38. Oublier un joli souvenir

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Rafaela

Je sursaute en entendant mon téléphone sonner et me dépêche de l’éteindre. Le soleil perce à peine à travers la fenêtre dont je n’ai absolument pas eu le temps de tirer les rideaux et la douceur du drap sur mon corps n’est rien comparé aux sensations qui m’assaillent à cet instant. Le corps d’Angel est littéralement enroulé autour du mien et les souvenirs de cette nuit qui fut courte sont un vrai délice. Je crois que je n’avais jamais autant joui en un laps de temps si restreint. Et j’ai la sensation de n’avoir jamais été aussi en phase avec un partenaire.

Rien ne s’est passé comme prévu, ces derniers jours. J’aurais aimé pouvoir empêcher ce rapprochement entre nous, mais c’est un peu comme si c’était inéluctable. Comment pourrait-il en être autrement alors que nous sommes ensemble quotidiennement, qu’il partage ma vie plus qu’il ne le devrait ? Voilà, entre autres choses, pourquoi je ne voulais pas d’homme à ce poste. Surtout pas un gentil, un beau garçon, un homme plutôt protecteur et qui ne me traite pas avec des pincettes comme on bichonne une star pour être dans ses petits papiers. Un homme attentif et présent quand on se sent faible ou seule, quand les murs qu’on a bâtis pour se protéger se fissurent.

Oh, soyons honnêtes, il est plutôt doué pour les fissurer lui-même, ces murs. Je ne sais pas pourquoi je me découvre autant avec lui, mais c’est une très mauvaise idée. Aussi agréable fut cette nuit, elle ne doit pas amener à davantage. Trop compliqué, tout ça. Angel n’est pas de ce monde, il le côtoie depuis quelques semaines seulement et n’a pas conscience de ce qu’impliquerait la découverte de notre relation. Et j’ai besoin de lui, en tant qu’assistant. C’est égoïste, mal placé, malheureux, mais je ne peux pas perdre un nouvel assistant maintenant. Pas juste avant un tournage, pas alors que, pour une fois, je pense que ça peut marcher. On a merdé, et ça ne doit pas se reproduire, c’est comme ça.

Je grimace en m’échappant délicatement de cette étreinte et file à la salle de bain. Il va falloir que je la joue fine, je risque de le perdre définitivement si je le contrarie. A moins qu’il n’ait envisagé qu’une simple nuit de sexe et que tout redevienne comme avant. Espérons qu’il soit dans ce mood, qu’il ait conscience des choses comme je peux moi-même les penser.

J’enfile mon peignoir après une rapide douche et retourne dans la chambre où mon bel amant est encore endormi. Autant dire que la nuit a été courte et sportive, pleine de surprises toutes plus agréables les unes que les autres, et je sens que le réveil sera moins sympa. Je m’habille rapidement et vais m’asseoir au bord du lit. L’envie de me lover contre lui est bien présente, mais je dois me raisonner, autant pour lui que pour moi.

— Angel, il faut se lever, on a un avion à prendre, dis-je doucement en caressant son dos.

Première erreur, non ? Contact physique alors qu’on doit stopper les choses… Mais comment résister à la tentation ?

— Bonjour jolie princesse, dit-il en s'étirant. Tu es déjà prête ? On a bien le temps de profiter encore un peu, non ? ajoute-t-il en déposant un bisou sur ma main.

— Non, on part dans trente minutes et je doute que tu aies fait ta valise. J’ai la mienne à boucler… et il serait bien que Ben ne se rende pas compte de ce qu’on vient de faire. Allez, debout, soupiré-je en me levant.

— Je peux être rapide aussi si les conditions l'imposent.

Il se lève à son tour et je ne peux que constater que son excitation n'est pas retombée lorsqu'il s'approche de moi, un sourire coquin aux lèvres. Satanée tentation…

— Angel… je ne sais pas comment te dire ça sans paraître ou une connasse, ou une nana un peu trop sûre d’elle, en fait… grimacé-je en reculant d’un pas. Cette nuit était géniale, mais il faut qu’on se cantonne à une nuit seulement et qu’on reprenne les choses comme avant, là. On ne peut pas aller plus loin que ça.

— Ah, je vois, répond-il après un court temps d'hésitation. J'ai comblé ton besoin de sexe en bon assistant et j'attends la prochaine fois que tu seras en manque ? Enfin, si tu n'en profites pas pour me virer une fois rentrés aux States.

Est-ce que ce n’était que ça ? Combler un besoin sexuel ? Non, bien sûr que non…

— Je n’ai aucune intention de te virer et il ne s’agit absolument pas de combler quoi que ce soit. Pourquoi y voir le mal, tout de suite ? C’est simplement qu’on ne doit pas mélanger boulot et plaisir, c’est tout. Pas plus compliqué que ça.

— Comme tu veux, c'est toi la patronne. On ne mélangera plus rien si c'est ce que tu veux. Je peux récupérer mon short ou tu veux le garder en souvenir de mes bons et loyaux services ? demande-t-il en montrant son vêtement sur lequel j'ai posé le pied.

Je soupire et le récupère avant de lui tendre, mal à l’aise. Rien ne sera jamais plus pareil, c’est certain. Comment va-t-on pouvoir bosser ensemble alors que chacun de nous a vénéré le corps de l’autre ? Que je peux revoir son visage et entendre son râle au moment où il jouit rien qu’en fermant les yeux ? Mais pourquoi est-ce que j’ai été incapable de me tenir ?

— On en rediscutera, si tu veux, mais là, on est vraiment pressés, marmonné-je en rassemblant mes affaires, autant pour m’éloigner de lui que pour ne pas être en retard.

— Pas besoin de discuter, tu sais. Je suis un grand garçon et je comprends quand je me fais jeter. J'ai pas dû être à la hauteur de tes autres amants, tant pis pour moi. Mais ne t'inquiète pas, pas besoin de me cajoler, je sais tenir ma langue et ce qu'il s'est passé cette nuit ne sortira pas de cette chambre. Ce qui se passe à Paris reste à Paris. Ta réputation ne risque rien avec moi. A tout de suite, je file me préparer.

Je n’ai pas le temps de lui répondre qu’il a déjà ouvert la porte et sort. Je ne suis même pas sûre qu’il remarque Ben, assis dans l’un des fauteuils du salon, mais le secret est déjà éventré, et moi je reste immobile, comme une conne, à essayer de comprendre pourquoi ce genre de moments finit toujours aussi mal. J’ai pourtant l’impression d’avoir fait les choses correctement, non ?

Je referme finalement la porte et me bouge pour m’habiller et boucler ma valise. Les coussins et le dessus de lit au sol sont un nouveau rappel de cette folle nuit de sexe, et je me demande bien comment je vais pouvoir bosser de manière professionnelle avec Angel alors que tout ce dont j’ai envie, c’est de me retrouver à nouveau nue sous les draps avec lui.

La réponse arrive d’elle-même lorsque nous nous retrouvons tous les trois dans le taxi en direction de l’aéroport. L’ambiance est glaciale et même Ben n’ose pas ouvrir la bouche. Angel ne me regarde pas, garde le nez sur son téléphone, observe le paysage... Ça promet pour le boulot et je commence à me demander si finalement, à défaut de le virer comme il a pu le penser, et le pense peut-être encore, ce n’est pas lui qui va démissionner.

Même topo à l’aéroport, Angel s’assied à côté de Ben, récupère un bouquin dans son sac et n’en sort que quand notre vol est appelé. Je pourrais abuser de mon statut et lui demander d’aller me chercher un café, histoire d’avoir droit à un éventuel regard tueur ou autre, mais je préfère m’extraire de cette tension en allant me l’acheter moi-même, suivie par Ben qui semble surpris de me voir faire la queue. Ouais, je sens que le vol retour va être bien long si nous ne nous adressons pas un mot, tous les trois.

Quand je constate que nos sièges sont côte à côte en première classe, je me dis que les quasi douze heures de vol jusqu’à L.A vont peut-être me permettre de rattraper un minimum les choses, mais il a déjà enfilé ses écouteurs lorsque je me tourne dans sa direction. Je souris en le voyant étendre ses jambes, l’air satisfait, avant de relever sa tablette et d’y étaler son bazar. Oui, on s’y fait vite à la première classe.

Entre le manque de sommeil et l’ambiance bien pourrie, je sens mon humeur s’assombrir alors que nous prenons de l’altitude. Je sors le scénario que je venais tout juste de commencer à lire quand Angel a frappé à ma porte hier soir et poursuis ma lecture sans parvenir à me concentrer.

Je finis par me pencher sur l’épais rebord entre nos sièges et tire sur le fil de son écouteur pour avoir son attention.

— Angel, tout est prêt pour Vancouver ? J’ai vu les photos de la maison, au fait, j’adore. Tu as prévu la location de la voiture ?

— Tout est prévu, oui. Même la voiture, avec clim et toute la connectique qui va bien. J’essaie toujours de faire le maximum dans mon boulot d’assistant, même si tu ne sembles pas toujours en être convaincue. D’autres doutes ?

— Tu comptes me faire la tête longtemps comme ça ? Parce que ça va vite me gonfler, monsieur l’assistant parfait.

— Excuse-moi, j’ai besoin d’un peu de temps pour digérer ton attitude de ce matin, c’est tout. Je dois être une petite nature, mais je ne suis pas une machine. J’ai aussi des sentiments. Et donc, entre nous, ça reste professionnel, eh bien, je le suis, je réponds à tes questions, c’est déjà bien, non ?

— Mon attitude de ce matin ? Tu plaisantes ? Je t’ai expliqué les choses calmement, je ne t’ai pas viré comme un malpropre de mon lit, non plus. Je confirme que tu es une petite nature, je ne crois pas qu’on se soit promis quoi que ce soit et je pense que tu en as profité autant que moi. Je ne t’ai obligé à rien non plus.

— Oui, désolé, ce n’est pas un reproche contre toi, soupire-t-il. Je suis juste… déçu ? Mais je n’ai pas le droit de l’être, alors je me protège et puis c’est tout.

Déçu ? Donc il envisageait vraiment plus qu’une nuit avec moi et ce n’est pas simplement son ego de mâle qui est blessé ?

— Eh bien je suis désolée de t’avoir déçu… Ce n’était pas mon intention, mais on a agi sans réfléchir et… c’est compliqué, tout ça.

— Oui, tu as sûrement raison, mais je n’ai pas l’habitude de faire ça et de passer à autre chose comme si de rien n’était. Bref, j’ai besoin de temps. Et tu as sûrement raison sur le fond, même si je ne le vois pas encore. Pour tout ce que ça vaut, moi, j’ai passé une nuit que jamais je n’oublierai.

En espérant qu’il ne finisse pas par vendre l’info pour se faire du fric… Je grimace à cette pensée mais récupère mon ordinateur portable pour taper le nom de Daniel sur le net avant de le déposer sur la tablette de mon amant de la nuit.

— Ça, c’est être en couple avec moi, Angel. Des fouineurs qui font des recherches sur qui tu es, sur tes proches, tes amis. Être avec moi, c’est être suivi par les paparazzi au même titre que moi. C’est une pression constante ou presque. Tu veux vraiment voir ta vie étalée sur ces sites de merde ? Ne plus pouvoir aller prendre un café avec tes potes sans être ennuyé ? Dan l’a vécu, il a fini par se barrer parce qu’il ne supportait pas.

— Dan, tu ne l’as pas jeté après une nuit, je crois. Mais si ça peut te rassurer, je n’ai pris aucune photo, moi.

— Non, j’étais raide dingue de Daniel, et il m’a lâchée avant de me trahir. Mais ça ne change rien à ça, à tous ces trucs qui sont sortis quand on était ensemble, lui et moi. Et puis, comment est-ce qu’on pourrait bosser ensemble ? Je suis ta patronne, comme tu aimes tant me le rappeler. Tu vas accepter tous mes caprices, mes coups de gueule, avec professionnalisme sans que ça n’ait d’impact sur le reste ? Permets-moi d’en douter…

— Je t’ai dit que tu avais sûrement raison, Rafaela. Et on va vite oublier la nuit. Enfin non, pas l’oublier, c’est impossible, mais la ranger avec les jolis souvenirs et passer à autre chose.

J’acquiesce en récupérant mon ordinateur avant de me réinstaller à ma place. En regardant mon écran, je me demande si c’est davantage lui ou moi que je tente de convaincre. Nous sommes au moins d’accord sur le qualificatif à associer à cette nuit ensemble, pour le reste, il faut que lui et moi restions professionnels. Je prendrais trop de risques à poursuivre cette petite aventure, personnellement et professionnellement parlant. Et lui risquerait de regretter cette mise en avant non voulue. Oui, c’est vraiment la meilleure solution. On range cette nuit dans la boîte aux superbes souvenirs et on reprend la bonne route pour avancer dans la même direction, celle pour laquelle il a justement atterri dans ma vie.

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