sur cinq de trouver ma chambre une chance sur cinq de tomber sur mon assistant bougon… Deuxième tentative, c’est Ben, et c’est sans doute ce qui pouvait m’arriver de mieux, puisqu’il m’indique la porte au fond du couloir, à droite. Je m’y dirige donc et entre, sans frapper puisque c’est ma chambre. Manque de chance, Ben est soit un menteur, soit une tête en l’air, puisque je tombe sur Angel en train de faire des abdos au pied du lit.

— Oh, pardon, je.. Ben m’a dit… J’ai dû mal comprendre, désolée, bafouillé-je bêtement en manquant de m’étaler alors que je recule.

— Tu as besoin de quelque chose ?

— Non, je pensais que c’était ma chambre, excuse-moi, grimacé-je en tentant de me reprendre. Ben m’a dit porte à droite, je crois, je… J’imagine que c’est la porte d’en face ?

— Ben ? Il l’a fait exprès, non ? Il m’a dit que je devais te parler, soupire mon bel assistant qui s’assoit à côté de son lit.
— Je vois. Donc il la joue entremetteur ? Ou… conseiller ? Parce qu’il m’a sorti la même chose… Je confirme donc qu’il l’a fait exprès, comme si nous n’étions pas deux adultes capables de prendre la décision de discuter.

— En même temps, avoue que tu ne serais pas venue me voir sinon ? Vu l’accueil que je t’ai réservé… Je suis désolé, ce n’était pas très professionnel.

— J’attendais que tu redescendes pour le faire, ou que tu te décides à me dire ce qui ne va pas, en fait. Tu n’as pas apprécié que je te demande de venir ici hier pour que la maison soit prête ? Ou… je ne sais pas, je suis perdue, là.

— Je pensais que je n’allais pas venir à Vancouver, avoue-t-il, décidé à jouer franc jeu, apparemment. Mais me voilà. Et ça ne va pas être facile.

— Tu pensais ne pas venir ici ? Mais… je croyais que tu avais abandonné l’idée de démissionner ? lui demandé-je en m’asseyant sur le fauteuil près de la porte vitrée.

— Peut-être pas totalement, mais maintenant, je suis là. Et donc, oui, j’ai abandonné l’idée, mais j’ai du mal à rester professionnel avec toi. Cela ne me ressemble pas.

OK, donc on est toujours sur le même problème. Bon sang, c’est vraiment la poisse. Je n’ai absolument pas la tête à régler ça, j’essaie moi-même de tourner la page après tout. Comment je peux y parvenir si lui me rappelle constamment comme c’est regrettable qu’on ne recommence pas ?

— Je suis désolée, Angel… Je ne sais pas quoi te dire d’autre, honnêtement.

— Ce n’est pas de ta faute… Enfin, si, un peu. Tu es juste merveilleuse, mais bon, je le savais en arrivant. Et il n’y a plus la carapace de la méchante femme pour te protéger. Ou plutôt pour me protéger.

— Donc, je dois redevenir une connasse pour arranger les choses ? Je… franchement, je déteste ce qui se trame entre nous, là. Je pensais qu’on était amis, je… Merde, on a trop merdé, Angel, soupiré-je avant de me reprendre en voyant sa tête. Enfin, c’est pas ce que je veux dire, si, mais pas vraiment. On a merdé pour le boulot, quoi. Pour le reste…

J’ai l’impression de m’embourber dans mes justifications, c’est vraiment la galère. Je suis totalement paumée et je ne sais absolument pas quoi lui dire pour arranger les choses.

— Oui, je sais, jamais je n’aurais dû me laisser aller… Je m’en veux parce que j’ai tout gâché…

— Je n’ai pas envie de regretter cette nuit, mais… une partie de moi commence vraiment à la regretter. Ça marchait bien, toi et moi, et j’avais réellement le sentiment qu’outre ton rôle d’assistant, on était devenus des amis… Honnêtement, tu es sans doute la première personne depuis longtemps qui me voit telle que je suis et… bref, ça me manque, cette complicité entre nous.

Je l’observe alors qu’il réfléchit à ce que je viens de lui dire avant de se relever et de s’approcher de moi. Il prend mes mains dans les siennes et me regarde.

— Moi aussi, ça me manque. Et je ne peux pas te promettre que du jour au lendemain, tout va redevenir comme avant, ça j’en suis incapable. Mais je te promets que je vais tout faire pour. Parce que franchement, pour une patronne, tu es plutôt cool, j’avoue.

— Eh bien… on va faire avec, alors. Pas trop le choix, de toute façon. Est-ce qu’on peut éviter les remarques désagréables, au moins ? Et oui, ne fais pas cette tête, c’est bien moi qui dis ça, souris-je.

— On fait une trêve de remarques, alors. Mais on ne va pas plus loin, hein ? Sinon, je pourrais commencer à croire que tu as un cœur sous cette carapace !

— Un cœur ? C’est quoi, ça ? Je crois que tu te fais des idées, l’assistant ! Tu devrais peut-être discuter avec mes anciennes assistantes, ris-je. Bref, je vais aller trouver ma chambre. Merci de m’avoir accueilli dans la tienne, et tu penseras à remercier Ben…

— Non, je vais aller l’engueuler. Maintenant, je n’ai plus l’excuse de bouder si tu me demandes un truc que je ne veux pas faire.

— Bonne idée. Et engueule-le pour moi au passage, parce que c’est un gros mytho. A plus tard, Angel.

Je sors de sa chambre et ouvre la porte d’en face pour tomber sur mon nid douillet. J’aime beaucoup la pièce dans des teintes jaunes et naturelles. Je trouve ça reposant, honnêtement, et je sens que je vais me plaire ici. A condition que le matelas soit bien ferme, sinon, je vais avoir le dos en compote. D’ailleurs, il faut que je demande à Angel de me trouver un ostéo dans le coin au besoin. surtout que vu le personnage que je vais incarner, je risque de passer mes journées en talons. En attendant, j’espère retrouver un peu de sérénité dans mon cadre privé après cette discussion avec Angel… même si j’ai peur que ça ne change pas grand-chose sur le long terme, au final. J’espère avoir tort, parce que j’étais sincère. J’avais vraiment la sensation de développer quelque chose de particulier avec lui. Et je ne parle pas de cette nuit de sexe, mais notre complicité et de notre entente. Bref, on verra bien. Toujours est-il que je vais éviter de proposer un petit tour à la piscine à Angel, ce serait légèrement abusé et provocant, j’avoue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0