21. Boudiner ou sublimer

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Rafaela

Je sors de la baignoire et m’étire comme un chat avec douceur. Je suis revenue de ma séance chez l’ostéopathe un peu courbaturée, mais un corps qui travaille promet des résultats, alors je souffre en silence et j’attends la délivrance. Je me glisse dans mon peignoir et file dans mon dressing pour en sortir les robes qu’Angel m’a ramenées du magasin il y a deux jours. Elles sont toutes vraiment magnifiques et je me demande comment je vais pouvoir faire mon choix. Cette levée de fonds est importante et j’ai trouvé des robes à la fois sobres et classes, mais je n’arrive pas à me décider. Et ce n’est certainement pas de penser à mon assistant et à ses mains sur ma peau qui va m’aider à me concentrer et à prendre une décision. Clairement pas. Quelle idée j’ai eue là ? A quel moment est-ce que j’ai pu imaginer que lui demander de me mettre de la crème serait intelligent ? Il y a bien trop longtemps que je n’ai pas partagé une nuit, ou un moment, avec Tyler, pour que les mains d’un homme sur mon corps ne me fassent aucun effet…

Je sors de ma chambre et me dirige vers la balustrade pour appeler mon couteau suisse. Ellen est toujours de bons conseils et elle saura me dire si le rouge n’est pas trop voyant, si la bleue nuit n’est pas trop sombre et la corail pas trop moulante. Peut-être que cette dernière sera d’ailleurs la lauréate de la soirée, celle à ne pas mettre car trop osée. Il y a des chances et c’est dommage, parce que je l’adore.

— J’arrive, Rafaela, donne-moi une minute !

Je me retourne pour regagner ma chambre quand je vois la porte de celle d’Angel s’ouvrir. Si j’aurais pu remercier le ciel qu’il ne soit pas uniquement vêtu de son boxer, je resserre les pans de mon peignoir en le maudissant d’oser sortir en serviette de bain, les cheveux ébouriffés et mouillés.

— Dites, vous comptez tenter toutes les tenues dignes d’un porno ou quoi ? marmonné-je.

— J'ai entendu crier, je me suis inquiété. Tout va bien ?

— Non… rouge, corail ou bleu nuit pour une soirée caritative, à votre avis ?

— Il faudrait voir pour pouvoir choisir… Là, comme ça, je pense que les trois vous iraient bien.

— Vous ne m’êtes pas d’une grande aide… Quand vous aurez enfilé une tenue décente, venez me voir dans ma chambre.

Je grimace en m’entendant parler et lève les mains en l’air comme si je voulais me dédouaner de mes propres mots. N’importe quoi.

— En tout bien, tout honneur, bien sûr, ajouté-je précipitamment.

— J'arrive, Patronne. L'opération "Robe de soirée" va pouvoir commencer !

Je retourne dans ma chambre et me penche une fois de plus sur mon lit pour regarder ces trois beautés. Vraiment, je les adore toutes et, en grande amatrice de shopping, il ne pourrait en être autrement.

— Alors, laquelle te branche le moins ? me demande Ellen en se postant à côté de moi.

— Je crois que la rouge est trop voyante, trop… longue, elle fait trop tout, en fait.

— Elle est jolie, quand même.

— Oui, mais pas pour une soirée caritative…

— Tu as raison, sourit-elle en récupérant le cintre pour aller la ranger dans mon dressing. Et de une !

— Je peux te donner un coup de main, ma chérie ?

Je grimace en entendant ma mère entrer comme si elle était chez elle.

— Ellen, pourquoi tu ranges celle-ci ? Elle est vraiment superbe ! Mets-là, Rafie, fais-moi voir comme tu es belle !

— Je n’ai pas le temps de jouer la Mini-Miss, Maman. Cette époque est révolue. Entrez ! crié-je en direction de la porte avant de voir Angel entrer à son tour dans ma chambre.

— C’est bien dommage, soupire ma mère. C’était une bien belle époque.

Ça dépend pour qui. Pour moi, c’était bien plus difficile à vivre qu’elle ne l’a jamais réalisé, j’imagine. Entre les weekends de défilés et les castings en pleine semaine, difficile pour moi d’être totalement investie dans ma scolarité. J’arrivais le lundi totalement crevée, et je manquais des cours qui m’étaient agréables. Si l’on ajoute à ça le théâtre dans deux cours différents, mes semaines étaient bien chargées même lorsque je n’étais qu’une enfant. Heureusement que j’aimais jouer la comédie, sans quoi j’aurais frisé le burn-out avant même d’avoir dix ans.

— Rien ne sert de vivre dans le passé, tu sais ? C’était il y a une éternité, tout ça. Bon, Ellen, la robe corail ou la bleue nuit ?

— Moi je vote pour la rouge, Rafie, poursuit ma mère.

— On a dit non pour la rouge. Trop voyante pour une soirée caritative.

— Mais c’est la plus b…

— Non ! la coupé-je, déjà agacée. Non, c’est non. Pas la rouge, point final !

— Essaie-les, Rafaela, qu’on voie ce que ça donne sur toi.

J’attrape la longue robe corail et file dans la salle de bain pour l’enfiler. Elle est vraiment sublime, longue et fendue sur le devant. Les bretelles épaisses sont imprégnées de paillettes et le décolleté en cache-cœur met indéniablement ma poitrine en valeur. Si la taille est marquée, la jupe est ample et volante, dans le style que j’adore, léger à porter et joli à regarder.

Ma mère applaudit en me voyant sortir et je lève les yeux au ciel. Mon regard alterne entre Angel et Ellen qui restent silencieux.

— Alors ?

— Eh bien, quelle élégance ! Pas sûr que vous ayez besoin d’essayer la bleue ! Celle-ci est magnifique, énonce Angel lentement, sans pouvoir détourner le regard.

— La couleur n’est pas trop voyante ? J’ai l’impression d’être un bonbon… dans le genre qui trône au beau milieu d’une table alors que les gosses n’ont pas le droit d’y toucher.

— Tu es un très joli bonbon, sourit Ellen. N’est-ce pas, Angel ?

— Je confirme, à croquer ! ose-t-il ajouter.

— N’importe quoi ! s’emporte ma mère. Vous avez vu comme ça la boudine ? Tu le sais que tu as une imposante carrure, tu ferais mieux de mettre un vêtement qui dissimule un peu mieux tous ces kilos en trop, quand même ! Essaye au moins la bleue qu’on voie si ça te convient mieux !

Je grince des dents mais ne moufte pas et retourne m’enfermer dans la salle de bain. J’entends ma mère bougonner qu’elle ne comprend même pas pourquoi je vais me planquer ici puisque la Terre entière a dû voir les photos de moi nue, ou, au pire, mon corps dans cette romance olé olé que j’ai tournée il y a quelques années. Toujours aussi agréable, ma Maman…

Je sors sans lui adresser un regard et tourne sur moi-même. Ce serait me répéter que de dire combien je trouve cette robe sombre sublime… mais elle l’est, elle aussi. Une jupe asymétrique qui m’arrive aux chevilles derrière et au-dessus du genou à l’avant, un décolleté en V maintenu par des bretelles, tout le bustier est en dentelle et a été ajusté à ma taille. Elle me va comme un gant et je sens que je vais vriller si ma mère ose une nouvelle critique sur mon poids.

— Verdict ? demandé-je en tournant le dos à celle qui m’a mise au monde pour faire face à mes employés.

— Aussi jolie que l’autre ! Difficile de choisir entre deux robes qui te mettent autant en valeur, quoi que certaines puissent en dire, répond Ellen en jetant un regard noir à ma mère.

— Je confirme, ajoute Angel. Vous êtes aussi magnifique dans cette robe que vous êtes sublime dans l’autre.

— Je vous remercie, tous les deux… Et donc, vu le contexte, laquelle collerait plus selon vous ?

Je me poste devant mon grand miroir et m’observe en me disant que peu importe laquelle ils choisiront, je crois que je mettrai celle-ci. Mais je me demande si je ne choisis pas ça parce que ma mère n’a pas apprécié la première… Je ne sais plus ce que je veux et elle me fait toujours cet effet-là.

— La bleue te boudine moins, marmonne ma mère.

— Moi, je trouve que la première rehausse plus la couleur de votre teint, Patronne. Et les courbes qu’elle dévoile sont presque irrésistibles. Mais je ne voudrais pas fâcher votre mère en disant que vous êtes ravissante dans les deux.

Finalement, j’hésite… La jouer provocation avec ma mère au passage ne serait pas désagréable. Et Angel apprécie la robe corail… Pourquoi ai-je envie de lui plaire, au juste ?

— Garde donc la bleue, me conseille Ellen. Ta mère sera contente et tu es juste belle, quelle que soit la robe.

— Ma mère n’a plus voix au chapitre en ce qui concerne mes tenues depuis qu’on a arrêté ces foutus concours ou presque. Si j’ai envie de paraître boudinée, c’est mon choix. Et pour avoir l’impression d’être boudinée, il faudrait que je me sente mal dans ma peau, ce qui n’est pas le cas. Merci pour vos avis. Angel, rassurez-moi, ce n’est pas votre tenue pour ce soir, ça ?

Son pantalon foncé a beau être plutôt bien ajusté, le tee-shirt et les baskets, c’est un peu moyen, quand même.

— Parce qu’il faut que je m’habille ? Je ne vais pas rester avec les assistants dans une petite pièce sur le côté ?

— Moi, je vous laisse, vu que mon avis ne t’intéresse pas et que tu préfères écouter une femme de ménage et un mec qui n’a jamais fait d’études, lance ma mère en sortant.

— Eh bien, vous voyez de qui je tiens mon caractère de cochon… Salle à côté ou pas, vous allez sortir et possiblement être photographié avec moi, Angel. Enfin… il y aura sans aucun doute des clichés de vous aussi. Et puis, de toute façon, il n’y a pas de pièce pour les assistants, vous n’êtes pas des animaux qu’on met au piquet en attendant de vous sortir non plus. Donc, une tenue plus classe, oui ou non ?

— Je ne sais pas trop… Je crois que vous avez vu toutes mes tenues… Il faut quoi ? Que je mette une chemise et une cravate ?

— Mais oui, Angel, il faut avoir l’air classe pour faire honneur à une si jolie cheffe ! s’exclame Ellen. Tu as encore besoin de moi pour choisir ou c’est bon, ma Puce ?

— C’est bon, merci, Ellen, souris-je. Angel, je vous embarque.

Je ne lui laisse pas le temps de réagir et attrape sa main pour l’entraîner dans la chambre d’amis qui jouxte la sienne. Il y a ici deux ou trois costumes que j’avais achetés pour mon ex qui n’a jamais eu l’occasion de les voir, puisqu’il s’est barré avant que j’aie l’opportunité de les lui faire porter. J’espère juste qu’ils iront à mon assistant, parce que sinon, on est mal. Ils ne sont pas tout jeunes mais ça peut le faire.

— Vous avez le choix… Un peu, tout du moins… Il va falloir se contenter de ça. En revanche, il va falloir que vous vous fassiez une garde-robe, parce que les soirées comme celle-ci peuvent être nombreuses à certaines périodes. Je verrai avec Quinn pour qu’il vous file un coup de main, si vous voulez.

— Parce que vous comptez donc me garder ? répond-il en souriant et en portant un des costumes devant lui pour vérifier la taille.

— Disons que vous n’êtes pas incompétent et que vous apprenez vite. Possible qu’on s’entende. Et que vous restiez ou non, vous n’allez pas vous promener en boxer aux soirées, il va bien falloir vous habiller, vous ne croyez pas ? souris-je.

— Moi, le jean me va très bien. Les mondanités, vous savez, ce n’est pas trop mon truc, mais je comprends. Je crois que celui-ci va m’aller.

Et sans plus de cérémonie, il retire son tee-shirt et son jean, sans se préoccuper que je sois là, à côté de lui.

— Bien… Bien. Je vais aller finir de me préparer, alors. Si… Si vous avez besoin d’un coup de fer à repasser, dites-le à Ellen, elle s’en chargera. Corail, alors ? lui demandé-je en fouillant dans l’un des tiroirs.

— Oui, corail. C’est celle que je préfère en tout cas.

— Alors je vous propose de mettre un nœud papillon de la même couleur, quitte à être voyante, autant que vous le soyez aussi, ris-je en le lui tendant. Ça ira très bien avec le costume, c’est parfait. A tout à l’heure, Angel…

— A tout de suite, je suis déjà presque prêt, moi ! répond-il en terminant de boutonner sa chemise.

— Vous en avez de la chance… Il reste du boulot ici.

Je lui fais un clin d’œil et sors de la chambre pour regagner la mienne. Avec tout ça, je ne suis vraiment pas en avance et je dois me maquiller et me coiffer. En plus de changer de robe. Ce sera donc corail. Pour contrarier Maman ? Ou pour faire plaisir à Angel ? Telle est la question…

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