25. Au naturel en famille

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Angel

— Elle est formidable, notre petite, vous ne trouvez pas, Angel ?

— Oui, c’est sûr, mais vous devriez lui dire en face plutôt que d’attendre qu’elle soit partie aux toilettes pour le reconnaître.

— Notre avis l’intéresse peu, tant que la critique est bonne…

— Je crois que vous vous trompez là-dessus, Madame.

Je n’ai pas le temps de continuer car l’intéressée revient parmi nous à ce moment-là. Elle a l’air contente de la façon dont s’est déroulée l’interview et je suis fier de moi car j’ai pleinement joué mon rôle d’assistant en indiquant à Jerry avant le début du show les questions que Rafaela souhaitait voir poser. Pas mal pour un détective ! Je crois qu’après cette mission, je vais pouvoir élargir un peu mon éventail d’outils et ajouter à ma panoplie la dimension d’acteur. Ou peut-être que je devrais juste abandonner la partie enquête pour me consacrer à ce nouveau métier qui a l’air de me réussir. Nous montons tous ensemble dans la voiture et Rafaela enlève immédiatement ses chaussures à talons en soupirant d’aise.

— Alors, comment je m’en suis sortie, Angel ? Et honnêtement… Promis, je ne te virerai pas si tu me dis que j’ai été bidon.

— Honnêtement ? Je trouve que certaines de tes blagues étaient un peu nulles, mais que dans l’ensemble, tu as été super ! Si tu fais ça à chaque fois, tes fans vont se rendre compte que tu es aussi intelligente que tu es belle.

— C’est vrai ? J’ai fait des blagues nulles ? pouffe-t-elle en sortant son téléphone. Je suis en rodage, il faudra que tu me donnes des cours, alors.

— Parce que tu crois que je suis un expert en clowneries ? Merci du compliment !

— Un expert, je ne sais pas, mais tu es au-dessus, c’est sûr.

— Oh, mais qu’est-il arrivé à notre fille ? Voilà qu’elle fait des compliments à son assistant maintenant ! C’est incroyable ! Comme quoi, les miracles arrivent à tout âge !

Je constate que ma patronne grimace alors que sa mère finit de la critiquer à nouveau. C’est fou ce que cette relation est malsaine, mais je suis soulagé de voir qu’elle retrouve vite le sourire en nous montrant une photo de ses nièces sur son téléphone.

— Les petites guerrières ont investi les lieux, regardez ça, rit-elle. J’espère qu’elles ne vont pas trop fatiguer Ellen, la dernière fois qu’on a fait un gâteau toutes les trois, ça a fini en bataille de farine.

— Ah oui, elles sont terriblement mignonnes, nos petites filles, répond son père tout sourire. J’ai hâte de les retrouver.

— Et surtout drôlement intelligentes. Chose à ne pas oublier, parce que la beauté, ça se fait la malle avec l’âge, vous savez ? Peut-être qu’on pourrait leur coller autre chose dans la tête que le fait qu’elles sont mignonnes…

— A leur âge, on peut encore dire qu’elles sont mignonnes, grommelle son père. Elles ont tout le temps de prouver leur intelligence.

Heureusement que nous arrivons car je sens bien venir une nouvelle dispute et ce n’est pas le moment. Le véhicule s’est à peine arrêté que Rafaela ouvre la portière et se précipite à l’intérieur. Je prends le temps de remercier Ben et vais rejoindre la petite famille en me demandant quelle est ma place en tant qu’assistant. Je suis censé prendre part aux réjouissances ou bien, je les laisse en profiter entre eux ? C’est quoi l’étiquette pour ce genre d’événements ?

Quand j’entre, je vois que Rafaela est allongée dans le canapé avec ses deux nièces qui lui sautent dessus sans ménagement. Elle rit comme jamais je ne l’ai vue rire. Elle est vraiment aux anges avec les membres de sa famille.

— Mais qui est ce beau barbu qui vient de nous rejoindre ? m’interroge une femme qui ressemble énormément à Rafaela, en blonde même si je ne suis pas sûr que ce soit sa couleur naturelle.

— Angel, mon assistant. Angel, je te présente ma petite sœur rebelle, Bella.

— Ravi de vous rencontrer. Votre sœur m’a beaucoup parlé de vous. C’est bien que toute la famille soit réunie.

— En bien, j’espère, Rafie, rit-elle. Et moi aussi, j’ai beaucoup entendu parler de toi. On se tutoie, hein, même si je ne sais pas si tu la supporteras plus de quelques semaines, tu fais un peu partie de la famille, le temps que tu es là.

— Oh, je ne vais pas vous embêter pendant que vous êtes là. Je ne veux pas m’imposer. Enfin, sauf si Rafaela souhaite que je reste parmi vous.

— Tu devrais rester, Rafie n’est jamais aussi agréable que lorsqu’elle est avec mes gosses. Au moins, tu as affaire à la vraie Rafaela pendant quarante-huit heures.

— Commence pas, Bella, sinon tu risques de te retrouver face au Dragon, toi, rit ma patronne en se levant. Si tu veux prendre ton weekend, pas de souci, mais si tu n’as rien de prévu, il y a une journée d’anniversaire, demain, et… deux jours de bonne humeur, normalement. Avec le Roi Lion au programme dans la salle ciné, piscine, jeux vidéos, et tout ce que ces mignonnettes intelligentes voudront faire.

— Tatie, on peut commencer par la peinture ? demande l’une des jumelles. Angel, tu sais dessiner ? Tu peux venir nous aider ?

— Tu n’es pas obligé, Angel, m’indique leur mère en posant sa main sur mon bras. Tu sais, si tu les écoutes, tu n’auras pas une seconde à toi pendant tout le weekend. N’est-ce pas Tess ?

La jeune fille qui m’a demandé de l’aider à dessiner sourit et, malgré ce qu’a dit sa mère, tend néanmoins la main vers moi.

— Cela ne me dérange pas, je n’ai rien de prévu ce weekend, de toute façon.

— Déjà adopté par les Lovehart, cher assistant, me lance ma patronne. C’est parti pour la peinture. J’espère que tu n’as pas peur des taches !

— Moi non, mais ça risque de tout salir chez toi, ça. Prête pour le cataclysme ?

— C’est le seul cataclysme que j’accepte ici. Et figure-toi que c’est même moi qui nettoie, tu te rends compte ?

— Incroyable, dis-je en souriant. Mais je sais que tu dis ça parce que tu as ton assistant préféré à tes côtés ! En route pour devenir le nouveau couple de peintres à la mode après Diego Rivera et Frida Kahlo !

— Je sais pas qui c’est, rit Tess, mais si t’es le nouvel amoureux de Tata, t’es plus cool que Tyler !

— Ah non, Tyler est toujours son boyfriend officiel, expliqué-je alors que les jumelles font une grimace avec une belle unité.

— Allez, ça suffit les filles, laissez Angel tranquille, intervient Rafaela. Sinon, je vous fais la même barbe que lui, mais avec de la peinture, et vous ferez moins les malignes.

— C’est pas notre faute, il est nul, Tyler.

— Elles n’ont pas vraiment tort, rit Bella. Mais bon, tu fais ce que tu veux de ta vie.

— Exact, et j’aimerais autant qu’on ne parle pas de Tyler du weekend. Il n’est pas là et on va profiter en famille.

Et c’est comme ça que je me retrouve dans le bureau de ma patronne, une fille sur mes genoux pendant que l’autre est assise à côté de Rafaela qui discute avec sa sœur, comme si je n’étais pas là. J’en profite pour l’observer discrètement. C’est comme si toutes les barrières qu’elle s’impose habituellement étaient tombées. En famille, plus de faux-semblant, plus de mensonges ou d’image à donner. Juste la vraie Rafaela qui profite d’être elle-même.

— Tu es sûre que tu veux continuer ta carrière d’artiste ? finis-je par demander lors d’un des rares moments où les enfants arrêtent de babiller. Tu as l’air ravie de pouvoir juste être avec les enfants. Je ne t’avais encore jamais vue aussi rayonnante.

— J’adore mon boulot, tu sais ? C’est tout ce qu’il y a autour qui me plaît moins. Jouer la comédie, c’est tout ce que j’ai toujours connu. Et j’entends par là, tourner un film, pas faire semblant d’adorer mon parfum en me baladant à moitié nue sur une plage. Qu’est-ce que je ferais si j’arrêtais ça ?

— Tu pourrais faire nounou et venir vivre à la maison, s’exclame Bella. Tout le monde adorerait ça, surtout Terence !

— Terence ?

— Oui, c’est mon mari. Il a un petit faible pour Rafie, comme tous les hommes, je crois. Elle a pris tous les bons gènes à la naissance, la méchante !

— Tu racontes n’importe quoi, soupire ma patronne. Tu es superbe, et la plus équilibrée de nous deux, petite sœur. Sauf quand tu parles de jouer la nounou. Ça… impossible. Je vous adore tous, mais je n’aurai pas la patience, sur le long terme.

Rafaela vient alors se pencher au-dessus de moi pour regarder le dessin que je suis en train de faire avec la petite Taylor. C’est fou comme je suis déconcentré par sa présence si proche, sa main qui se pose sur mon épaule, son parfum fruité qui arrive jusqu’à moi. Heureusement, elle ne se rend pas compte de mon trouble et ne remarque pas que c’est elle que j’observe, son profil bien dessiné qui se trouve à quelques centimètres de mes lèvres. Elle a pris un crayon de couleurs et colorie le petit chat que j’ai dessiné à côté du portrait d’une jeune fille réalisée par sa nièce. Je suis comme dans un rêve et ne résiste pas à la tentation de déposer un petit baiser sur les doigts qu’elle a laissés sur mon épaule.

— Tu me parais plutôt doué pour le dessin, me dit-elle après m’avoir observé quelques secondes, apparemment troublée par mon geste.

— Oui, il dessine trop bien ! Maman, je veux un chat comme ça pour mon anniversaire ! Et Tess en veut un aussi ! crie-t-elle à l’intention de sa mère.

Cette intervention a au moins le mérite de nous faire revenir au présent, de briser la petite bulle où j’ai oublié un instant que j’étais un simple assistant et que Rafaela était ma patronne. J’ai agi sur une simple impulsion, il n’y a rien eu ou presque. Juste le frôlement de mes lèvres sur ses doigts, mais c’est un peu comme si j’avais ouvert la boîte de Pandore. En oubliant un instant nos positions respectives, avec une Rafaela si naturelle et si éloignée de l’image qu’elle donne habituellement, je me suis laissé aller à un geste que je ne pensais même pas avoir envie de faire. C’est étrange car je ne pensais pas être attiré par ma patronne, mais peut-être que je le suis un peu ?

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